Durant le Cedec 2020, un évènement rassemblant de nombreux développeurs japonais, Nintendo s’est livré à une conférence sur les éléments constituant les concepts de la série Animal Crossing et leurs objectifs pour Animal Crossing : New Horizon.
Faire coexister tradition et innovation
La première partie se nomme “Transition dans le Game Design” et a été présentée par Nogami Hisashi, qui a participé à la série depuis ses débuts. Selon lui, pour beaucoup la série Animal Crossing se résume certainement à l’image “d’un jeu de fille dans lequel on mène une existence paisible aux côtés d’animaux tout mignons”.
Selon une étude sur Animal Crossing : New Horizon, il semblerait que ceux qui jouent sont majoritairement des gens dans la vingtaine ou des trentenaires et qu’il y ait autant d’hommes que de femmes. Il ajoute que le jeu n’ayant pas encore 1 an, on pourrait assumer que des enfants n’aient pas eu l’occasion d’acheter le jeu à ce jour, mais dans tous les cas, l’étude démontre que l’image qu’on peut avoir de la série est fausse.
Animal Crossing est également catégorisé dans le genre “Communication” et l’on peut penser “à un jeu dans lequel on communique avec des animaux”, chose qui n’est pas fausse sur une partie de l’expérience. Mais la véritable intention de Nintendo derrière ces mots est d’en faire une expérience où “les joueurs communiquent entre eux”.
Sur la boite du jeu Gamecube au Japon, on peut y lire “Jouer à 2 plutôt que tout seul. Jouer à 4 plutôt qu’à 2. Jouer à plusieurs… plutôt qu’à 4 !”. Au final, la conception du jeu et son game design se sont faits en gardant cette intention de communication entre des individus.
Du coup, quel est le rôle des animaux ? En bref, ils sont le substitut d’une personne. Pourtant, cela ne signifie pas qu’ils remplaceront d’une manière simple une véritable personne.
Une des fonctionnalités d’Animal Crossing, c’est de pouvoir partager ses données de sauvegarde avec plusieurs joueurs. Un Village devient une donnée de sauvegarde et plusieurs joueurs peuvent s’y trouver. Tandis qu’un joueur fait grandir des fleurs et des arbres puis envoie des lettres, un autre joueur du même village jouant après lui peut s’apercevoir de ces changements. On peut dire qu’il s’agit d’une expérience de jeu de communication asynchrone dans laquelle plusieurs joueurs jouent à divers moments et en partagent les résultats.
À travers cette fonctionnalité, les animaux vivants dans ce village posséderont une mémoire des joueurs avec lequel ils ont interagi. Lorsque l’on parle à un villageois, il se souviendra du nom, du moment de la rencontre et du lieu. Au début, il vous abordera en disant “Enchanté” puis la fois suivante il vous répondra “Et bien comme on se retrouve”. Il devient même capable d’inventer un genre de ragot qu’il répandra du genre “Ah lui ! Il passait son temps à pêcher”. Et il ira répandre ses ragots aux autres joueurs.
Et ces animaux ont des souvenirs qui ne s’arrêtent pas aux frontières d’un seul village.
De plus, à travers l’utilisation de supports physiques comme le “Controller Pack” sur Nintendo 64 et les Cartes Mémoires sur Nintendo Gamecube, il était possible pour un joueur d’aller dans un autre village. En se rendant dans un autre village, un joueur a la possibilité de transmettre de nouveau ses informations aux villageois de celui-ci.
Découlant de cela, en partant d’un village, un animal peut s’attacher à vous et décider de déménager du village d’origine dans lequel vous l’avez rencontré pour venir dans le vôtre. À ce moment, les villageois qui viennent de villages de vos amis gardent en eux leurs souvenirs d’origines et ne se privent pas de vous les raconter.
Avec ce genre d’aller-retour de villageois, les données de sauvegarde se lient et ne forme plus qu’une. En partageant ainsi ces souvenirs de ce que vous accomplissez dans un certain village, un villageois qui déménage fait indirectement entrer de plus en plus de joueurs en relation et ces liens s’étendent de plus en plus. C’est un terme assez étrange à employer, mais la série Animal Crossing a été désignée pour être un “jeu online n’utilisant pas Internet”.
Aujourd’hui, la série utilise Internet, mais cette idée de base reste inchangée selon Nogami-san.
C’est à partir de cette idée que l’identité d’Animal Crossing s’est formée. Un des points qui forme cette identité est justement cette possibilité de jouer à différent moment et de communiquer à son rythme puis d’accumuler et de partager toutes sortes d’informations tout en faisant ce que vous avez envie de faire. En plus de proposer une progression tranquille, le fait que les choses évoluent en temps réel, créer chez le joueur ce sentiment de “vouloir être présent à certains moments” du jeu.
De nombreux autres éléments sont dispersés dans le jeu, et cela a été pensé pour que chaque donnée de sauvegarde puisse devenir le reflet de la personnalité du joueur. Cette identité propre à Animal Crossing se retrouve finalement aussi dans les derniers travaux effectués sur la série.
En voulant faire court, on finit encore une fois par revenir à cette première image du jeu “dans lequel on mène une existence paisible aux côtés d’animaux tout mignons”, mais l’on se rend compte que c’est en fait le résultat d’une volonté de créer de la communication entre individus.
Dans Animal Crossing Wild World sorti en 2005 sur Nintendo DS, il était possible de se connecter en local et grâce à Internet, cela a permis à plusieurs joueurs de jouer ensemble au même instant. Ainsi, il est devenu plus facile de rendre visite à ses amis, mais il en résulte également le fait que les communications asynchrones ont été de plus en plus nombreuses.
Dans Animal Crossing Let’s Go to the City sorti sur Wii en 2008, la communication au même instant a encore été renforcée notamment par l’ajout du tchat vocal. Les possibilités d’échanges de données ont été également augmentées par un système ressemblant à des échanges de mail. Cependant, c’est une fonctionnalité importante qui n’a pas été bien comprise des joueurs qui ont eu l’impression que “peu de choses avaient évolués depuis le précédent jeu”. Les développeurs ont alors compris l’importance d’apporter des éléments d’améliorations visibles aux yeux de tous.
Animal Crossing: New Leaf sorti en 2012 sur Nintendo 3DS représente un tournant important pour la série. En se posant à nouveau la question de savoir ce qui faisait d’Animal Crossing un jeu ou non, l’équipe en est revenue au fameux résultat : c’est un jeu de “Communication”. C’est en repartant sur cette idée et en prenant en compte les possibilités du moment qu’a été introduite l’idée d’incarner le “Maire du Village”.
C’est en constatant que ces nouveautés sur 3DS avaient été adoptées facilement et que de nombreux joueurs avaient répondu à celles-ci en jouant activement à cette nouvelle version du jeu que nous avons développé Animal Crossing : New Horizon. C’est avec cette même détermination que nous avons continué à faire évoluer le jeu pour aller toujours plus loin. Selon le Directeur du dernier opus Switch, Kyogoku Aya-san, il faut continuer “à prendre en compte l’époque pour y semer de nouvelle graine de communication”. Tout cela en visant à élargir la base d’utilisateur, en proposant des nouveautés et en élargissant toujours plus l’expérience.
Exemple de graine de communication semée dans le dernier jeu : jeu en ligne à plusieurs en “Party mode”, partage de motif en ligne, invitation de joueurs par système de mot de passe.
La séparation en génération du Game Design de la série Animal Crossing. Bien que présentant de nombreux changements, Animal Crossing: New Leaf est considéré comme un jeu de la seconde génération de Game Design qui débute avec l’introduction d’Internet. Il est le point culminant de celle-ci.
Afin d’élargir cette expérience, l’équipe s’est concentrée sur 3 points : “avoir des points de réalisation et des objectifs évoluant par phase”, “aller sur une évolution non pas juste verticale, mais horizontale” et “aider à l’établissement d’un objectif”.
Concernant le premier point, Animal Crossing est une série dans laquelle on mène une vie sans fin, c’est un jeu qui n’a pas de fin en soi. De ce fait, le joueur s’éloigne de l’expérience à partir du moment où il perd de vue son objectif ou bien lorsqu’il commence à s’y ennuyer.
Le premier thème a été abordé dans la volonté de laisser un bon souvenir à chaque joueur sur leur expérience passée dans le jeu, et cela même si ceux-ci s’éloignent finalement du jeu.
Concrètement, c’est ainsi qu’est née cette idée de façonner son île à partir d’une île déserte. Un concept que l’on peut résumer en quelques mots comme dans le précédent jeu de la série et le fait de “devenir Maire”.
Ensuite, nous avons donné un objectif à moyen terme. Alors que vous arrivez sur votre île déserte et que vous commencez tout juste à l’aménager, on vous invite à y aller plus sérieusement en vous donnant l’objectif d’obtenir un concert de Kéké, cette figure familière, sur votre île. Vous avez ainsi l’impression de suivre un semblant d’histoire avant l’arrivée de Kéké puis arrive le sentiment d’avoir accompli quelque chose en le voyant finalement débarquer. Après quoi, vous pouvez apprécier une expérience plus libre et plus traditionnelle de la série “Animal Crossing”. Le jeu a donc adopté une construction en 2 parties.
Pour le second point, on parle d’évolution verticale dans le cas où l’expérience de jeu augmente avec le temps de jeu. Tandis que l’évolution horizontale implique une plus grande gamme d’expérience provenant d’un certain élément.
Pour les fans de la série Animal Crossing, mener une vie paisible de villageois est une chose banale et normale dans le jeu. Il devient difficile de leur faire sentir de la nouveauté au cœur de cette habitude de vie paisible. Même en leur introduisant une nouveauté par évolution verticale, lorsqu’ils la débloquent, ils auront vécu quelque chose d’habituel jusqu’à cet instant. Nous avons donc amené une évolution horizontale afin d’élargir toujours plus la gamme d’expérience.
Par exemple, jusqu’à présent le rôle principal de la végétation était purement paysager ou celui de proposer du jardinage. En ajoutant désormais la possibilité de les récupérer en tant que matériaux, cela permet d’élargir leur rôle. À travers le fait de pouvoir mener une existence satisfaisante sur une île déserte et en augmentant les possibilités et les choix dès les débuts du jeu, cela permet de délivrer une expérience amusante totalement différente de ce que la série nous a habitué jusqu’à maintenant.
Enfin, le troisième point, il va sans dire que dans la série Animal Crossing, il n’y a jamais eu de présentation d’objectif particulier. Certes, il y a le fameux prêt forcé par Nook, mais si vous ne voulez pas agrandir votre maison rien ne vous contraint à le rembourser. Personne ne viendra saisir vos biens ou vous expulser de votre maison. Dans Animal Crossing, on s’amuse simplement en trouvant ce que l’on veut faire et en passant nos journées à le faire.
Livrés à eux-mêmes, beaucoup de joueurs ne comprenaient pas l’expérience proposée par le jeu et c’est devenu une des problématiques de la série.
Ainsi, au lieu de vous faire atterrir tout simplement sur une île déserte, le jeu a été introduit par la “formule évasion” qui a ensuite introduit avec les “Nook Miles”. Cela a permis aux joueurs qui n’ont pas l’habitude de la série de trouver une façon d’initier le gameplay tranquille d’Animal Crossing et de le comprendre. Tandis que ceux qui connaissent déjà la série y verront une autre façon d’appréhender leur jeu.
Le résultat de l’intégration de ces points à cette version du jeu a énormément changé celui-ci en comparaison avec les autres jeux de la série. Dans les versions précédentes, on menait son expérience de vie normale après avoir conclu la séquence d’introduction. Après cette introduction, on contractait un prêt avec Nook puis on commençait à rembourser. Afin de progresser dans le jeu, de nouveaux éléments faisaient alors leur apparition.
En comparaison, l’introduction d’Animal Crossing : New Horizon est en fait beaucoup plus dense. Dans cette nouvelle introduction, de nouveaux éléments se débloquent et l’on mémorise des façons de jouer. Une fois que le concert de Kéké s’est déroulé, l’expérience normale ne fait que commencer et c’est à ce moment que l’on débloque de nouveaux éléments de progression plus complexe qui nous permettent d’apprécier encore plus le jeu et de nous donner une sensation de liberté de jeu encore plus grande.
Cette séquence de jeu est en fait le thème de base qui nous a permis d’avoir pour objectif de “combiner tradition et innovation”.
Rien ne peut être maintenu sans changement.
Dans cette seconde partie, les “Transition dans l’organisation du développement” de la série Animal Crossing ont été présentés. Cela fait maintenant 19 ans, en 2001, le premier jeu de la série Animal Crossing sortait sur Nintendo 64, mais depuis l’organisation autour du développement de chaque opus a changé.
Pour le premier Animal Crossing, il y avait 2 directeurs sur le jeu, un certain planificateur ainsi que Nogami-san. Son collègue planificateur se chargeait de créer les messages et définir les séquences impliquant d’introduction du jeu, les objectifs et la progression globale. Tandis que Nogami-san se chargeait des graphismes et du système de jeu.
Sur l’opus Nintendo DS, son ancien collègue est devenu producer et Nogami-san fut le seul directeur. Avec l’augmentation des éléments de communication, Nogami-san a joué le rôle de coordinateur entre les différentes équipes et a affecté un responsable sur différentes parties du jeu. Sur l’opus Wii, l’organisation fut similaire.
À partir du jeu Nintendo 3DS, Nogami-san s’est retiré de son rôle de directeur et une nouvelle équipe a été formée. Les rôles ont été répartis sur 2 directeurs et un directeur artistique a été sélectionné pour prendre en charge la partie graphique.
Sur Nintendo Switch, nous revenons à un seul directeur. D’autres rôles ont été attribués comme celui de directeur système pour Kyogoku Aya-san ou des rôles de sous-directeur ou encore de directeur message.
Ci-dessus, on aperçoit les diverses transitions dans l’organisation du développement de la série Animal Crossing. Cependant, pour un joueur, c’est une information futile, car il ne s’intéresse pas forcément à l’organisation qui a été adoptée à la création du jeu. Après tout, ce qui l’intéresse c’est de savoir si un jeu est amusant ou non.
Ainsi, la question est de savoir comment poursuivre une série sans risquer de lasser les joueurs ? Kyogoku-san explique que peu importe la société, il s’agit de trouver le bon équilibre entre faire quelque chose de différent par rapport aux travaux menés dans le passé, mais en conservant se qui peut sembler être le cœur d’une série. Pour un développeur, le développement d’une série est une des choses les plus plaisantes dans le métier, mais aussi la plus difficile.
Kyogoku-san liste ensuite ce qui a été retenu dans le développement de la série Animal Crossing au fur et à mesure que les équipes et organisations changeaient à chaque opus.
Le plus important pour ceux qui ne connaissent pas beaucoup une série, c’est de se rapprocher au mieux de la vision d’un individu qui a de l’expérience. Contrairement à un vétéran, une personne sans expérience avance plus prudemment sur l’évolution d’une série, mais elle est justement plus sujette à “changer une série” inconsciemment. Leur manque de connaissance et de compréhension rend justement plus difficile pour elle d’identifier ce qu’il faut changer ou non.
Lorsque l’on est impliqué dans le développement d’une série, il est très important d’approfondir notre compréhension afin de compléter notre inexpérience. Il s’agit de revenir sur les produits antérieurs et leur spécification, mais pas seulement. Il faut étudier l’histoire complète du développement, les organisations qui se sont faites et interroger des personnes directement impliquées afin d’obtenir toujours plus de connaissance. Même si l’on n’est pas le père créateur d’une série, il faut se considérer comme un des parents de celle-ci et être confiant afin de prendre des décisions pour son orientation.
Les éléments évoqués dans ce panel sont des choses partagées sur le site web de l’équipe de développement et sont utilisés en tant que conseil et ligne directrice de développement. De plus, lors de réunion avec toute l’équipe, il n’est pas uniquement question d’aborder le projet actuellement en cours, mais c’est aussi l’occasion de revenir sur des processus de développement adoptés depuis la naissance d’une série.
Sur les 3 autres fournées d’images, il est question de l’importance d’un individu, d’une équipe et son rôle. Et qu’un changement d’élément ne rime pas forcément avec le changement d’une partie d’un jeu, mais du jeu en lui-même voire de la série.
Il est dit ensuite que le thème abordé ici est sur le fait de garder une tradition tout en travaillant sur l’innovation, de continuer à grandir en surmontant des défis. C’est ce que l’équipe Animal Crossing a fait jusqu’à présent et qui se résume en une expression : « Rien ne se maintient sans changement ».
Protéger une IP, ce n’est pas juste protéger des spécifications. Il s’agit de jeu et faire la même chose fini par ennuyer. Pour qu’une IP continue d’exister, il faut que de nombreuses personnes continuent d’en profiter et il est également important de la remettre en question à travers les époques et générations.
Je ne fais parti ni des oranges ni des verts et je me porte très bien 🙂 vivement un peu de rouge et du vert Spécial Zelda