Pour beaucoup de joueurs dont la culture vidéoludique a débuté avant le milieu des années 90, les jeux en FMV, simplifions en parlant de films interactifs, ne sont qu’un accident à oublier. Et pourtant depuis quelques années, nous assistons à une espèce de revival de ce genre avec des projets atypiques, mais réussis tels Her Story ou Jessika, tandis que des productions, plus proches d’un téléfilm interactif, tels Night Book ou The Complex, manquent encore de moyens pour fournir une expérience réellement intéressante et accrocheuse. C’est pourtant dans cette seconde catégorie que se classe Bloodshore, une production de Good Gate Media et de Wales Interactive. Va t-il réussir à relever le niveau moyen des FMV ? La réponse arrivera en fin de test… Si vous y survivez !
Running youtuber Man
Dans Bloodshore, il faut bien avouer que tout a foutu le camp. La grande majorité de la population mondiale est devenue accro à un programme nommé Kill/Stream. Pour savoir en quoi consiste ce sympathique flux de données télévisuelles, il suffit d’imaginer notre époque qui glorifie aussi bien le moindre péquin se prenant pour quelqu’un d’important, car il est capable de jouer à Minecraft vingt heures d’affilées, que la bimbo de télé-réalité incapable d’aligner trois mots sans faire huit fautes de français. Une fois cela bien en tête, imaginons que les enfants des enfants des enfants nourris à ce régime pendant toute leur vie se soient reproduits entre eux et tentons de visualiser de quoi ils seront capables… inquiétant non ?
Eh bien c’est tout simplement ce qu’ont fait les scénaristes de Bloodshore, en s’inspirant fortement de Running Man et de Battle Royale, le film de 2000 dans lequel des adolescents doivent s’éliminer jusqu’au dernier sur une île. Ils ont ensuite mis ces deux films à jour en y ajoutant des youtubers et le tour est joué. Cinquante personnes sont larguées par avion sur une île. Par groupe, ils devront survivre jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Notre équipe est formée de vloggers, de twitchers, de pro-gamers et de Nick Romeo, un comédien en plein marasme qui cherche à relancer sa carrière, que nous incarnons tout au long de l’aventure.
Nous déambulons ainsi en compagnie de huit des plus grands esprits qu’a pu produire cette époque et assistons à leur décès plus ou moins ridicule. Et c’est le principal problème avec Bloodshore. Il ne semble pas savoir où il va. Entre nanar magnifique, au moment où l’un des méchants marche stupidement sur une mine et asperge son camarade avec des morceaux de son anatomie, et film qui tente de dénoncer les dérives d’une entreprise et de médias qui exploitent les plus faibles et pauvres de notre société en leur faisant miroiter une gloire aussi vide qu’éphémère.
Il navigue toujours entre deux eaux tout comme ses acteurs. Le découpage en séquences courtes entrecoupées de choix ne leur laisse jamais la possibilité de développer réellement leur personnage et si certains s’en sortent convenablement dans ce jeu de chaises musicales, d’autres surjouent clairement avant de revenir à un peu plus de sérieux. Ce manque d’homogénéité empêche tout attachement de notre part envers ces antihéros déjà peu sympathiques de base.
Mais où qu’il est le gameplay ?
L’ensemble de Bloodshore consistera alors à orienter Nick à travers ses actions via des choix régulièrement proposés tout au long des 90 minutes que dure chaque visionnage. Nos choix influeront sur l’histoire, mais aussi sur six statistiques qui auront, elles aussi, une répercussion sur la suite des événements. Avec quel (le) membre de l’équipe déciderons-nous d’avoir une romance ? Privilégierons-nous le spectacle à l’humanité ? Serons-nous capables d’arriver au bout de cette aventure indemne pour en démêler toutes les ficelles ? Beaucoup de questions dont nos choix dicteront les réponses obtenues à travers les quelque 300 saynètes visionnables.
Si en termes de narration nous oscillons tout doucement autour du film de genre, en termes de gameplay, c’est beaucoup moins intéressant. Globalement, nous visionnons des séquences de durées variables avant de choisir un embranchement dicté par un choix. Est-ce un choix judicieux ? Pas forcément. Si le rêve de pouvoir choisir soit même la suite de notre histoire est intéressant sur le papier, Joy-Con en main, cela casse complètement l’immersion. Nous ne sommes jamais dans le film, mais nous ne jouons pas vraiment non plus et les 90 minutes nous semblent parfois bien longues.
D’autant plus, qu’au moment où sont écrites ces lignes, il est impossible de mettre en pause notre aventure pour y revenir plus tard. Il faut absolument aller au bout une fois que nous avons commencé. Une sortie en cours de visionnage entraîne automatiquement une reprise au début sans aucune possibilité de passer certaines phases pour en arriver directement au choix. C’est le degré zéro de l’ergonomie. Peut-être est-ce un bug, vu que le menu affiche bien un « reprendre », mais à l’heure actuelle, c’est tout ou rien.
Pour profiter de Bloodshore, il nous faudra nous contenter des sous-titrages en français, nous n’avons pas droit à un doublage dans la langue de Molière. Le problème c’est que certains passages semblent avoir été oubliés durant la phase de programmation et nous nous retrouvons avec des acteurs qui continuent leurs dialogues sans que nous ayons la traduction qui s’affiche. Ce n’est jamais très compliqué, mais pour ceux qui ne maîtrisent pas la langue du quinze de la rose, ils vont se retrouver avec de grands blancs durant ces phases.
Conclusion
Comme pour toute œuvre, Bloodshore possède plusieurs niveaux de lecture. Faut-il y voir une critique acerbe du monde des médias qui fondent leurs bénéfices sur la soif de reconnaissance d’une jeunesse qui a perdu son sens de l’humanité ou est-il juste un nanar qui surfe sur la vague des battle royal de manière opportune ? Il ne s’attarde jamais sur les points qu’il aborde, rien n’en ressort si ce n’est le manque de maîtrise des sujets évoqués. Il n’en reste pas moins un FMV au contenu conséquent, mais au gameplay extrêmement limité et à la réalisation pas exempte de gros défauts telle l’impossibilité de mettre en pause une partie pour la continuer plus tard.
LES PLUS
- Bloodshore propose une pseudo-critique des médias actuels et de la starification à outrance...
- Certains acteurs sont plutôt inspirés…
- Les choix sont bien présents et influent sur la suite de l’histoire…
- Des passages nanardesques magnifiques...
- La qualité graphique est au rendez-vous en docké comme en nomade
LES MOINS
- … mais elle est noyée dans les scènes de film de genre
- … tandis que d’autres surjouent lamentablement
- … mais ils cassent le rythme de la narration
- … qui tentent de cacher un gros manque de moyens
- Les bugs de sous-titrages sont parfois gênants
- L’impossibilité de sauvegarder est pénible