Le monde du RPG moderne est dominé par les productions des acteurs les plus anciens du genre ou par les plus grands studios de développement. Le monde indépendant se partage les miettes en proposant souvent, faute de budget, des expériences du genre Retro en tentant de rendre hommage à une ancienne et grande époque du RPG. Résultat des courses, on se retrouve avec de nombreux RPG en pixel-art à l’ancienne plus ou moins pertinent sur les nombreuses boutiques en ligne du JV. Stegosoft Games est un de ces indépendants à tenter leur chance une première fois avec Ara Fell. Une expérience loin d’être mauvaise, mais avec des défauts provenant du moteur RPG Maker 2003. Les développeurs motivés ont repris leur travail sur Ara Fell afin de proposer ensuite une “Enhanced Édition” faite sur le moteur Unity. C’est cette version qui parvient enfin sur Switch en mars 2020 et que nous avons entre les mains.
Ara tombe en anglais sur Switch
On commence avec un bel écran titre et une musique enchanteresse qui nous invite à rapidement débuter l’aventure. Dommage, on peut également déjà constater le premier défaut du jeu, la traduction uniquement anglaise du jeu. Amateur de RPG, il va falloir comme d’habitude s’équiper de votre acquis dans la langue de Shakespeare pour comprendre le jeu ou de votre fidèle dictionnaire franco-japonais. Il ne faut pas avoir un niveau bilingue non plus afin de faire tout le jeu, mais la traduction française est toujours un argument de poids et surtout un confort de jeu non négligeable.
On commence l’aventure avec la petite Lita accompagnée de son ami d’enfance Adrian explorant des ruines. En réalité, c’est Adrian qui a reçu une requête dans ces ruines et l’explore avec notre héroïne. Le commanditaire aurait demandé à Adrian d’y récupérer un genre d’ancien anneau, relique de l’ancienne civilisation des Elfes. Ce premier donjon fait office de didacticiel sur les mécaniques du jeu sur lequel nous reviendrons.
En poursuivant notre exploration, il devient une évidence que la petite taille de Lita est une bénédiction pour ce genre d’aventure à travers des ruines. Elle finira par tomber dans les profondeurs du complexe, Adrian ira alors chercher du secours. Hors de question pour notre héroïne d’attendre sans rien faire, elle décide de poursuivre l’exploration seule dans l’espoir d’y trouver une autre issue de sortie. Elle apercevra également une mystérieuse silhouette de femme aux cheveux dorés la guidant jusqu’à un mystérieux autel avec un anneau que Lita passera à son doigt. Notre héroïne finira par revenir sur les lieux de sa chute et tombera de fatigue.
Elle sera secourue par une équipe de secours menée par le père de Lita et quelques inconnus ainsi que d’Adrian. Le père de Lita est furieux et n’a jamais vu la compagnie et l’influence d’Adrian comme la meilleure pour sa jeune fille. Il lui défendra de la revoir et notre jeune héros ne peut que faire profil bas face à ce père de famille en furie. On se réveillera avec Lita chez elle au village d’Aloria. A peine réveillée qu’un petit conflit père-fille se joue. Un petit drama qui se termine avec le père demandant à sa fille de ne pas tarder à se rendre sur les lieux du tournoi d’archerie du Royaume pour lequel il entraînait et formait Lita depuis un bon moment. Il empoigne le pas devant elle et l’on reprend le contrôle de notre jeune Héroïne.
Nous avons du temps devant nous et le jeu nous laisse vaquer à quelques objectifs avant de nous rendre sur les lieux du tournoi. Notamment une affaire d’animaux disparus sur laquelle on enquête. L’occasion de retrouver Adrian une nouvelle fois puis de se rendre avec lui auprès de son commanditaire qui voit d’un œil très noir le fait que Lita porte l’anneau trouvé dans les ruines. Lita s’apercevra également qu’elle n’arrive plus du tout à l’enlever. Le sombre individu laissera Adrian avec des mots sonnant comme une sombre prophétie. On laisse cette sombre rencontre de côté pour continuer notre enquête sur les animaux disparus.
Une enquête qui se conclura sur le fait qu’un villageois les enlevait afin de les vider de leur sang et une histoire impliquant des vampires. Sans aller plus loin dans les révélations, Ara Fell vous propose un récit se déroulant plusieurs millénaires après que les Dieux se soient livrés à un conflit mondial sur Terre. Une de ces Divinités usa de ses pouvoirs élevés des Terres vers les cieux afin de sauver quelques vies de la destruction. N’ayant aucune confiance aux pouvoirs des Divins, alors que les autres Divinités s’éteignirent, elle mettra également fin à son existence afin de laisser les mortels décider de leur destin.
Ara Fell est une terre céleste sur laquelle cohabitent en harmonie Elfes, Humain et bien d’autres espèces des récits fantaisistes. Parmi eux, les Vampires, créatures bien moins pacifiques se nourrissant du sang d’autrui. Les Elfes et les Vampires se livrèrent un combat se terminant par une victoire difficile des Elfes usant du pouvoir de quelques artefacts ainsi que de celui des pierres sacrées de la Déesse. Les Elfes scellèrent cet immense pouvoir afin de le garder éloigné des vampires, mais ils se condamneront en échange à une éternité dans la pierre. Il va sans dire que le présent de Lita est très étroitement lié aux événements de ce passé.
Nous voici face a un récit fantastique avec un lore bien écrit, quelques rebondissements, quelques surprises et un quatuor de protagonistes attachants quoiqu’un peu cliché. Il y a quelques incohérences et également des personnages qui auraient peut-être mérité plus d’attention. Cependant, on a globalement une histoire prenante qui nous emportera sur la vingtaine ou trentaine d’heures de jeu que nous propose le studio Stegosoft Games aux côtés de Lita et ses compagnons. Ainsi qu’un bel épilogue terminant en beauté le jeu après les crédits, mais également ouvert à l’imagination de tous pour la suite. Pourtant, on ne mentira pas que ceux qui jouent à beaucoup de RPG, notamment ces œuvres fantaisistes de l’âge d’or du JRPG, verront potentiellement juste un récit sympathique dont on devine le déroulé total plusieurs heures à l’avance. Mais c’est le genre de récit prenant qui manque beaucoup de nos jours et qui reste de qualité.
En restant sur cette inspiration des meilleures œuvres du passé, la progression à travers l’histoire est globalement très linéaire. Toutefois, il vous appartient d’aller en ligne droite dans le récit du jeu ou d’explorer les terres d’Ara Fell. Bien qu’il y ait quelques quêtes annexes à accomplir dans le jeu, on ne vous mentira pas en disant que la plupart sont des quêtes Fedex sans véritable saveur. Qu’est-ce qui peut vous motiver à explorer et pas suivre le récit ? La beauté des Terres certes, mais également la récolte de matériaux afin de renforcer vos protagonistes, le Lore du jeu dissimulé à travers quelques récits dans des bibliothèques et quelques dialogues avec les PNJ ou des éléments faisant écho à chacun des héros de votre groupe.
Restons honnêtes également sur le fait que bien que le jeu vous donne un semblant de-liberté, cette pseudo liberté est très encadrée notamment par des zones inaccessibles sans avoir progressé dans l’histoire principale ou parfois par le niveau des monstres qui se feront un malin plaisir à vous renvoyer sur l’écran de game over. La dernière barrière est relative, car vous pouvez jouer en “Story Mode” qui vous permet de jouer le jeu pour juste apprécier l’histoire et ne vivre aucune frustration de combat. Ce qui paradoxalement parlant nous pose la question de savoir si les développeurs ont pris la meilleure voie en s’aventurant dans le RPG.
Un combat pour le monde qui manque d’impact
En effet, cela réduit de manière significative l’impact que peut avoir un combat ainsi que son impact dans le récit du jeu, si on peut totalement le skiper. Cela signifie potentiellement aussi que le studio n’avait pas confiance en son système de combat ou peut être sur l’équilibrage du jeu. Après tout, un RPG sans combat devient un genre de Visual Novel. À choisir, autant directement proposer un Visual Novel. Ce “Story Mode” est certainement le témoignage de l’hésitation du studio à pleinement assumer leur voie en cherchant à satisfaire tout le monde. Sans pour autant complètement critiquer la chose puisque le “Story Mode” conviendra certainement à ceux qui bloquent face à la moindre difficulté du jeu.
Cependant, ces joueurs se retrouveront face à un genre de Visual Novel, mais sans les illustrations d’un Visual Novel et des sprites 2D d’un RPG old-school. Se pose alors la question de savoir se qui composent les mécanismes de gameplay autour des combats du jeu afin de savoir si un mode Story était nécessaire et si oui pourquoi? Pour répondre directement, Ara Fell semble s’adresser de prime abord à ceux qui connaissent le RPG et notamment ceux des anciennes époques. Ces joueurs sont normalement conscients du genre de jeu qu’ils auront, ainsi le mode “Story” n’a de fonction que de réduire l’impact émotionnel des combats importants du jeu.
Ara Fell nous propose des ennemis visibles sur la carte et l’affrontement commence dès que vous entrez en contact avec eux. On est sur un système de combat au tour par tour très classique avec saisie de commandes diverses à l’arrivée du tour de votre personnage. Vous avez en haut de l’écran, l’ordre des tours de chacun des individus en combat. Il s’agit de réfléchir à vaincre vos ennemis en prenant en compte cet ordre puis tirer avantage des capacités et magies de vos alliés au mieux pour accéder à la victoire. La particularité, ici étant que les PM se recouvrent à un certain taux chaque tour, ce taux dépend de la progression de votre personnage. Du coup, il ne faut pas avoir spécialement peur d’utiliser ces PM. Enfin, à la fin de chaque combat, votre groupe est totalement soigné.
À la fin des combats vous recevez de l’argent, mais surtout des points d’XP qui peuvent faire progresser vos personnages. À chaque montée de niveau, vous avez 10 points de stats à attribuer librement sur 4 caractéristiques principales de vos personnages. Ces 4 caractéristiques influencent plus ou moins plusieurs éléments. Par exemple, la Vitesse augmente votre taux d’esquive ainsi que votre taux de critiques. Vous avez ainsi la liberté de faire progresser vos personnages selon votre manière de jouer. Il est même possible de reset totalement l’attribution des points afin de les replacer d’une autre manière. Chaque joueur aura ainsi normalement un groupe de protagonistes élevé différemment.
“Normalement”, comme pour le “Story Mode”, le développeur a peut-être eu une nouvelle hésitation sur ce point et procédé à un genre de « rétro-pédalage ». Effectivement, nous sommes libres d’avoir un Lita axé Défense et en faire une “Tank”. Pourtant, les capacités de nos personnages sont en revanche fixes. Chacun de nos protagonistes possède 5-6 techniques de combat. Ces techniques lui sont propres et ne peuvent pas s’échanger. Vous pouvez ainsi avoir une Lita “Tank”, mais elle aura toujours ces techniques de soin ou d’archerie. Des techniques nécessitant plutôt d’avoir un bon taux de récupération de MP à chaque tour, une bonne puissance et un bon taux de critique donc rien à avoir avec la défense et la fonction de “Tank”. Une attribution de point libre, mais encadré. Chose assez étrange…
À cela s’ajoutent tout de même quelques mécaniques sympathiques comme le fait de pouvoir évoluer de classe en avançant dans le jeu ou encore le fait de retrouver un personnage avec des stats bridées s’il a été mit KO en combat. Obligeant ainsi le joueur à se reposer dans un genre d’auberge afin de lever ce muselage de stats. Ça donne un genre de réalisme et d’empathie avec ses personnages, lorsque l’on tombe en combat, on aura du mal à revenir à 100% de sa forme après tout. Ces mécaniques nous laissent apprécier des combats très classiques dans le genre dont la difficulté vient surtout du fait que les ennemis sont des sacs à PV.
Aucune raison de passer en “Story Mode” du coup, en vrai, il s’agira de monter de niveau et faire progresser ses personnages. D’ailleurs, ceux qui prendront le parti d’explorer un peu le monde avant de poursuivre l’histoire reprendront potentiellement le récit en ayant déjà trop de niveaux par rapport à ceux des ennemis du jeu. Paradoxalement, les explorateurs rouleront ainsi potentiellement sur tous les combats du jeu. Encore une fois, on comprend tout de même ceux qui n’auront pas ce temps à consacrer à leur personnage et qui trouve bénéfique ce mode sans combat.
Terminons sur le rendu du jeu montrant toute la maîtrise du studio dans ce style du pixel-art. Le jeu est vraiment magnifique et rend visuellement un grand hommage aux plus beaux RPG 2D de l’époque SNES. Cela même sans invoquer l’argument de l’innovation 2D HD comme l’a fait un certain grand studio avec Octopath Traveler. Le budget est différent ainsi que la qualité globale, mais cela n’empêche pas le moteur Unity de proposer avec Ara fell, un très beau résultat coloré plein de détails et plein de vie. Que ce soit quelques sprites de poisson nageant dans les lacs, les insectes et animaux présents dans la nature ainsi que quelques efforts sur la météo.
Le studio réfléchit même à quelques expressions de visage, difficilement visible via le Pixel-art, mais plus facile à voir via des mini illustrations de la tête des personnages accompagnant leurs lignes de dialogue. Si défaut-il y a, on relèvera un certain manque de folie, d’impact et de punch sur les animations de combat et des techniques. Reste à évoquer la bande-son du jeu qui se calque un peu avec la réalisation du jeu. Les quelques pistes accompagnant votre aventure sont magiques et on ressent toute la fantaisie de l’histoire juste avec la musique. Pourtant, les thèmes manquent également de punch notamment pour accompagner les combats du jeu. On a les thèmes d’explorations qui continuent durant les combats voire même durant les affrontements de boss parfois. Les mélodies sont jolies, mais sortent un peu du contexte lorsqu’on les entend en combat. Enfin, en entendant le même thème d’exploration sur la carte et en combat, cette même musique aussi belle soit elle devient répétitive.
Conclusion
Les indépendants tentant leur expérience dans le RPG classique en pixel-art sont nombreux sur Switch. Ils sont nombreux à tenter, mais ils sont également nombreux à proposer une expérience tout juste convenable, classique sans prise de risque et finissent dans les méandres de l’eShop. Ara Fell Enhanced Édition est un bon cru du RPG indépendant et on le placera sans mal parmi les plus beaux hommages des anciens RPG sur Switch. Imparfait et hésitant sur certains points, il n’en reste pas moins suffisamment enchanteur pour capter toute votre attention pour peu que vous lui laissiez sa chance. En ce qui nous concerne, notre aventure avec Lita et ses amis fut entraînante et on serait ravi de retrouver ce petit monde un jour peut-être.
LES PLUS
- Une réalisation en pixel-art exemplaire
- Plein de vie et plein de détail
- Une bande sonore enchanteresse, mais ...
- Des mécanismes de gameplay RPG classique, mais efficace
- Un scénario magique avec quelques rebondissements
- Un lore intéressant à relever
- Des personnages attachants et bien écrits
- Une durée de vie convenable pour le genre
- Le Story Mode pour les nuls...
LES MOINS
- Ça manque d’animations impactantes en combat
- … qui manque de folie et devient répétitive
- Un récit en vérité classique dont on peut en deviner le déroulement
- Des personnages peut être clichés
- Et d’autres personnages qui auraient mérité un développement
- Un déroulement très linéaire de l’histoire
- Des annexes majoritairement “Fedex”
- La “pseudo liberté” de customisation de progression des personnages
- Peut-être un peu de farm
- Mais les explorateurs rouleront en fait sur le jeu
- … Du coup en vrai pas besoin du Story Mode
- Uniquement en anglais (ou japonais)