Alors que le prototype SNES PlayStation a refait son apparition récemment, Shigeo Maruyama, ancien PDG de Sony Music et ancien directeur de Sony Computer Entertainment parle à nouveau de ce projet abandonné dans une interview. Cette console devait lire des CD mais elle n’a jamais vu le jour et Ken Kutaragi à ensuite développé la PlayStation…
Kawakami (interviewer) : « On dit que la PlayStation était une console Nintendo. »
Maruyama : « Eh bien, ce n’est pas tout à fait vrai. Kutaragi était à l’époque responsable de la puce sonore de la Snes, avant de travailler sur la PlayStation. Sony fournissait juste des composants, et Kutaragi était en charge de la production. Cependant, il faisait partie de ceux qui militait pour proposer le support CD-Rom au dessus des cartouches. Il est venu avec l’idée d’installer ce lecteur au dessus de la Snes, et d’utiliser le hardware de base pour faire tourner des disques au lieu de cartouches. »
Kawakami : « Quoi ? Tout ce qu’il a fait, c’était un lecteur CD-Rom externe pour la Snes ? »
Maruyama : « Voilà, c’est tout. Mais son idée n’a pas réellement pris. En fait, il voulait que je participe aussi mais j’étais sceptique. Reste que Nintendo voulait rester sur cartouches pour les jeux et les CD pouvaient prendre de 10 à 15 secondes pour charger. Ils pensaient que les joueurs ne voudraient pas de temps de chargement. Kutaragi a insisté et finalement, Nintendo lui a dit : »Ok, nous ne pensons pas que ce sera un succès mais vous pouvais faire votre truc de CD-ROM ». Ils ont ajouté : »Vous ne pouvez rien faire concernant les cartouches mais vous pouvez travailler sur ce que vous voulez avec vos CD ». Il a alors développé un lecteur pouvant être inséré dans le port cartouche mais il manquait encore du logiciel. Il fallait trouver quelque chose d’intéressant à mettre sur les CD et il est alors venu à moi pour aider. »
Kawakami : « Donc, pour résumer, Kutaragi a été autorisé à faire un lecteur CD pour la Snes et il est venu vous voir pour de l’aide concernant un logiciel ? Hm, je ne vois finalement pas le rapport avec la PlayStation… »
Maruyama : « Parce que ça n’a pas eu le temps de se faire (rires). Le président de Nintendo of America à l’époque, Mr Arakawa [gendre de Yamauchi], se trouvait à Seattle et voyait tout cela comme un gros problème. Il aurait passé énormément de temps à contacter le QG japonais pour les avertir que s’ils laissaient Kutaragi faire ce qu’il voulait, il pourrait chercher à influencer toute la compagnie. »
Kawakami : « Je vois. Si cela ne vous dérange pas, pourriez-vous m’en dire plus à ce sujet ? C’était à peu près au même moment où Nintendo concentrait le JV comme son activité principale, et on spéculait à l’époque sur le fait que Sony envisageait de monopoliser tous les marchés sauf le jeu vidéo. »
Maruyama : « De quoi parlez vous ? Il n’y avait pas de spéculation ! Nous avons clairement dit à Nintendo que nous voulions nous concentrer sur tout, sauf le jeu vidéo. Ils nous ont dit »C’est bien » (rires).
Kawakami : « Quoi ??? »
Maruyama : « Je vais vous dire. La seule raison pour laquelle j’ai été impliqué dans cela, c’est parce que je voulais produire un système de karaoké à domicile. La Snes était toujours connecté à votre télé. Tout ce que vous auriez alors eu à faire, c’était de cliquer et bam, vous aviez le karaoké à la maison. A l’époque, cela n’existait pas. Mais je ne savais pas ce qui se passait en interne. Yamauchi pouvait probablement voir le potentiel du CD-Rom mais je pense qu’ils étaient mal à l’aise devant le comportement agressif de Kutaragi. »
Kawakami : « Oui, je suppose (rires). »
Maruyama : « Mais juste avant l’annonce, Nintendo a tout mis à la poubelle. Kutaragi et Idei étaient venus à Kyoto. Alors qu’ils étaient en pré-réunion pour la conférence d’annonce, on leur a soudainement dit : »Non, la conférence est annulée. » »
Kawakami : « Mais ils étaient pourtant sous contrat ? »
Maruyama : « Bien sûr. Mais… il doit y avoir autre chose. C’est facile de dire que Sony est à 100 % la victime et Nintendo à 100 % le méchant. Bien sûr, c’est ce qu’on disait quand je travaillais là bas. Mais il y a un vrai mystère : pourquoi Sony n’a jamais poursuivi Nintendo ? »
Kawakami : « Effectivement. »
Maruyama : « J’ai l’impression que des choses se sont passées en coulisses. Il devait y avoir une raison sur le fait que Sony ne les a pas poursuivi. A l’époque, je produisais des logiciels donc je ne comprenais pas tout ce qu’il se passait. Mais mon équipe a perdu une tonne d’argent dans ce projet. Je me souviens avoir pensé : »Putain, si j’avais dépensé tout cet argent pour des artistes en devenir… » »
Kawakami : « Donc vous disiez à vos collègues »C’est la faute de Nintendo ! » »
Maruyama : « Oui, et assez fort pour que tout le monde l’entende (rires) ! Et c’est à partir de là que l’histoire a pris un tournant et où Kutaragi en a profité. »
Kawakami : « Que voulez-vous dire ? »
Maruyama : « Eh bien, Yamauchi et Ohga (PDG de Sony à l’époque) ont tous deux approuvé le projet à l’origine. Mais cela s’est effondré. Kutaragi s’est énervé et est même directement parti voir Mr Ohga en disant : »Le projet a été détruit sans aucune raison. Si vous revenez maintenant, comment allez vous maintenir votre honneur ? » Et Ohga a répondu : »Vous avez raison. Cette affaire nous a fait honte. » »
Kawakami : « En résumé, même si nous ne savons pas exactement ce qu’il s’est passé, Kutaragi aurait profité de la situation ? »
Maruyama : « Exactement. »
Kawakami : « Pourtant, c’était normal que toute l’entreprise soit en colère ? »
Maruyama : « Vous avez raison. Mais ce partenariat avec Nintendo n’était financièrement qu’une goutte d’eau. »
Kawakami : « En effet. »
Maruyama : « C’était beaucoup d’argent pour Sony Music. Mais pour l’ensemble de Sony, c’était juste un petit transfert d’argent. Kutaragi s’était montré insistant et a mis en avant les bénéfices réalisées avec les puces sonores de la Snes en disant : »J’ai gagné cela, alors laissez-moi l’utiliser à ma façon. » Je suppose que le budget pour le lecteur CD de la Snes était donc de 2 ou 3 milliards de yens [environ 30 millions de dollars.] »
Kawakami : « Ce n’était pas beaucoup par rapport à ‘une entreprise comme Sony. »
Maruyama : « Voilà. Le lecteur CD était une petite chose coincée au dessus de la Snes. C’est comme si nous voulions louer un bureau au lieu de construire un gratte-ciel entier puis, à la dernière minute, on nous a expulsé. On aurait pu en rester là mais Kutaragi a réussi à exploiter cela en disant : »Comment osent-ils ! Nous allons construire un gratte-ciel encore plus grand juste à coté d’eux ! » Mais au final, les choses [le lecteur CD Snes et la vraie PlayStation] n’ont rien à voir entre elles. »
Kawakami : « (rires) Kutaragi a donc fait exprès de faire d’une simple petite histoire quelque chose de beaucoup plus grand pour l’exploiter et favoriser ses propres ambitions. »
Maruyama : « Voilà, c’est comme ça que je le vois. Il était vraiment fou (rires). Pourtant, encore aujourd’hui, je ne sais pas ce qu’il s’est vraiment passé avec Nintendo. »
Kawakami : « Mais Kutaragi le sait. »
Maruyama : « Oh oui. Je suis sûr que Kutaragi connaît la vérité. »