Jessika, du studio allemand TriTrie Games, est une expérience vidéoludique. Un jeu qui se termine vite, mais qui persiste à vous triturer les méninges pendant de nombreux jours. Un jeu qui vous empêche de dormir, et qui, à chaque fois que vous vous retournez sous la couette, fait raisonner les mots « et si » dans votre tête. Il est loin d’avoir le gameplay le plus percutant, mais il est quasiment impossible de le quitter avant d’en avoir vu le bout. Alors, après cette introduction en forme de conclusion, il est temps d’étudier un peu plus dans les détails ce titre pour ensuite essayer de lui mettre une note, et ça, je vous prie de croire que ce n’est pas facile.
La FMV mène l’enquête
La FMV, pour Full Motion Video, est un genre à part du jeu vidéo. C’est une sorte de film interactif apparu au début des années 90 avec des nanars tels que Night Trap et Phantasmagoria, qui n’aura connu son heure de gloire qu’avec le jeu d’énigmes The 7th Guest en 1993. Il fut ensuite complètement oublié, mais il est revenu sur le devant de nos écrans en 2015 grâce à la scène indépendante avec Her Story, puis Telling Lies de Sam Barlow.
Le studio colognais Tritrie Games reprend la recette de ces deux ovnis pour nous offrir une réflexion sur de nombreux sujets. Sous la forme d’une enquête menée depuis un ordinateur portable à l’intérieur d’un café, nous devrons tâcher d’en savoir plus sur les raisons qui ont poussé une jeune femme, Jessika, à mettre fin à ses jours. Cette mission nous est confiée par son père. En effet, nous faisons partie d’une société qui aide les gens à accéder aux données de personnes disparues.
En tant que hackers éthiques, nous allons donc devoir explorer les fichiers de Jessika, qui tenait un journal intime sous forme de courtes vidéos. Chaque extrait fera apparaître des mots-clés qui nous permettront d’accéder à de nouveaux documents. Et c’est ainsi que, petit à petit, nous en apprendrons plus sur le parcours qui a mené Jessika au suicide. En dire davantage sur l’histoire qui nous est contée gâcherait complètement le jeu, nous nous en tiendrons donc là. Il faut juste savoir que les sujets abordés sont très lourds et qu’ils sont traités sans langue de bois, mais sans sensationnalisme non plus.
L’actrice, Lisa Sophie Kusz, nous fait partager des moments de vie de Jessika avec émotion. Beaucoup de sentiments contraires nous traverseront durant ce court voyage de trois heures passé en sa compagnie dans cette aventure très dérangeante. Là encore, en dire plus donnerait trop d’indications sur ce qui a fait que Jessika a décidé d’en finir avec la vie. Loin d’être tout blanc ou tout noir, le récit navigue en eaux troubles qui sont le reflet de notre société actuelle, où l’ultra-violence n’est qu’un moyen qu’ont trouvé certains pour pouvoir exister.
Pour nuancer ce récit, nous aurons l’occasion de tchater avec un collègue, ainsi qu’avec le boss de notre entreprise. Ces discussions sont un havre de paix aussi bien pour nous que pour notre avatar. Les touches d’humour s’enchaînent et s’entremêlent avec les conseils sur le partage d’expériences difficiles, qui permet de surmonter les douleurs que nous traînons au quotidien et qui finissent par ternir nos vies.
L’esprit dans la machine
En termes de gameplay, mener l’enquête ne nous demande que de taper des mots dans l’onglet adéquat. De ce point de vue, oublions complètement le mode docké. Devoir saisir les mots au pad, ou devoir cliquer dessus pour les copier, puis changer d’onglet pour ensuite les coller prend un temps considérable, alors que les écrire tactilement en mode nomade est très vite naturel. Il est d’ailleurs regrettable que seul le clavier soit tactile, et qu’il nous faille déplacer un curseur au stick pour naviguer sur notre laptop virtuel.
Très contemplatif, il faudra tout de même au joueur une bonne dose d’organisation pour éviter de se perdre dans les tags rentrés. En effet, chaque entrée dans la barre de recherche supprime le contenu précédent. Toutefois, chaque recherche peut contenir plusieurs vidéos. N’en regarder qu’une en passant à la suivante, d’un autre tag, nous fait perdre beaucoup de temps. Il faut jouer constamment avec les favoris pour éviter de se perdre dans nos recherches. Une fois le coup pris, l’enquête avance bien plus logiquement et facilement.
Avec 175 documents à découvrir via une petite centaine de mots-clés allant de « alone » à « wolf », alternant les vidéos, les conversations numériques ou les dessins d’enfants, nous progressons dans ce monde fait de nuances de gris. La part belle est toutefois donnée aux vidéos, dont l’actrice Lisa Sophie Kusz est la seule protagoniste. Toujours juste dans une palette d’émotions très large, elle est le moteur de ce récit, et sa performance vaut à elle seule la découverte de ce titre. Étant allemande, il est préférable de choisir la langue de Goethe pour la partie audio. Chaque vidéo est ensuite transposée sous forme de texte dans lequel les mots-clés sont surlignés. Ces textes ne sont pas disponibles en français pour l’instant, il faut donc avoir une bonne maîtrise de l’anglais écrit ou de l’allemand pour profiter du titre.
Conclusion
Bien sûr, Jessika est loin d’être parfait. Son ergonomie notamment est largement perfectible. Mais cette enquête en FMV, portée par le jeu de Lisa Sophie Kusz, ne peut pas laisser indifférent. Les thèmes abordés sont forts, et l'humanité sous-jacente de nos discussions fait un parfait contrepoids à la violence qui ressort des monologues de Jessika. Seulement disponible en allemand, en anglais et en chinois, il est réservé à un public capable de s’en sortir dans l’une de ces langues. Il faut espérer qu’une traduction française arrive pour qu’un plus grand nombre de joueurs puisse profiter de cette œuvre si particulière. Les notes qui suivent tentent d’être objectives, mais entre l’amour et la haine, celles-ci peuvent énormément varier sur ce jeu.
LES PLUS
- Le jeu de Lisa Sophie Kusz est toujours juste
- Les thèmes matures dépeignent un monde aux grandes nuances de gris
- Court, mais intense
- La FMV est ici parfaitement utilisé
- Le gameplay fait de recherche de mots-clés est simple et efficace
- Les touches d’humanité de nos collègues font beaucoup de bien
- Le PEGI 16 est à respecter, non pour le côté visuel, mais pour les propos tenus
LES MOINS
- Aucune traduction française
- L’ergonomie en docké est à oublier
- Seul le clavier est tactile, c’est dommage