Lost Words : Beyond the Page fait partie de la liste de jeux, encore trop peu nombreux, qui cherchent à faire ressentir une émotion en abordant des thèmes douloureux sur notre média préféré. Tout en finesse et en délicatesse, à la manière de Rime ou de Gris, le titre du studio Sketchbook Games aborde la perte d’un être cher sans faux-semblant, mais avec beaucoup d’humanité. Est-ce suffisant pour en faire un immanquable de nos Nintendo Switch ? La vision que nous avons du jeu vidéo est en grande partie au cœur de la réponse à cette question.
Parler de ses peines, c’est déjà se consoler. (Albert Camus)
Le jeu vidéo peut-il aborder des thèmes matures de manière à faire réfléchir tout en émouvant son public ? Évidemment que oui, beaucoup de titres ont déjà su retourner le cœur des joueurs en parlant poétiquement de la difficile reconquête de sa vie lorsqu’un décès vient la bouleverser. C’est au tour de Lost Words d’apporter sa pierre à l’édifice à travers une narration magnifique maîtrisée de bout en bout.
A la baguette de ce scénario, dont nous ne vous dirons absolument rien pour éviter tout spoil, il y a Rhianna Pratchett. Déjà auréolée de gloire après son travail sur Mirror’s Edge ou Thief, et faisant partie du trio de tête des cent femmes les plus influentes du jeu vidéo, elle nous propose, avec Lost Words, deux histoires imbriquées l’une dans l’autre. Celles-ci narrent la vie d’Isabella et de son héroïne. Ces deux jeunes femmes devront résoudre les problèmes moraux qui se poseront à elles pour retrouver la joie de vivre.
Ces deux scénarios se répondent et avancent conjointement jusqu’à leur dénouement. L’histoire d’Isabella est tour à tour attachante puis poignante, elle ne tombe jamais dans la facilité et sonne on ne peut plus juste. Sa narration est un modèle du genre. Nous découvrons cette histoire petit à petit via les déambulations de notre avatar sur son journal intime. A la manière d’un jeu de plateforme aux couleurs pastel, ce sont les émotions de notre héroïne qui viennent éclabousser notre écran tandis que nos larmes ne sont jamais loin d’en faire de même.
Nous prenons ensuite le contrôle de l’héroïne de son monde imaginaire. L’histoire narrée est alors bien plus classique. Il nous faudra diriger une jeune gardienne de lucioles, dont l’univers est mis à mal par la venue d’un dragon destructeur. Sa quête la mènera alors dans différents lieux, dans le but de restaurer l’équilibre de son monde. Sans être décevante, cette histoire n’est toutefois pas au niveau de la profondeur de la narration de la première partie. Nous suivons les aventures sans vraiment nous attacher à ce personnage contrairement à celle de son autrice.
Ces histoires s’alternent très régulièrement et l’intérêt du titre de Sketchbook Games ne faiblit jamais tout au long des 6 heures de jeu nécessaire pour en venir à bout. L’écriture quasi parfaite de Rhianna Pratchett est mise en exergue par un doublage de qualité. Entièrement en anglais, l’actrice personnifie parfaitement notre héroïne et nous fait ressentir les émotions qu’elle ressent tout au long de cette double aventure.
Toute la mauvaise poésie naît de sentiments sincères (Oscar Wilde)
Les sous-titres de cette histoire sont directement incrustés dans les décors en utilisant une police d’écriture adaptée à l’action et au niveau en cours. Nous menons notre héroïne au milieu de ses propres commentaires, augmentant encore plus les sentiments ressentis, tout du moins lorsque nous parcourons le journal intime. Dans la partie de l’aventure créée par Isabella, ces sous titres prennent trop d’importance au détriment du gameplay.
Celui-ci est aussi en deux parties. Dans le journal intime, nous devrons juste sauter de texte en texte pour faire avancer la narration. Cela peut paraître rébarbatif, mais les émotions qui y sont véhiculées sont tellement fortes que ces phases défilent bien trop vite. Des petites séquences supplémentaires viendront ajouter une couche à ce gameplay. La plupart du temps, elles consisteront à prendre un mot et, en jouant avec celui-ci, modifier notre journal intime pour ainsi faire avancer l’histoire. Là encore, cela semble simpliste, mais chacune de ces séquences est inventive et sert parfaitement la narration.
Dans la seconde partie, le gameplay est basé sur l’utilisation de pouvoirs magiques basés sur des mots. A nous de les utiliser pour débloquer des situations. Nous jouons alors à un puzzle plateformer bien trop classique qui ne possède plus le charme de la narration pour cacher son manque de renouvellement. Durant toute cette partie de notre aventure, seul six mots seront utilisables, et il sera très rare d’avoir à en utiliser plus de deux différents par niveau. La question du public visé par le titre de Sketchbook Games se pose sérieusement tant la difficulté est inexistante.
En étant l’une des seules exclusivités de Stadia à son lancement, nous aurions pu nous attendre à un titre d’une certaine maturité aussi bien dans la narration que dans le gameplay. Or, si la narration est à la hauteur, l’absence de challenge tout au long de l’aventure en fait un titre extrêmement contemplatif. Toutefois, cette simplicité permet de ne jamais sortir de cette ambiance et de cette histoire. Le plaisir que procure Lost Words dépend fortement de ce que nous attendons d’un jeu vidéo : un divertissement ou un moyen de réfléchir au monde qui nous entoure.
La technique de ce portage sur nos Nintendo Switch est correcte. La partie narrée par le journal intime est magnifique. La direction artistique fait la part belle aux dessins aux couleurs pastel, faisant ressortir les émotions ressenties par Isabella. Les jeux de couleurs ont aussi une grande importance. Si les jours sombres se parent de teintes tristes, les moments de joies sont dépeints dans une débauche de couleurs gaies. Ces modifications sont toujours parfaitement adaptées à ce que vit notre héroïne et nous mettent encore plus au diapason de ses sentiments.
Son monde imaginaire est malheureusement en deçà. En nous faisant parcourir un univers trop classique de forêt, de désert ou de grottes, la direction artistique tranche violemment avec ce qui la précède. Sans être mauvais, les graphismes sont bien bien convenus et des saccades viennent gâcher une partie des deux premiers niveaux. Ils disparaissent par la suite, mais cela nuit à l’expérience du début de l’aventure. D’autant plus que des bugs ont tendance à bloquer notre progression nous obligeant à relancer la partie au dernier checkpoint. Ceux-ci sont heureusement assez peu nombreux.
Conclusion
En offrant une narration magnifique tout au long de ses deux histoires qui s’imbriquent et s’alternent parfaitement, Lost Words : Beyond the Page aurait pu être un must-have de nos Switch. Malheureusement la trop grande différence de réalisation entre ses deux parties en fait une expérience bancale. Bien que vraiment poignant à certains moments, des soucis techniques et un manque de variété dans son gameplay rendent le titre de Sketbook Games trop inégal. Il n’en reste pas moins un titre extrêmement plaisant à parcourir tout au long des six heures nécessaires pour en venir à bout, et cela, à un tarif raisonnable de 15€.
LES PLUS
- La direction artistique du journal intime est magnifique
- La narration du journal intime foisonne d’idée de mise en scène
- L’histoire est poignante
- Isabella est un personnage très attachant
- La musique s’adapte parfaitement à toutes les situations
- Entièrement traduit en français
LES MOINS
- La modification de notre environnement grâce à des mots est trop peu exploitée
- Des soucis techniques qui gâchent l’expérience