Do Not Feed the Monkeys du studio Madrilène Fictiorama Studio est la preuve que le jeu vidéo est entré dans sa maturité. Bien sûr tout Kevin lisant ces quelques mots pourrait arguer que son Call Of est un jeu mature, mais se planquer dix secondes pour retrouver toute sa vie et assassiner sans vergogne des centaines d’inconnus n’est pas forcément une preuve de maturité. Non, la vraie maturité, c’est lorsque nous faisons face à la cruauté de la vie, à la malhonnêteté de nos contemporains et que se présente à nous le choix d’en profiter. Quand nous lançons une partie et que celle-ci nous met face à nos plus bas instincts, que ferons-nous ? Voici un avertissement sans frais : sans tambour ni trompette, qu’il soit adoré ou haï, Do Not Feed the Monkeys ne laissera pas indifférent.
Chacun de nous accepte la réalité du monde auquel il est confronté. (The Truman Show)
Disclaimer : cet article reflétera sûrement les pensées de son rédacteur, alors pour éviter toute incompréhension, mettons les choses au clair d’entrée. Je déteste le concept même du jeu, ou plutôt je déteste le fait que notre société ai pu en arriver à un point où un tel concept puisse donner un jeu qui en devient une œuvre d’art. Nous vivons dans une société qui glorifie la bêtise et l’argent facile, dans laquelle de nombreuses personnes ne cherchent pas le moyen de faire autrement que de vivre par procuration leur vie à travers celle des autres. Une société dans laquelle les plus puissants des médias profitent de cet état pour faire le plus d’argent possible en avilissant encore plus l’être humain (oui je parle de toi la télévision, de toi et de ta cohorte de décérébrés qui affichent fièrement sa bêtise) et dans laquelle la bassesse d’esprit devient la norme pour trop de jeunes.
Mais pourquoi ce cri au milieu du néant ? Eh bien car toute cette lâcheté et ce renoncement à suivre des idéaux est justement ce qui soutient toute la narration du titre de Fictiorama Studio. Plus troublant encore, Do Not Feed the Monkeys se montre à bien des égards encore plus cynique. Pas de jugement de valeur ici, la seule question est : sommes-nous prêts à tout pour aller le plus loin possible ?
Nous débutons notre histoire dans la peau d’une personne qui peine à joindre les deux bouts. Entre les produits de première nécessité et son loyer, les fins de mois semblent assez difficiles et surtout elles commencent de plus en plus tôt. Heureusement, une amie à nous nous invite à rejoindre le Primate Observation Club. Celui-ci consiste à prendre le contrôle de caméras cachées dans divers lieux et d’en tirer parti. Chacun des endroits disponibles se nomme une cage et les personnes qui y vivent sont nos singes. Faire partie du club signifie devoir les observer puis répondre à un questionnaire.
À chaque fois qu’un événement intéressant se produit, notre écran de contrôle clignote et nous permet de suivre l’action en cours. En observant et en écoutant, nous obtenons diverses informations, qu’à l’aide d’un moteur de recherche, nous pouvons recouper pour avoir la capacité de répondre au questionnaire du club. Facile non ? Et surtout sans conséquence. Sauf que les situations ne sont jamais aussi simples. Que faire lorsque nous observons un paparazzi prendre des photos volées de nus d’une jeune star montante et innocente ? Et pourquoi le club souhaite-t-il des informations sur ce jeune activiste ? Ou encore que faire avec cette personne qui lutte contre sa dépendance à l’alcool ? Beaucoup de questions qui ne trouveront une réponse qu’au fur et à mesure de notre avancée dans leur vie.
Et puis comment comprendre cette règle : Do Not Feed the Monkeys ? Aucune interaction avec notre cible ne doit venir perturber notre étude. Mais peut-on rester indifférent à ce qui se passe devant nous ? Et enfin, n’y a-t-il pas moyen de profiter de ces situations pour améliorer la notre ? Aider la jeune alcoolique, quelle drôle d’idée. Une petite recherche nous apprend qu’elle possède une très bonne assurance vie. Une mort rapide et à nous le montant de la prime. La morale ? C’est justement le point fort du titre des développeurs espagnoles, pas de parti pris, c’est à nous de choisir entre notre profit et son importance ou notre éthique.
Il est très clairement spécifié dans votre contrat que vous ne pouvez pas arrêter. (En direct sur Ed TV)
Do Not Feed the Monkeys n’est pas manichéen, il n’y pas de bien ou de mal, ni de jugement de valeur. La vie est une jungle dans laquelle il nous faut survivre. Voulons-nous être le singe ou l’étudier ? C’est un choix que chacun fera avec sa conscience, mais ressortir d’une partie est toujours un moment particulier tant les situations qui nous sont présentées semblent proches. Ne pas être mal à l’aise face à ce qui se passe à l’écran est impossible. Et pour cela, le titre de Fictiorama Studio tient plus de l’œuvre d’art que du jeu vidéo. Il questionne et interroge sur la société dans laquelle nous vivons mais jamais il ne dévoile de réponses toutes faites.
Mais même une œuvre d’art, en tant qu’œuvre vidéoludique, se doit d’avoir un gameplay accrocheur. Do Not Feed the Monkeys propose des mécaniques assez proches des jeux point’n click. Il faudra récupérer, non pas des objets mais des mots clés. Puis, en associant ces mots et en les regroupant, nous pouvons débloquer de nouvelles informations qui nous permettront d’avancer dans l’histoire.
Celle-ci est basée sur des cycles de 5 jours. En effet, le Primate Observation Club nous impose un défi à réaliser pour pouvoir poursuivre nos activités, ne pas le réaliser entraîne notre radiation du club. Mais notre corps et notre logeuse nous imposent d’autres conditions qu’il ne faut pas négliger non plus. Ne pas respecter notre corps et c’est la mort qui nous attend. Ne pas payer notre logeuse et c’est la rue qui nous tend les bras. Ces trois fins prématurées seront les premières auxquelles nous avons été confrontés. Do Not Feed the Monkeys n’est pas un jeu facile, les interactions possibles entre les nombreux mots récoltés sont nombreuses et, même si elles sont logiques, elles ne sont pas toujours évidentes à trouver.
Mais petit à petit, à force de nouvelles parties et de retour sur des cages déjà connues, nous parvenons à arriver jusqu’au 16ème jour, jour de délivrance qui, en fonction de nos réussites et de notre niveau d’éthique, se conclura différemment. Pour arriver jusque-là, en plus de la possibilité de faire chanter les uns tout en sauvant les autres, il sera aussi possible de trouver un petit job pour se maintenir à flot financièrement. C’est certes pratique, mais cela entraîne une perte de temps qui pourrait nous empêcher d’assister à des événements importants, d’autant plus que le cycle jour/nuit a une importance dans la vie de nos singes. Le choix sera dur et faire le choix de l’argent facile n’en sera que plus attrayant.
La prime sera doublée pour tous ceux qui dénonceront un membre de leur famille. (Running Man)
Do Not Feed the Monkeys est un jeu basé sur l’observation, la réflexion et la gestion de notre environnement qu’il soit numérique ou physique. Toutes les interactions nécessaires se font assez facilement. Le passage de la souris à la Switch a été intelligemment pensé en associant les contrôles des Joy-Con au pavé tactile. Et même si nous regrettons quelques imprécisions concernant cette dernière feature, les raccourcis manette ajoutés nous garantissent une expérience de jeu optimale.
Cette expérience variera forcément en fonction des joueurs. Découvrir et finir d’une façon moralement acceptable ou non l’ensemble des 21 cages disponibles demande un temps non négligeable, même si revenir sur des cages déjà faites est beaucoup plus rapide. La sensation de progrès est vraiment palpable et revenir sur une nouvelle partie apporte beaucoup de plaisir et permet d’avancer plus rapidement vers les objectifs.
D’un point de vue graphique, la satire proposée par les développeurs de Fictiorama Studio opte pour un rendu en pixel art. Celui-ci est très détaillé et permet une plongée dans chacune des petites tranches de vie que nous explorons. Chacune des cages a son style propre et nous plonge des prairies fertiles jusqu’aux bas-fonds de nos villes. Les personnages ont chacun un design différent qui colle parfaitement au vice qui nous est dépeint. La bande originale est plus anecdotique et c’est la seule partie qui n’est pas à la hauteur du reste.
Conclusion
En proposant une vision acerbe de notre société dans laquelle notre survie est en compétition avec celle des autres et dans laquelle tous les moyens sont bons pour prospérer, les Espagnols de Fictiorama Studio frappent fort. Do Not Feed the Monkeys n’est pas à mettre entre toutes les mains et chacun pourra y trouver ce qu’il y cherche. Mais ce n’en est pas pour autant une expérience manichéenne, le choix nous appartient et s’en sortir la morale sauve est tout à fait possible. Il ne révolutionne en rien le monde du jeu vidéo par son gameplay, mais sa narration et les choix qu’il nous propose font une œuvre à part qui ne laissera personne indemne.
LES PLUS
- Les graphismes en pixel art fourmillent de détails
- La narration est parfaite de cynisme
- Jamais manichéen, c’est à nous de trouver notre voie
- Le gameplay associé à la narration sont addictifs
- Les raccourcis à la manette sont les bienvenus
- Une œuvre d’art qui nous met face à nos choix et à notre propre moralité
- Plusieurs embranchements possibles pour chacune des cages
- La gestion de notre vie en parallèle de nos missions pour le club ajoute une couche de gameplay
LES MOINS
- Mais comment en est-on arrivé là ?
- Les contrôles tactiles sont imprécis
- Tout en anglais