« Je songe au jour où ces créatures pourraient surgir des flots pour y entraîner dans leurs griffes nauséabondes les restes d’une humanité chétive et épuisée par la guerre – au jour où les terres sombreront, et où le noir fond des océans remontera pour émerger dans un monde livré au chaos universel. » H.P Lovecraft – Dagon
Par ces mots, l’auteur avait sans doute prédit l’arrivée des « Die and Retry » sur notre monde vidéoludique. Et c’est, sans doute aucun, pour lui rendre hommage que les développeurs du studio canadien Spooky Squeed Games ont mis entre nos mains, devenues écarlates par tant de sang versé sur les plaines de combats numériques, They Bleed Pixels. Tout dans leur titre transpire et sue l’amour pour l’œuvre du géant de l’horreur. Est-ce suffisant pour en faire un bon jeu ? Vous devriez savoir pourtant qu’il y a des secrets qui devraient rester pour toujours inconnus des hommes…
Dans sa demeure de R’lyeh la morte Cthulhu rêve et attend : (H.P Lovecraft – l’appel de Cthulhu)
Vous incarnez une jeune fille dont les parents voulaient visiblement se débarrasser, vu qu’elle se retrouve dans une pension pour jeunes filles perturbées : la Lafcadio Academy. Un vieux manoir victorien vous ouvre ses portes et laisse apercevoir, dans la plus haute chambre de la demeure, qu’un rituel visant à ensorceler un livre est à l’œuvre.
Bien évidemment, ce livre se retrouve en votre possession et juste retour des choses, c’est lui qui prend possession de vous et de vos rêves. Vos cauchemars vous entraînent alors dans un monde parallèle empli de piques et de créatures souhaitant vous occire.
Les mondes de They Bleed Pixels, entièrement en pixel (d’où son titre), sont parfaitement réalisés. Les cinématiques sont pleines de références à la pop culture lovecraftienne. Notre héroïne n’a pas encore franchi le portail d’entrée qu’elle repère déjà une pieuvre maléfique. Elle-même, vêtue de manière gothique, mêle admirablement son côté mignon très propre avec celui bien plus sanguinaire des griffes qui lui poussent à la place des mains. Il y a un côté Alice de American Mc Gee dans le design du personnage de Spooky Squeed Game.
Les développeurs ont aussi cherché à rendre crédibles les enchaînements entre les mondes : débarrassez-vous du livre en l’enterrant à la fin du premier chapitre et les mondes suivants auront pour thèmes la terre, et les plantes. À vous de deviner quels seront les thèmes quand notre bonne amie tentera de jeter le livre à l’eau ou de le lancer dans les flammes…
La partie graphique s’agrémente aussi de beaucoup d’humour (noire) via la mort de nos ennemis s’accompagnant de textes indiquant le niveau de méchanceté de ladite mort – via aussi des gerbes d’hémoglobines pixélisées qui inondent notre écran à chaque trépas – le nôtre ou celui des monstres.
En fonction de votre progression, des artworks se débloqueront : dessins originaux ou montages photos, ayant toujours notre héroïne comme thème et toujours très bien réalisés.
C’est un plaisir de parcourir les mondes et d’y mourir à la recherche des pages cachées qui débloquent ces images.
La partie sonore est assurée par DJ Finish Him. Entièrement électro, elle fait la part belle aux sonorités rappelant les machines 16 bits. Assez répétitives, elles se renouvellent assez peu et ne vous laisseront pas une impression impérissable. C’est sans doute le plus gros bémol du titre. Vous pouvez vous faire une idée en écoutant les titres sur Bandcamp : https://djfinishhim.bandcamp.com/album/they-bleed-pixels-on-the-dance-floor
Il ne nous restera plus qu’à sombrer dans la folie devant cette révélation : (H.P Lovecraft – l’appel de Cthulhu)
Si beaucoup de jeux ont tenté de faire ressentir l’esprit lovecraftien dans leur jeu (avec trop peu de réussite) c’est sans doute qu’ils ont essayé de le retranscrire à l’écran via une ambiance alors que cette folie ne peut être ressentie que dans la difficulté d’un Die and Retry. Et ça They Bleed Pixels l’a parfaitement compris. À la manière de VVVVVVVV ou d’un Super Meat Boy, la difficulté du titre de Spooky Squeed Games vous fera connaître les franges de la folie.
Ses mécaniques sont assez communes au reste des titres du genre : il va falloir enchaîner les sauts, courts, longs ou doubles et les rebonds sur les murs. Vous disposerez aussi d’une palette de coups à porter à vos ennemis : coups de griffes avec ou sans dash, coups de pied pour les envoyer loin de vous ou pour les envoyer dans les airs et les finir en aérien avec vos griffes. Ces mécaniques sont suffisantes pour proposer un challenge varié qui se renouvelle au sein de chaque niveau. Ceux-ci vont forcément se répéter dans leur principe de base : aaaaah des piques ; aaaaah des monstres… mais leur construction est suffisamment changeante pour éviter les impressions de déjà-vu.
Les monstres et les situations de plateformes se renouvellent rapidement :
- Les monstres ont la possibilité de se mettre en garde, ce qu’ils font très vite, vous obligeant à les finir à grand coup de combos. Chacun possède des patterns d’attaque différents, vous forçant à réagir différemment : quelle sera la méthode la plus efficace ? L’envoyer valser sur une scie ? Le comboter dans les airs ? L’esquiver et le finir à la griffe ?
- Les situations de plateformes doivent être tirées d’un catalogue de cuir et clou magazine, ça suinte l’amour de la douleur et des objets tranchants. Jamais vous n’aurez été confronté à autant d’objets pointus de votre vie.
Je vous conseille d’ailleurs de jouer en mode docké, celui-ci apporte plus de précision aux déplacements de notre héroïne. Le jeu est aussi fluide sur écran ou en nomade, mais l’écran de la Switch n’apporte pas autant de lisibilité à l’action de par sa taille plus réduite. Le jeu reste jouable et faisable, mais pour ma part, les morts ont été plus nombreuses en nomade.
La courbe d’apprentissage est rude, mais quel plaisir de passer un monde en ayant récupéré toutes les pages du livre. La fin de chaque niveau donne lieu à un récapitulatif de votre partie et bien sûr une évaluation de votre skill et à une sérieuse remise en question de vos capacités…
Les amateurs de Speed Gaming seront aux anges et pourront montrer à tout à chacun leur prouesse.
Conclusion
S’il y a des jeux qui déçoivent tant l’écart entre leur volonté de rendre hommage et le contenu proposé est grand. They Bleed Pixels n’est pas de ceux-là. Le fan service est parfaitement intégré au gameplay, associant les références à l’univers de Lovecraft et à l’humour noir et sanguinolent des séries Z. La progression, ardue, s’intègre parfaitement dans l’univers horrifique et l’histoire contée. Les morts se suivent et ne se ressemblent pas, les nôtres et celles des monstres qui parcourent nos cauchemars. Elles amènent toujours un sourire devant les gerbes sanguinolentes plutôt qu’un cri de rage devant la difficulté. Spooky Squeed Game propose une expérience exigeante, mais jamais frustrante avec ses mécaniques simples, mais maîtrisées et avec ses références parfaitement intégrées. Si vous aimez les Die And Retry et que vous êtes en manque de challenge, foncez ! Si vous êtes allergiques à la difficulté, They Bleed Pixels pourrait vous la faire aimer.
LES PLUS
- Le pixel art soigné
- L’univers lovecraftien
- Les mécaniques maîtrisées
- Le plaisir de la réussite
- Les gerbes de sang !
LES MOINS
- La bande-son répétitive et peu inspirée