Après avoir longtemps cultivé le riz et exploré la fiction inspirée des mythes japonais anciens de Sakuna l’année dernière, nous sommes invités ce printemps à explorer les anciens mythes chinois. Le studio chinois NEXT Studio nous propose une expérience Hack’n slash pour accueillir les premières floraisons du printemps 2021. Plongeons ainsi dans le récit tranchant de Bladed Fury.
Ji comprends rien
Avant Jésus-Christ, alors que les peuples européens comptaient le temps grâce aux grecs et aux romains, en Asie, la Chine vivait sa période des “Royaumes Combattants”. Une période qualifiée de “pré-impériale” durant laquelle la Chine était divisée en sept grands états en conflit. Le Royaume Qin en sortira vainqueur et unifiera ces Royaumes. C’est une période historiquement importante de la Chine antique marquée par un développement important sur le plan technologique comme idéologique.
Bladed Fury n’ira pas aussi loin dans l’histoire chinoise : le jeu ne fait que s’inspirer de cette antique période et s’en sert pour contextualiser ses événements. Nous sommes dans le Royaume de Qi et non celui de Qin dont on vous parlait précédemment. Le royaume de Qi fut également un des royaumes de cette période antique. Gardez simplement en tête que nous sommes dans l’histoire chinoise et que de nombreux termes et noms peuvent se ressembler et se confondre. Notamment chez la majorité d’entre nous occidentaux pour qui la culture chinoise est mal connue.
Nous sommes donc au Royaume de Qi, plus précisément au palais royal. Nous assistons à une discussion entre la princesse cadette Ji et sa sœur aînée Shu. Tian, un officier du Roi Duke Kang, lui-même père de Shu et Ji, complote contre les Qi. Nous démarrons justement le récit au moment même où Tian met en œuvre ses plans afin de défaire le Roi Duke Kang et s’emparer du Royaume de Qi. Shu semble promise à Tian alors que Ji soupçonne un traquenard.
Malgré les mises en garde de sa sœur aînée, tentant de préserver Ji du chaos des querelles de Royaume, cette dernière n’écoutant que son cœur part interroger son père sur les évènements en cours. Elle se trouve nez-à-nez avec un démon et l’abat. Pour les sujets du Roi et fidèles de Tian, c’est un acte de trahison envers le Roi. Ji se retrouve poursuivie par les soldats du palais et réussit à s’échapper grâce à sa sœur Shu qui malheureusement sera emprisonnée.
Du point de vue de Ji, le démon n’était pas son père. Elle se lance donc dans une aventure en quête de celui qui s’en est pris à lui mais aussi de vérité. Elle se retrouve dans des contrées occultes où règnent des entités de la vie et de la mort. Si vous n’êtes pas familier avec les mythologies chinoises ainsi que leur grande histoire, le récit de Bladed Fury peut complètement vous perdre. Il n’y a pas tellement d’explications sur de nombreux éléments et la traduction uniquement anglaise du texte avec doublage chinois ne vous aidera pas à la compréhension.
On se retrouve avec une courte quête de vérité à travers les Royaumes de la Chine de cette époque. Un récit sur fond de guerre de succession, de trahison, d’inceste, de lutte fratricide dont on identifie déjà difficilement les protagonistes, leurs camps ou leur lien si l’on n’est pas familier aux contes chinois. Ajoutez à ça, des histoires d’esprits, de démons antiques tirant les ficelles et liées au chaos du cœur humain. Vous obtiendrez ainsi un scénario dont on ne comprend pas tous les aboutissants et dont on a surtout retenu qu’on incarnait la princesse Ji qui cherche à comprendre des choses sur son père et qui tente d’aider sa sœur ainée Shu…
Il faut dire que le jeu ne prend pas le temps de poser les choses ni de proposer un lexique voire un arbre généalogique des personnages. On enchaîne juste les dialogues et on amasse toutes ces informations en se forçant à les digérer sans véritablement les comprendre. La fin en devient hilarante d’incompréhension : on ne sauve pas la sœur de Ji et la morale « il faut s’attendre à tout dans la vie » nous laisse pantois.
Le rideau tombe alors sur cette aventure en égrainant quelques phrases d’accroche afin d’imaginer les fins possibles de cette histoire qui reste totalement ouverte à une éventuelle suite. Pas de New Game+ en récompense, juste un simple mode Challenge. Un Boss rush où vous enchaînez les combats en tentant d’effectuer le meilleur temps. Pour vous donner une idée plus précise de la durée de vie, notre sauvegarde en fin de partie indiquait trois heures de jeu. Une récompense bien maigre pour un jeu vendu aux alentours de quinze euros.
Une furie chinoise sur Switch
Si l’histoire est assez difficile à comprendre, le gameplay dynamique du jeu se prend bien en main. Bladed Fury nous propose un Hack’n slash en 2D colorée prenant en TV comme en portable. On est dans un genre de Oboro Muramasa pour les connaisseurs de l’époque Wii ou de Sakuna pour citer un titre plus récent sur Switch. On progresse sur des niveaux en 2D avec quelques petites phases de plate-forme et surtout des ennemis qui barrent la route de temps à autre. Dégainez votre épée et enchaînez les combos afin de vider les barres de vie et poursuivre votre route.
Une touche pour les coups faibles, une autre pour dégainer une épée divine plus grosse, plus lente et plus puissante. Une touche pour le saut, une autre pour l’esquive puis une autre pour la garde. Il ne vous reste plus que la gâchette ZL pour invoquer un esprit qui déclenche une puissante offensive ou la gâchette ZR pour utiliser un talisman qui vous rend de la vie. Plusieurs esprits déclenchant plusieurs effets peuvent être assignés. En fait, en appuyant sur ZL rien ne se produit encore, il faut maintenir la touche et appuyer sur un des esprits assignés sur les touches X, Y, A ou B afin d’invoquer un esprit.
Autrement dit, vous pouvez assigner jusqu’à quatre esprits. Notez qu’il n’y a que six esprits dans le jeu et pas forcément autant de niveaux de jeu. C’est-à-dire que certains niveaux vous permettent d’en débloquer plusieurs, ce qui illustre encore la durée de vie très courte du jeu. Chaque esprit invoqué déclenche alors sa puissante technique avant de s’évaporer sans possibilité de le réinvoquer immédiatement. Chaque esprit peut être invoqué un nombre limité de fois et possède d’ailleurs un compteur associé à ces possibilités d’invocation. Ce nombre diffère d’un esprit à l’autre, certains ne peuvent être invoqués qu’une fois tandis que d’autres, trois fois.
Vous serez tenté de penser que l’on ferait mieux de préserver ces esprits pour la fin si leur invocation est limitée. Effectivement leur utilisation est limitée comme le nombre de talismans qui peuvent vous rendre de la vie en mission. Toutefois, tous ces chiffres se réinitialisent lorsque vous arrivez à un point de sauvegarde. Aucune inquiétude du coup, enchaînez vos combos et usez de vos esprits en essayant tout de même d’en garder en réserve en vue de potentiel affrontement d’ennemis coriaces avant un point de sauvegarde.
La progression est ultra-linéaire. On avance à travers des pièces agencées comme un Castlevania avec quelques mécanismes à activer ici et là afin de pouvoir progresser toujours plus loin. Le risque de ce genre, c’est d’y voir de nombreux allers-retours mais Bladed Fury s’en sort en proposant cet agencement sur différents environnements. Chaque environnement est un niveau de jeu avec sa propre mécanique afin de progresser dedans. On a par exemple un niveau avec une mécanique de tablette à disposer sur un tableau afin d’ouvrir l’accès aux salles de celui-ci.Un autre nous proposait une mécanique de lampe spéciale à activer afin d’ouvrir l’accès à l’ultime salle du niveau.
On évolue souvent en avançant et en revenant très peu sur nos pas ce qui en définitive limite ce risque de sentiment d’aller-retour incessant. En revanche c’est également ça qui participe à rendre l’expérience courte vu que l’on ne fait qu’enchaîner des salles et des combats avec quelques dialogues au milieu pour raconter le peu d’histoire du jeu. Il y avait certainement un juste milieu à prendre afin d’avoir plus d’exploration avec un développement de lore plus intéressant et ne pas se perdre dans le piège de l’aller-retour.
Une lame perfectible
Les combats restent jouissifs, dynamiques et addictifs. On se surprend certainement juste à jouer pour se détendre sans en attendre plus de l’histoire ou de l’exploration. Pourtant, sur la courte durée de vie du jeu, on reconnaît que l’on n’a fait qu’avancer à travers des pièces jusqu’au boss en martelant les attaques faibles, fortes, esquives et invocation d’esprit. Avec du recul, c’est une expérience qui peut être répétitive même sur 3h de jeu mais elle reste défoulant tout de même.
Aussi prenante et addictive soit l’expérience, elle est loin d’être parfaite surtout si l’on compare à certains ténors du milieu. On commencera par évoquer la portée relativement courte des attaques faibles. On peut avoir l’habitude dans d’autres jeux de voir son personnage donner une attaque faible en continuant à avancer de quelques petites frames sans arrêter son mouvement. Dans Bladed Fury, si vous courez et que vous vous mettez à attaquer, Ji met un coup de frein soudain à son déplacement. Cela forcera un peu votre estimation de portée et vous forcera à être au plus prêt de l’ennemi pour commencer une offensive.
Ce n’est pas un problème contre les ennemis communs mais contre des boss plus puissants, aussi gros soient-ils, c’est un gâchis de se rendre compte que l’on commence une offensive dans le vide. Au-delà de la portée, on a aussi la sensation d’un gameplay assez rigide sur les attaques faibles. On ressent aussi cette rigidité couplée à un genre d’anomalie des frames et hitbox en tentant des techniques de garde parfaite ou de renvoi de projectile avec la grande arme.
Deux techniques sont à débloquer en échange de la monnaie du jeu et font partie des upgrades possibles de Ji sur les points de sauvegarde. Il y a ainsi quelques autres subtilités mais en ne prenant que les deux citées, on peut déjà évoquer que l’on a parfois appuyé aléatoirement sur la garde ou la grande arme pour exécuter les actions. La garde parfaite implique que vous appuyiez sur la touche de garde au moment où une attaque vous touche. En vrai, on arrivait plus à l’exécuter en tentant d’anticiper de quelques frames avant. Alors qu’en la faisant pile au moment de l’attaque, on se faisait simplement toucher.
En soit contre des ennemis faibles on s’en relève et on choisit juste de tout trancher sans se prendre la tête. Contre des boss plus coriaces et plus exigeants, apprendre les patterns des boss peut aider afin d’esquiver leurs offensives et bien les contrer. Mais lorsqu’il faut en plus apprendre à apprivoiser le timing parfois aléatoire de nos techniques pour nous aider à les vaincre, ça devient un peu moins fun.
On se retrouve parfois à ne plus avoir envie de placer les techniques mais juste à taper et prier que les esprits infligent suffisamment de dégâts en nous assistant. En soit, cette solution peut passer, ce qui nous permet de dire que l’expérience n’est pas forcément difficile. Du moins en difficulté normale, Bladed Fury est faisable pour ceux qui persévèrent sur la voie de la technicité comme chez ceux qui voudront y aller en bourrin.
On parlait également de l’invocation des esprits et là aussi on doit souligner une imperfection. Cette invocation n’est possible que lorsque vos pieds sont bien ancrés au sol. Il est impossible d’appeler vos esprits pour lier vos éventuels combos aériens ou simplement vous soigner dans les airs en appelant un esprit soigneur. Chose bien inconfortable qui aurait pourtant ajouter un dynamisme en plus aux combats. D’ailleurs, pour plus de confort avec seulement un total de six esprits, il était certainement possible de faire en sorte d’assigner les six plutôt que de devoir en choisir quatre interchangeables aux points de sauvegarde.
De plus, nous avons constaté quelques chutes de framerate, surtout lors d’affrontements importants quand l’action était intense. L’invocation des esprits crée également des mini-freezes qui peuvent perturber les enchaînements. Impossible que la faute en incombe à la Switch, il est clair que ce sont de légers couacs corrigeables par patch. Toutefois, avec ce genre de couac, si tous les esprits étaient assignables et tous invoqués sur un timing très proche, il est probable que la console n’apprécie pas.
Ajoutons aussi des transitions aléatoires bizarres. Il arrive que l’on soit en plein milieu d’un combat et qu’un nouvel ennemi apparaisse, qu’on commence déjà à le taper mais qu’un écran de chargement incompréhensible se mette en route. On reprend alors directement notre action sans avoir compris cette transition. Encore une fois il s’agit certainement plus d’optimisation que de problèmes liés au matériel, vu ce que certains gros éditeurs tiers ont réussi à faire sur Switch.
On conclura sur la partie artistique qui est très soignée avec une modélisation 2D des décors colorés et réussis. De beaux effets et mêmes de beaux jeux entre ombre et lumière, notamment dans des environnements où l’on observe l’action derrière des paravents par exemple. Le style en estampes asiatiques (notamment sur les personnages et les quelques instants narratifs du jeu) est accompagné de belles calligraphies pour présenter les ennemis importants. On soulignera tout de même un certain vide et manque d’interactivité avec le décor. Il est limité à quelques interrupteurs et pots à casser. La bande sonore est également assez timide et le doublage chinois participe surtout à l’authenticité de l’œuvre mais ne nous aura pas spécialement marqués.
Conclusion
Bladed Fury est un hack’n slash qui attirera l’attention des amateurs du genre par son aspect visuel, son inspiration chinoise ainsi que son gameplay globalement efficace, addictif et défoulant. L’expérience souffre de légères imperfections loin de véritablement tuer le gameplay. Cependant, elle est surtout très courte et son pseudo récit perdra ceux qui ne comprennent ni l’anglais ni le chinois et qui ne sont pas familiers avec les œuvres et les mythes chinois. Ceux qui franchiront le pas ne seront pas nécessairement déçus de l'expérience proposée par NEXT Studio mais nous avouons tout de même qu’elle est légèrement onéreuse pour ce qu’elle propose. À vous de juger selon vos attentes et vos envies du moment !
LES PLUS
- Une réalisation artistique façon estampes, très jolie
- Un gameplay efficace et défoulant
- Les techniques de Ji et la mécanique des esprits
- Peut se jouer technique pour les gros joueurs
- Un mode challenge à débloquer
- Un récit qui peut séduire les amateurs de mythes chinois et asiatiques
- Une bonne expérience hack’n slash en TV comme en portable
LES MOINS
- Petites impressions de vide des décors et manque d’interactions
- Des frames de technique parfois aléatoires
- Pour un total de six esprits invocables, autant tous les rendre assignables...
- Quelques couacs techniques
- Des transitions en plein combat incompréhensibles
- Un récit confus pour ceux qui ne sont pas familier à la Chine
- Ultra-linéaire
- Expérience extrêmement courte, peu récompensée
- Bande sonore timide et doublage chinois quelconque
- Un peu cher