Souvenez-vous, la plupart d’entre nous l’avions applaudi, immédiatement séduits par ses airs de Zelda-like à la sauce Ghibli, lors de l’Indie World Showcase du 17 mars 2020 : Baldo: The Guardian Owls, dont la date de sortie à l’époque fixée à l’été 2020, n’a depuis cessé d’être repoussée, au point d’instiller le doute dans l’esprit de ses plus fervents partisans… L’équipe restreinte de deux développeurs italiens à l’origine du projet, s’en sortirait-elle aussi haut la main qu’escompté ? Sa déclinaison physique annulée, réponse ce 27 août 2021 dans une version dématérialisée à 24,99€ sur l’eShop.
Du rêve à la désillusion
Nous l’évoquions en introduction, Baldo avait su déchaîner les passions dès l’annonce de sa publication, par sa direction artistique enchanteresse, sa promesse d’un vaste monde à parcourir, de secrets à découvrir et de donjons à conquérir, dans le noble sillage du grand frère au bonnet vert. Le désenchantement n’en est que plus violent une fois le jeu lancé, fébrilement.
Baldo, mon tout beau
Tout démarre pourtant sous les meilleurs auspices. Le jeune Baldo, tiré de sa sieste par l’énigmatique hibou qui le guidera tout au long de sa quête – Ocarina of Time, es-tu là ? -, apprend du bec de l’inopportun volatile que le monde court un grand danger et qu’il va d’abord falloir, pour y remédier, se dégoter une épée. Tiens donc ! L’histoire, nappée d’un voile de mystère quoique familière, suffit à stimuler notre soif d’explorer, l’envie d’appréhender sans tarder notre environnement et ses habitants anthropomorphes.
D’autant que le jeu nous gratifie d’emblée de jolis décors détaillés, de personnages attachants et d’un bestiaire fantastique évoquant tout aussi bien les clients des bains du Voyage de Chihiro, que les paresseux félins du Royaume des Chats, auquel fait écho la paisible bourgade de Naneko, plus avant dans l’aventure. Les mélodies made in Ghibli s’apprécient, la réalisation artistique ravit… N’en jetez plus, nous sommes conquis !
Le premier donjon, sur plusieurs niveaux, donne le ton : au menu, résolution d’énigmes, interrupteurs à activer, fracassage de jarres et déplacement de blocs afin de dégager la voie. Du Zelda dans les grandes largeurs donc, ingénieux et addictif, ce que confirment la plupart des temples qui suivront, aux adversaires belliqueux et tracés volontiers sinueux.
Jusque-là, c’est un sans-faute pour Baldo. Prairies verdoyantes, villages médiévaux, forêts luxuriantes, sommets enneigés et déserts peu amicaux, le tandem de Naps Team a révisé ses classiques… mais échoue au concours d’entrée. On vous explique.
Baldo, ce lourdeau
Sous des abords chatoyants, se niche en Baldo une réelle âpreté qui ne tarde pas à dissiper l’émerveillement des premiers instants.
Nous le disions, le premier donjon donne le ton : aucun tutoriel à l’horizon, ni même d’épée pour commencer ! À bord de l’épave d’un galion à moitié immergée, repère d’un poulpe guère avenant, par trois fois nous succombons sous les coups de tentacules du céphalopode, faute d’avoir compris que nous pouvions lancer au visage grimaçant des ennemis, les vases et crânes qui jonchent le sol vermoulu. Rien, pas un indice visuel ne le laissait présager, de même que les caisses dissimulant d’éventuels passages secrets, ne se laissent parfois pousser qu’en un sens bien précis sans qu’aucun obstacle ne le justifie : les mécaniques du titre se subissent plutôt qu’elles ne s’apprennent, quand elles ne relèvent pas carrément de rigidités d’un autre temps.
Dans l’espoir d’y débusquer conseils et éclaircissements, nous nous rabattons naturellement sur le menu du jeu… Grand mal nous en a pris ! Quel inextricable fouillis, alors que bientôt s’empilent en une liste interminable les quêtes à résolution souvent très lointaine – brouillant au passage le récit, trop éparpillé et passablement mal traduit -, les babioles inutiles dans l’inventaire, en sus d’une carte tout bonnement illisible : impossible de zoomer ou d’y afficher nos objectifs soigneusement hiérarchisés, par la grâce d’icônes différenciées. Aussi faudra-t-il dans le menu déroulant, sélectionner tour à tour les missions, principales ou secondaires, pour espérer distinguer un pâle halo clignotant censé indiquer votre prochaine destination. Une fonctionnalité, déverrouillable tardivement, vous autorise certes à marquer les points d’intérêt… Pas plus d’un à la fois, néanmoins ! On en cherche encore l’intérêt, justement.
La maniabilité du personnage s’avère aussi peu intuitive et ergonomique que l’interface : pourquoi diable avoir attribué à un seul et même bouton la sélection des items et des armes secondaires, nous contraignant à de laborieuses contorsions en combat afin d’ingurgiter une potion de soins, puis rééquiper prestement son arbalète ? La lenteur exaspérante de notre avatar n’arrange rien, le transport d’un pot jusqu’à un interrupteur distant virant au véritable chemin de croix, du fait d’une satanée caméra fixe qui nous empêche d’apprécier correctement les hauteurs, ou simplement d’ajuster notre angle d’attaque. Un écueil typique de la vue en contreplongée, façon 3D isométrique, qu’avait toutefois su éviter le remake de Zelda: Link’s awakening par son level design beaucoup plus épuré, duquel les concepteurs de Baldo eussent été bien avisés de s’inspirer, quitte à pousser la filiation à son paroxysme !
Quelle corvée au final, que d’explorer ces zones labyrinthiques s’étalant sur paliers superposés, au point de ne plus s’émouvoir du bucolisme ambiant qui nous avait d’entrée de jeu enchantés… Vaste monde ? Traître monde aux accès restreints par l’usage excessif d’artifices désuets, bottes de foin ou troupeau de moutons en travers du chemin : on connaît la chanson. Tout aussi crispants, ces recoins vides de sens de temps à autre agrémentés d’un are de terre à retourner, pour y dégoter quelque écu ou racine à ingérer. Si Baldo ne manque pas de gibier à pourfendre et consommables à récolter, encore eût-il fallu qu’un système de crafting ou recettes justifie cette stérile profusion de denrées hétéroclites, aux effets paradoxalement identiques.
Baldo, c’est ballot
La même absence de logique prévaut en matière de gestion de la vie. Outre les chutes régulières, potentiellement fatales, vous apprendrez à vos dépens qu’une collision inopportune avec une chauve-souris, dans cet univers idyllique, vous pénalise autant que le coup de massue du lézard belliqueux croisé plus en amont, à hauteur des deux tiers (!) de votre jauge de santé en début d’aventure. En résultent des combats extrêmement punitifs, largement dominés par vos opposants surpuissants, à la portée d’attaque relativement injuste pour le joueur. Il nous est par exemple arrivé de perdre un cœur avant même d’en apercevoir l’auteur…
Comprenez qu’à ce rythme, l’écran de « game over » devient exagérément récurrent, et le restera tant que vous n’aurez pas rencontré ce PNJ salutaire offrant des cœurs supplémentaires, en échange de runes de puissances qui récompensent les mini-défis, plutôt réussis, dissimulés au cœur des nombreuses cavernes parsemant la map, dans la droite ligne des sanctuaires de Zelda: Breath of the Wild. En raison cependant de l’accumulation de quêtes non priorisées précédemment dénoncée, nous aurions pu tout aussi bien ne jamais croiser l’énergumène et nous contenter, clopin-clopant, du minimum syndical de 4 coeurs jusqu’au générique de fin… Pas assez pour encaisser d’affilée, plus de deux assauts de sanglier !
N’espérez pas non plus des armes légendaires, reconstituables à partir d’artefacts disséminés aux quatre coins du territoire, qu’elles vous sauvent la mise : l’ignorance crasse dans laquelle nous sommes maintenus, complique la chasse à la relique ! Assurez-vous, en attendant, de récolter dans l’environnement suffisamment d’orbes d’énergie afin d’alimenter, le jour venu, l’Arbalète de Lumière, le Marteau de Puissance, le Bâton du Tonnerre et le Masque de Hibou, particulièrement insatiables. Du farming en bonne et due forme, à traquer la moindre touffe d’herbe, le moindre carré de terre à biner en cas de pénurie ! À moins qu’au hasard de vos déambulations, un aimable vendeur ne vous alpague pour vous en vendre à bon prix… Encore faut-il que vos pas vous mènent jusqu’à celui-ci.
Vous l’aurez saisi, nous finissons à notre corps défendant, par nous satisfaire de notre épée première. Qu’à cela ne tienne, avec un peu de patience, vous parviendrez à duper le jeu. L’allonge démesurée de l’ennemi ? Vous apprendrez à l’anticiper en esquivant avant même qu’il n’ait jeté la première pierre, pour le prendre à revers et mieux l’estourbir de votre fleuret. L’IA défaillante peine à contourner les obstacles ? Profitez-en pour acculer l’impudent derrière un rocher et le frapper à travers… À tricheur, tricheur et demi ! Ainsi se dilue à mesure que s’écoulent la bonne soixantaine d’heures sur laquelle compter pour boucler votre périple, la difficulté abyssale des débuts. Non pas que vous maîtrisiez réellement le gameplay, trop imprécis, ou que le jeu se décide à vous faciliter la vie, mais parce qu’aussi retors que lui, vous aurez appris de ses faiblesses et maladresses, sentiment ô combien gratifiant. C’est là qu’enfin le plaisir resurgit… Pas sûr à ce stade, qu’il reste assez d’adeptes pour l’éprouver.
Test écrit à quatre mains avec l’aide de Tumdop qui a corrigé et complété ce test.
Conclusion
Manifestement dévoré par l'ambition mais manquant clairement de finition, Baldo - The Guardian Owls se vautre de tout son long. En dépit de sa direction artistique à la Ghibli invitant à l'exploration et de donjons bien conçus, l'action-RPG dans la veine de Zelda peine à tenir ses promesses, autres que sa durée de vie gargantuesque : la frustration qu'engendrent ses combats approximatifs, l'interface en friche et sa caméra obstinément statique, gangrène chaque session de jeu. Un constat d'autant plus sévère que la déception est amère, alors que dans ses ultimes instants, dès lors ses contraintes assimilées, redécouvre-t-on le plaisir d'arpenter en toute simplicité ses terres ouvertes et ses casse-tête, délestés de la crainte du game over permanent. Trop tard, malheureusement.
LES PLUS
- Une direction artistique sublime à la Ghibli
- La bande-son, enjouée et adéquate
- Les donjons, peu avares d’énigmes
- Un vaste monde ouvert qui regorge de secrets
LES MOINS
- Aucun tutoriel
- Des mécaniques de jeu datées et peu intuitives, ni même expliquées
- La mappemonde, dédale abominable
- Le récit brouillon, pollué par l'accumulation de quêtes non hiérarchisées
- Les chutes inévitables et punitives
- La caméra fixe qui nuit à l'appréhension globale des situations
- Les game over à répétition
je suis déception, je suis tristesse
mais je ne suis pas étonné vu la difficulté pour mener à bien un tel projet pour un studio indé
Quel dommage, le jeu faisait envie.
Arf, vraiment dommage 🙁