Strife, c’est l’histoire d’un rendez-vous manqué. D’un jeu sorti trop tard et mal compris. C’est l’histoire des studios Rogue Entertainement et Night Dive. C’est l’histoire d’un moteur graphique l’ID Tech 1 et de son jeu porte-étendard : le seul et unique Doom premier du nom. Enfin, c’est l’histoire de deux styles de jeux : le RPG et le FPS qui, avant que Deus Ex ne leur offre des noces inoubliables, n’avait pas beaucoup d’affinités entre eux.
Un peu d’histoire
Sorti en 1993 avec son modèle de distribution iconoclaste (le shareware), Doom fut une révolution lors de son entrée en scène. Un rythme effréné dans un monde en trois dimensions fluide et labyrinthique. Du jamais vu et une révolution qui a lancé tout un genre : le FPS (on parle de Doom-like à l’époque). Son moteur, l’ID Tech, disponible sur de nombreuses configurations de l’époque, a servi ensuite à plusieurs projets tels Hexen et Heretic, deux FPS dans un univers médiéval fantastique. Mais il a aussi servi à un projet moins connu : Strife.
Sorti en 1996, et basé sur l’ID Tech, Strife, développé par Rogue Entertainment, avait malheureusement un train de retard, car la même année sortait Quake, tournant sur l’ID Tech 2 – et aussi Duke Nukem 3D, mon chouchou de l’époque, mais ça n’a rien à voir. La claque fut violente tant la vitesse et la liberté de déplacement étaient encore améliorées. Strife ne pouvait malheureusement pas rivaliser. D’autant plus que son positionnement FPS / RPG / infiltration demandait un effort alors que les ténors tels que Diablo et Elder Scrolls 2 : Daggerfall (pour le RPG) étaient bien plus clairs quant à leur genre.
Et pourtant, en 2014, pour lui rendre justice, le studio Night Dive, 18 ans après sa sortie initiale, décide de le ressortir de sa prison de naphtaline, de mettre un bon gros coup de chiffon sur ses graphismes puis de sortir cette Veteran Édition. Et comme les possesseurs de Switch sont des gens au goût certain, il est tout à fait normal que ce même studio ait décidé de le porter sur notre console préférée.
On se faufile dans le sujet
Comme tous les jeux de l’époque, le scénario est une merveille de finesse : une comète a frappé la terre, libérant un virus qui a ravagé l’humanité. Un groupuscule de fanatiques, l’Ordre, s’est élevé sur les cendres de ce monde pour en prendre le contrôle. Heureusement, le Front, un groupe de rebelles est là pour lutter contre la tyrannie. Mais pour renverser cette dictature, il faudra mettre la main sur le Sigil, l’arme la plus destructrice du monde connu.
Si le pitch est très direct et ne fait pas dans la demi-mesure, le monde qui nous est proposé ne fait pas dans la dentelle non plus. Vols, extorsions et meurtres seront vos lots communs dans ce monde dur et froid.
Là où Strife se distingue de ses aînés, c’est qu’il propose un monde semi-ouvert dans lequel vous vous déplacez librement. Le monde est cohérent, n’attaquez pas les ennemis et ils ne vous attaqueront pas. Vous pourrez même discuter avec eux. Par contre, attaquez-en un et toute la meute se jettera sur vous, et pas la peine de vous cacher dans un bâtiment, ils vous attendront à la sortie, telle une bande de collégiens prépubères et boutonneux à qui vous auriez demandé le numéro de téléphone de leur sœur.
Ces mécaniques de jeu de rôle sont assez étonnantes à l’époque dans un FPS, et elles déstabilisent au premier abord. Moi, je vois un ID Tech, je ne réfléchis plus, je passe en mode esquive, réflexe et mauvaise foi et je défouraille à tout va. Oubliez ça tout de suite ! Dans Strife, il faut se faufiler, contourner et abattre par derrière si possible. Bien sûr, il y aura de la castagne, mais le jeu étant assez difficile, ne pas respecter la volonté des développeurs ne vous mènera pas loin dans l’histoire.
Il faudra aussi discuter avec les PNJs pour découvrir des passages secrets et des quêtes annexes. Bref prendre son temps pour découvrir comment déjouer au mieux et le plus sûrement possible les pièges qui vous attendent. Et ce n’est qu’une fois cette partie effectuée, une fois que l’infiltration est finie et qu’on se retrouve plongé dans l’action que le Doom Engine pourra vraiment être utilisé comme il se doit et fournir des guns fights nerveux.
L’épreuve du temps
Il y a deux façons de faire du néo-rétro : via le design, avec du pixel art tout beau, ou via les mécaniques de jeu, en reprenant des systèmes oubliés et en les remettant à jour (oui je parle de toi Legend Of Grimrock). Cette version Switch de Strife : Veteran Édition tente de jouer sur les deux tableaux avec un résultat mitigé.
Parlons d’abord des graphismes : si ce n’est plus la bouillie de pixels qui rendait si bien sûr nos vieux écrans cathodiques, le rendu des textures est un peu trop lisse et donne à l’ensemble un côté répétitif. Ce n’est pas un remake, il a fallu se montrer respectueux avec le matériel d’époque et de ce côté le travail de Night Dive est irréprochable. C’est plus fin, mais malheureusement le charme du gros pixel disparaît.
Le style d’origine est assez éclectique : le monde est un mixte médiéval futuriste. Des chevaliers en armure avec boucliers y côtoient des armes à feu et des ascenseurs. Le tout n’est pas cohérent pour un sou, mais ce n’est pas vraiment le but et le monde semi-ouvert se parcourt sans soucis. Les temps de chargement entre les zones sont assez courts et la navigation se fait très naturellement. La carte aide à se repérer tout comme les conseils donnés.
Par contre tout se fait en anglais. Amis anglophobes, vous devrez sans doute passer votre chemin, car le titre se montre assez verbeux pour vous expliquer les objectifs et les missions secondaires. Un minimum de compréhension de la langue de Churchill vous serra nécessaire pour vraiment profiter des dialogues, il n’est toutefois pas indispensable pour finir le jeu, la carte vous indiquant les endroits où aller.
En ce qui concerne les mécaniques de jeu, et notamment les contrôles, il est intéressant de noter que cette version prend en compte la visée gyroscopique, ce qui améliore grandement la précision. C’est l’ajout principal par rapport à la version de base. Le reste est assez classique pour le moteur de jeu : courir, sauter, tirer. La visée est assez imprécise au départ, nos tirs partent un peu dans tous les sens. Ce n’est qu’avec plus d’expérience que vous commencerez à être un as de la gâchette. La durée est plutôt correcte au vu du petit prix, comptez un bon 6 h pour arriver au bout dans la difficulté rookie (niveau 2 sur 5). Ce temps peut être facilement doublé vu que le titre offre un embranchement scénaristique qui modifiera la fin.
Les musiques respectent celles d’origines, le côté midi Adlib des sons Ms-Dos est encore bien présent. Elles varient à chaque changement de lieu et apportent de la diversité sans être toutefois extraordinaires.
Conclusion
Cette version Switch de Strife a deux qualités : elle respecte parfaitement le matériau d’origine d’un très bon jeu sorti trop tard tout en le rendant jouable en mode portable sans avoir besoin d’un ren-dez-vous chez l’ophtalmo après 2 heures de jeu. Avec ses mécaniques originales pour l’époque et son moteur culte, Strife mérite vraiment qu’on s’y intéresse. Alors certes, d’autres comme Deus Ex ont fait bien mieux quelques années plus tard, mais sans la violence et l’exubérance apportée par l’Id Tech. Strife Veteran Édition est une plongée dans les origines méconnues des FPS/RPG qu’il serait dommage de rater.
LES PLUS
- Graphismes qui ne piquent pas les yeux…
- Utilisation détournée de l’ID Tech pour en faire un RPG
- Deux fins possibles
- Durée de vie correcte
- Gestion gyroscopique des contrôles
LES MOINS
- … mais un peu trop lisse
- Tout en anglais