Il y a des jeux qui commencent par nous agripper uniquement grâce à leur jaquette de présentation et qui ne nous lâchent plus une fois que nous sommes aux commandes de notre protagoniste principal. Citizen Sleeper tente une entrée dans cette catégorie avec une image de présentation qui ne laisse rien au hasard et qui rappelle les grandes heures des humanoïdes associés. Une station spatiale qui semble faite de brique et de broc dans des tons chauds et un unique personnage qui nous tourne le dos. Voilà de quoi titiller grandement notre intérêt. Quand nous apprenons que le studio responsable n’est autre que Jump Over the Âge, la tentation de jouer devient trop forte. Voici maintenant pourquoi nous n’avons absolument pas regretté ce voyage.
La vérité est au fond des rêves
Tout commence par un réveil brutal. Un réveil froid dans un caisson de stockage. Nous sommes un Sleeper. Notre corps n’est plus celui qui nous a accompagnés depuis notre naissance. Nous avons troqué celui-ci contre une enveloppe synthétique et une servitude à la compagnie propriétaire, Essen-Arp. Mais vivre une vie à travailler pour payer notre nouveau corps ne nous intéresse plus et nous avons pris la fuite vers le seul endroit qui semble capable de nous offrir une chance de nous reconstruire un futur : la station spatiale Erlin’Eye.
Ce vaisseau n’est rien d’autre qu’une ancienne station abandonnée par une corporation et maintenant aux mains de toute une série de factions qui ne cherchent qu’une chose, agrandir leur sphère d’influence. À nous de nous y faire une place et de réussir à survivre à tous les défis qui vont se présenter à nous. Le premier d’entre eux sera de trouver de quoi gagner notre pitance, car notre nouveau corps a besoin lui aussi de nourriture.
Il faudra aussi trouver le moyen de désactiver la balise qui indique aux tueurs d’Essen-Arp où nous trouver tout en mettant un terme à l’obsolescence programmée mise en place par cette même compagnie pour empêcher leur locataire de se faire la malle. Mais tout ça ne sera que le point de départ d’une histoire bien plus vaste qui nous amènera à faire un nombre important de rencontres toutes plus inattendues les unes que les autres.
Pour chaque personnage avec lequel nous discutons, un grand nombre de lignes de texte nous décrivent précisément ce qui se passe autour de nous et les sentiments de nos interlocuteurs. Les dialogues et descriptions sont extrêmement bien écrits et c’est à un voyage au cœur d’une narration de Hard SF auquel nous avons droit. Malheureusement, il faut un très bon niveau dans la langue de la reine Elizabeth pour pouvoir profiter de ce voyage.
Au fur et à mesure de notre progression dans l’histoire, de nouvelles sections de la station s’ouvriront à nous et les thèmes abordés par la narration se verront de la même façon complexifiés. Du corporatisme poussé à l’extrême à l’intelligence artificielle en passant par les modifications de nos corps et ce qui fait de nous des êtres humains, le développeur solitaire Gareth Damian Martin rend, après le merveilleux In Other Waters, encore une fois une copie parfaite.
Le jour où ça bascule
Mais aussi bonne soit-elle, une narration ne fera jamais rien si elle n’est pas soutenue par un gameplay de qualité. Celui de Citizen Sleeper est fait de plusieurs couches. Il y a tout d’abord un côté Visual Novel assez prononcé. Nous passons beaucoup de temps à lire puis à faire des choix. En fonction de ceux-ci, des affinités différentes ainsi que des actions ou des situations différentes s’offriront à nous. Cette partie est assez classique, mais elle fonctionne très bien pour les amateurs de VN dans un esprit SF.
La seconde couche de gameplay est beaucoup plus orientée RPG. Dès le départ nous devons choisir parmi l’un des trois avatars disponibles. Ce choix a des conséquences sur les statistiques de notre personnage. Ainsi le machiniste aura des compétences en ingénierie, mais un malus en engagement, l’opérateur nous simplifiera la tâche pour tout ce qui est interface, mais il aura des lacunes en endurance et pour finir l’extracteur aura un physique à toute épreuve, mais des difficultés pour résoudre des problèmes.
Ces six compétences auront une influence sur le reste de notre partie. Notre vie sera régie par des cycles. Durant chacun d’entre eux, nous avons à disposition un nombre de dés qui est fonction de notre énergie. Dans le cas où notre jauge est pleine, six dés s’offrent à nous tandis qu’une jauge quasiment vide signifie de n’avoir à notre disposition qu’un seul dé. Chaque dé nous permet de tenter une action.
Nous connaissons la valeur de ces dés et il va donc falloir les utiliser à bon escient. Une action n’est pas réalisée automatiquement. Un dé nous donne une probabilité de réussite plus ou moins élevée. Chaque dé a ainsi un potentiel d’action réussie, neutre ou échoué. Si un six nous garantit 100 % de réussite, un cinq fait passer ce taux à 50 % de réussite et 50 % de Neutre tandis que quatre nous donne un ratio 25 % ; 50 % ; 25 %. Ainsi l’utilisation d’un dé puissant ou d’un dé faible n’est jamais synonyme de victoire ou de raté automatique. Certains cycles nous apporteront ainsi de bonnes surprises tandis que pour d’autres nous regretterons de nous être levés.
Si les actions physiques dans la station requièrent des valeurs élevées de lancées pour augmenter nos chances de réussite, il ne faut pas autant négliger l’utilité des dés faibles. En effet, très vite, nous débloquons la capacité de naviguer dans le Cloud de la station. Nous pouvons alors tenter de récupérer des données cachées pour ensuite les utiliser. Dans ce cas, ce sont les dés faibles qui sont les plus utiles. L’équilibre est ainsi toujours parfait et jamais nous ne nous sommes trouvés à ne pas pouvoir utiliser l’ensemble de nos dés. Nos cycles sont toujours bien remplis. Nous comprenons très vite l’influence de nos compétences sur ces lancers et les points d’upgrade disponibles lors de la complétion de mission sont alors à utiliser judicieusement pour nous permettre de réussir toujours plus d’action.
Les cycles ont aussi une influence sur la narration. Nous pouvons débloquer, en fonction de nos réussites ou de nos échecs, des timers. Ceux-ci auront une influence positive ou négative. Ainsi, après lui avoir fourni une première aide bienvenue, Dragos se méfiera de nous et ne pas réussir une nouvelle mission dans un nombre imparti de cycles aura des conséquences, tandis que des navettes de ravitaillement demanderont un certain temps avant de revenir se poser sur Erlin’Eye. Toutes ces phases s’enchaînent agréablement et naturellement. Il est très facile de commencer un cycle de Citizen Sleeper pour passer le temps lors d’un court trajet de métro et de se retrouver à lever la tête vingt-deux arrêts plus loin, et donc quinze arrêts trop loin, tellement nous sommes happés par ces mécaniques et cette narration.
Métal Hurlant
Bien que proposant une partie technique très simple d’aspect, le titre de Jump Over the Âge comble largement ses limites grâce à des choix esthétiques de grande qualité. Il y a tout d’abord la partie graphique. Si c’est Mr Gareth Damian Martin qui s’est chargé de la station spatiale aussi physique qu’en cloud, avec un résultat plutôt épuré et fonctionnel de bonne qualité, c’est la partie chara-design qui rehausse grandement cette section. Les personnages sont tous dessinés par le français Guillaume Singelin qui apporte sa patte et sa vision à cette aventure spatiale.
La bande-son a été laissée aux bons soins du compositeur Amos Roddy qui, après avoir officié sur des jeux tels Kingdom Two Crowns, The Wild at Hearts et bien sûr In Other Waters, nous livre ici des compositions atmosphériques qui accompagnent parfaitement nos aventures. Ces musiques sont de plus accompagnées de bruitages qui nous rappellent que cette immense boîte de conserve a ses propres rythmes. Il est possible de se faire une idée de ce travail sur les plateformes de streaming musical tel spotify.
De manière générale, l’interface est bien pensée et pratique. Les missions ainsi que nos compétences sont disponibles d’un simple appui sur les touches L et R. Les lieux à visiter pour compléter nos quêtes sont bien indiqués tout comme l’avancée des cycles, qu’ils soient positifs ou négatifs. Seuls quelques problèmes de sélection sont apparus durant nos sessions de jeu, nous faisant parfois perdre de vue l’élément actif sélectionné. Rien de bien méchant, mais c’est un peu déroutant les premières fois.
Avec autant de texte à lire, la taille de la police est bien entendu une question cruciale. Pas de soucis à noter, que ce soit en nomade ou en docké. En nomade, la taille de base correspond à ce que peut proposer un livre de poche, c’est donc parfaitement lisible. Notons pour terminer que plusieurs fins sont bien évidemment disponibles et que pour 20 € et une première run d’une dizaine d’heures, le ratio qualité/prix est satisfaisant, même si la rejouabilité est limitée par la nécessité de refaire une première partie assez longue.
Conclusion
Avec son deuxième titre, le studio Jump Over the Âge réussit à nous emmener encore plus loin dans la science-fiction. Citizen Sleeper est un titre mêlant des mécaniques de RPG à une narration de grande qualité abordant des thèmes matures. Le travail du dessinateur Guillaume Singelin au Chara design est magnifique tout comme la bande-son du compositeur Amos Roddy. Encore un titre que l’on commence en pensant y passer quelques minutes et qui ne nous lâche qu’après plusieurs heures de jeu. Son seul défaut est de demander une bonne maîtrise de l’anglais pour pouvoir en profiter.
LES PLUS
- Le chara design de Guillaume Singelin est magnifique
- La station spatiale offre un rendu sympathique et diversifié
- La bande-son d’Amos Roddy est parfaite pour se mettre dans l’ambiance
- Le gameplay basé sur nos choix et la gestion des dés est efficace et prenant
- Le scénario est parfaitement mené
- Les thèmes abordés par la narration sont des classiques de la SF
- L’interface et la prise en main sont efficaces
- La taille de la police est parfaitement adaptée au mode nomade
LES MOINS
- Une bonne maîtrise de l’anglais est obligatoire pour en profiter
- Des petits soucis de sélection sur la carte principale
hey! grâce au trailer du 2 j’apprends que le premier a été traduit en frnçais! votre test m’a bien donné envie, merci!