Cet article est une retranscription écrite de notre podcast que vous pouvez écoutez ci-dessous, mais aussi sur Spotify, Apple Podcast, Google Podcast, et autres plateformes disponibles ici. Bonne lecture, ou bonne écoute !
Introduction :
La première saison des audiotests par Nintendo-Town s’est achevée, en même temps que les cours d’école, sur nos coups de cœur. Profitons de cette baisse de rythme pour aborder un sujet qui aura fait couler beaucoup de pixels au sein de notre communauté sur Discord, à savoir : Zelda Breath of the Wild.
En effet, le porte-étendard de nos chères consoles hybrides, pour sa sortie en mars 2017, s’il avait remporté haut la main un succès à la fois critique et commercial, avait aussi rapidement cristallisé les reproches des détracteurs de Nintendo. Un monde vide, un jeu techniquement daté, et surtout un scénario tenant sur un post-it. Bien évidemment, effet internet oblige, ces commentaires venaient la plupart du temps de personnes n’ayant pas passé ne serait-ce qu’une minute sur le titre d’Eiji Aonuma.
Toutefois, sans atteindre un tel degré de mauvaise foi, des membres de notre rédaction souscrivaient à certains de ces reproches. Alors, s’il est difficile de revenir sur les limitations techniques d’une console portable écrasant une concurrence devenue inexistante, les critiques sur l’univers dans lequel se déroule notre aventure, et surtout les reproches faits au scénario, m’ont personnellement étonnés. Sans être un expert de la création vidéoludique, mais ayant découvert le jeu vidéo à son aube et ayant, notamment pour les mondes ouverts, subit leur évolution, il me faut reconnaître que ce genre particulier provoquait en moi de plus en plus de dégoût au moment de la sortie du dernier Zelda.
L’impression de suivre un GPS tout en visionnant des cinématiques de plus en plus longues et indigestes, ainsi que la schizophrénie engendrée par le conflit entre les quêtes principales, qui n’étaient qu’une succession de climax ridicules, et des quêtes secondaires, inintéressantes, mais obligatoires, en étaient les raisons majeures, à tel point que la question de stopper le jeu vidéo s’est à un moment fait sentir tant ces productions prenaient de plus en plus de place dans l’industrie vidéoludique.
J’ai donc vécu l’arrivée de ce nouvel opus de la série des Zelda comme une révolution et, sans savoir vraiment trop pourquoi à l’époque, par manque de recul sans doute, je ne comprenais pas tout à fait pourquoi une telle attirance pour ce jeu ni comment il ne pouvait pas en être de même pour le reste de l’humanité. Alors, si je ne comprends toujours pas pourquoi mes contemporains n’érigent pas en masse des autels à la gloire de Breath of the Wild, je pense, et j’espère surtout, être à présent en mesure d’expliquer pourquoi, à mes yeux, cet épisode est un tel chef-d’œuvre.
Pour approfondir cette réflexion toute personnelle, des comparaisons avec d’autres titres seront faites. N’ayant ni la prétention d’avoir la science infuse ni la volonté d’avoir la sagesse universelle, il existe sans doute beaucoup de jeux qui ne seront pas cités et de concepts qui ne seront pas abordés, et qui pourtant vous tiennent à cœur. Dans ce cas, n’hésitez pas à venir les partager avec nous sur le Discord de l’équipe de Nintendo-Town, et si cette intro ne vous a pas refroidis, c’est parti pour la suite !
Qu’est-ce que raconter une histoire ?
La première chose à comprendre lorsque nous parlons de narration, c’est que raconter une histoire est un art. Il y a beaucoup de paramètres qui entrent en compte. Il faut trouver un juste équilibre entre le rythme des événements, l’immersion dans un monde et la force des sentiments, et chaque lecteur ou spectateur aura sa vision propre de l’œuvre qui lui convient le mieux.
Pour certains, le rythme est ce qu’il y a de plus prépondérant, il ne doit pas y avoir un seul temps mort. Ils se tourneront ainsi vers des œuvres littéraires ou filmiques en adéquation avec leurs priorités. Pour d’autres, ce qui compte c’est l’impression de voyager vers d’autres latitudes, qu’elles soient imaginaires ou réelles, tandis que d’autres souhaitent s’immerger dans une histoire dans laquelle les protagonistes expriment des sentiments forts. Bien sûr, il n’existe aucune œuvre privilégiant un seul de ces aspects, et préférer tel ou tel auteur ou tel ou tel film est d’abord une histoire d’alchimie entre son auteur et son spectateur.
Ainsi, si certains vont trouver que les œuvres de Christopher Nolan touchent au divin de par leur scénario et leur univers parfaitement maîtrisés, d’autres vont leur rester complètement hermétiques du fait de phases de combat moins maîtrisées. De la même façon, il est très difficile de trouver un unique livre capable de satisfaire l’ensemble des lecteurs du monde. Et c’est sans doute pour cela que la production littéraire disponible sur les étals des libraires est si conséquente, et que de nouveaux auteurs naissent chaque année.
Et si le mot important ici n’était autre que spectateur ? Que nous parlions d’un écrivain ou d’un réalisateur, leur but est de nous faire partager leur vision du récit qu’ils vivent dans leur esprit. Le spectateur n’est qu’un simple réceptacle recevant les stimuli envoyés. La force des sentiments que nous éprouvons en tant que lecteur/auditeur/spectateur tient donc entièrement dans la performance des artistes qui en sont responsables.
Ainsi, la joie, la tristesse, la peur ou le dégoût sont autant d’émotions qu’il nous est possible de ressentir face à une œuvre. Les exemples liés au grand écran sont légions, nous pouvons facilement évoquer le dégoût face à une première partie d’un American History X écœurante, la joie communicative d’un père devant la réussite de son fils dans Billy Elliot, ou encore la peur viscérale de la bien trop contemporaine Servante écarlate. Autant de pixels qui viennent composer une image bien trop grande pour que nous en citions toutes les déclinaisons, et qui n’esquissent qu’une infime partie de ce dont est capable de nous faire ressentir le septième art.
La littérature offre le même degré de complexité. Et si l’orchestration n’est pas présente pour exacerber les sentiments distillés, il n’en reste pas moins que ceux-ci sont décrits avec une force bien plus puissante. S’il est bien écrit, un livre peut même réussir à transcender son genre. Ainsi, le formidable Jeu de Nains de Terry Pratchett, faisant partie des annales du Disque Mondes, une série de livres à caractère humoristique, a réussi à me tirer des larmes.
Cette série des annales du Disque Mondes est vraiment très drôle et merveilleusement écrite, avec une galerie de personnages tous plus intéressants les uns que les autres. Jamais caricatural ou vulgaire, chacun des livres est un chef-d’œuvre d’humour. Jeu de Nain a pour héros le capitaine Samuel Vimaire, un policier débordé qui doit mettre fin à une guerre entre les nains et les trolls. Pourtant sa volonté d’être un père faisant tout pour arriver à l’heure pour lire à son jeune fils « Où est ma vache ?» a fait écho à ma propre situation de jeune papa. La qualité de l’écriture a fait le reste pour me faire ressentir la détresse de ce père et faire couler des larmes devenues si rares dans notre société.
Pourtant, malgré toutes les qualités que nous venons de citer pour ces œuvres, il en est une qui manque cruellement à l’appel : la liberté. Peu importe la façon d’aborder un récit, le cinéma ou la littérature ne nous laisse jamais libres de vivre notre propre histoire. Et ce ne sont pas les quelques essais plus ou moins confidentiels tels un Black Mirror : Bandersnatch ou les livres dont vous êtes le héros qui viendront rabattre la donne. Un film ou un livre se suit à défaut de se vivre. Et c’est justement là qu’est la différence avec le jeu vidéo.
L’histoire de la narration
Se pose alors la question pour le créateur de comment créer une histoire lorsque l’artiste a besoin de son spectateur pour déclencher l’émotion ? Lorsque nous ne sommes plus face à une œuvre, mais que nous en sommes aux commandes, avec toutes les implications qui en découlent ? Comment mener une narration lorsque celle-ci est diluée dans un tout qui doit forcément proposer un gameplay attractif et donc des phases durant lesquelles l’histoire est en pause ? Pour le modeste auteur de ces quelques lignes, un jeu a réussi à répondre à tous ces critères pour proposer une œuvre vidéoludique quasi parfaite. Ce titre n’est autre que Zelda Breath of the Wild.
Cet avis est, bien sûr, strictement personnel, et suivant vos attentes en tant que consommateur de biens culturels, il est tout à fait possible que vous n’ayez qu’une envie à l’écoute de ce podcast, à savoir venir sur notre Discord pour y affirmer, avec sympathie et bonhomie bien sûr, que bien d’autres jeux font bien mieux, alimentant ainsi des discussions productives qui alimenteront à leur tour un prochain podcast.
Nous allons tout de même tenter de vous convaincre en abordant la narration dans les jeux vidéo à travers les trois prismes que nous avons évoqués : le rythme, l’immersion et les sentiments, puis nous ajouterons une dernière composante, celle de la liberté. Comment les productions pré et post Breath of the Wild ont abordé celle-ci, et pourquoi le dernier Zelda en date a réussi quelque chose d’unique en son genre ? N’étant pas un professionnel du métier de conteur, il existe sans doute d’autres critères entrant en jeu, mais pour l’humble lecteur, spectateur et joueur que je suis, ces thèmes abordés me semblent prépondérants.
Mais avant de rentrer dans le vif du sujet, revenons un peu sur l’histoire du jeu vidéo. Les premiers titres sortis avaient des genres très stéréotypés : le Shoot’em Up, la plateforme, ou le jeu de combat. La narration, dans ces productions, était proche du néant, à peine quelques lignes dans une introduction qui suivait la mention Insert Coin, ou dans un livret aux nombreuses pages nous narrant une histoire que nous ne retrouvions absolument pas une fois à l’écran. Mais l’essentiel à cette époque était ailleurs : il fallait d’abord et avant tout fournir un gameplay.
Pourtant très vite, via des solutions parfois très étonnantes, est arrivée la volonté de nous raconter une histoire. Les mécaniques des jeux de rôle papiers tels les fabuleux Donjons et Dragons ont notamment été transcrites. Vivre une histoire, faire des choix, résoudre des énigmes puis mener des combats sont les caractéristiques principales de ces titres. Nous parlons bien sûr des premiers jeux textuels, qui ont donné naissance à deux sous-genres : le Point’n’click, et les RPG, rien que ça. Ceux-ci se concentrent alors sur deux aspects bien distincts autour d’un scénario : les énigmes, ou les combats.
Un résultat un peu bancal pour les deux genres qui, bien qu’ayant accouché d’œuvres intemporelles, n’ont eu de cesse de se rapprocher des codes du cinéma, avec notamment des cinématiques de plus en plus longues et des décors de plus en plus travaillés, mais un gameplay qui n’a finalement jamais vraiment été bouleversé, et surtout une narration toujours extrêmement linéaire. Il est donc maintenant temps de voir en quoi la narration de Breath of the Wild est un tour de force.
Narration et rythme
Les cinématiques
Le rythme que prend la narration est l’un des éléments essentiels de celle-ci, et c’est sans doute l’élément dont le joueur se rend le plus facilement compte des manques qu’il véhicule. Combien de plaines avons-nous parcouru avec un profond ennui, sans trop savoir pourquoi nous nous y trouvions ? Ce sentiment est souvent couplé avec la fin d’un chapitre particulièrement haletant ou un combat de boss nous ayant donné du fil à retordre, mais il peut y avoir d’autres raisons qui viennent entacher des jeux pourtant considérés comme excellents.
Commençons par l’erreur la plus communément commise : vouloir mettre en place un film à partir de cinématiques interminables. Nous avons alors droit, pour celles-ci, à deux types tout aussi indigestes. Il y a d’abord les saynètes explicatives. Les tutoriels de début de jeu dans lesquels un narrateur, qu’il soit à nos côtés en tant que PNJ ou une voix désincarnée venant du fond des âges, vient nous expliquer comment incliner le stick gauche pour faire avancer notre héros. À peine lancée que la narration est déjà bien mal commencée.
Et nous arrivons à un problème auquel nombre de studios tentent aujourd’hui de répondre avec plus ou moins de succès : comment expliquer les bases de la prise en main tout en l’incluant dans la narration ? Comment expliquer qu’un commandant Shepard, un commandant donc, pas une bleusaille qui vit son premier jour de classe, ait besoin qu’on lui explique les possibilités qui sont à sa disposition ? Comment expliquer à un Geralt de Riv, qui en est déjà à son troisième opus, qu’il va devoir réapprendre les bases du combat ? Et surtout, comment ne pas nous envoyer une encyclopédie à la figure en espérant que nous n’ayons pas tout oublié pour masher uniquement deux boutons tout au long du jeu ?
La seconde erreur sur les cinématiques concerne celles qui mettent en scène un combat dantesque. Ce sont sans doute, pour le joueur, les plus frustrantes qui peuvent se produire. Comment expliquer qu’après avoir passé plusieurs minutes à suer du gamepad ou des méninges pour voir la jauge de vie de notre ennemi diminuer peu à peu, celui-ci se relève en pleine forme pour nous en mettre plein la tête ? Comment faire accepter aux joueurs un nombre incroyable d’attaques et d’effets pyrotechniques que, une fois de retour aux commandes, nous ne pourrons jamais réaliser ? Bref, comment ne pas frustrer le joueur ?
Car ces vidéos sont pour la plupart d’une inutilité et d’une frustration sans nom. L’exemple le plus parlant n’est autre que n’importe quel jeu de la série des Kingdom Hearts. Malgré un troisième épisode qui nous envoie virevolter, durant les phases de combat, dans tous les sens, en mode Beat’em All sous amphétamines, les cinématiques trouvent le moyen de minimiser nos exploits en envoyant du plus lourd encore. Résultat, une fois en jeu, nous avançons avec un plaisir minimisé par l’impossibilité de reproduire les mêmes actions, tout en attendant que la prochaine vidéo se lance et nous fasse avancer dans l’histoire.
Pire, la durée de ces vidéos est parfois si longue que notre console passe en mode économie d’énergie, nous pensant absents. Les jeux victimes de cette affliction sont légion, et il est impossible de tous les citer. Ainsi, malgré des qualités indéniables et des gameplays bien différents, des titres comme lequel des Assassin’s Creed, ou bien évidemment le dernier Kingdom Hearts, avec en plus le risque d’être déconnecté du serveur, nous proposent des cinématiques bien trop longues qui nous sortent complètement de l’expérience de jeu et cassent complètement notre rythme. Cela n’en fait pas de mauvais jeux pour autant, mais le plaisir pris à les faire tient davantage au gameplay et à l’univers qu’à la narration.
Les quêtes
Mais ces problèmes de cinématiques ne sont pas les seuls à venir gâcher notre expérience de jeu, ou tout du moins, à nous en faire sortir. Mais elles sont liées aux problèmes suivant : celui du climax permanent. Sans doute pour se rapprocher d’une expérience cinématographique, nos jeux vidéo sont devenus des nids à ascenseur émotionnel. Toutes nos phases de gameplay tendent toujours vers une apothéose qui se conclut par un combat de boss puis une cinématique nous en mettant plein la vue.
Mais alors que notre cœur vient de connaître un afflux important d’adrénaline avec une vidéo de parfois plusieurs minutes, en tout cas pour les jeux qui en ont les moyens, comment faire pour avoir envie de retourner à notre train-train quotidien ? Comment retrouver l’envie de suivre une saison 5 de Dexter alors que notre bébé vient de voir sa mère mourir devant ses yeux ? Ce moment de tension est tellement fort que peu importe ce qui arrivera par la suite, nous serons forcément déçus, ce qui fut malheureusement le cas d’ailleurs.
Le premier exemple que nous allons prendre en exemple n’est autre que l’extraordinaire Astral Chain. Nous sommes happés par son monde futuriste soumis à la corruption, et par ses phases de gameplay nerveuses et merveilleusement techniques. Le schéma que suit sa narration est assez simple. Une cinématique nous apprend ce que nous devons savoir, puis nous devons enquêter et explorer notre environnement, ensuite combattre des ennemis et un boss avant d’avoir le droit à la cinématique de conclusion du chapitre.
Malheureusement, le gameplay ultra efficace ainsi que la tension inhérente aux cinématiques rendent les phases d’exploration molles, et beaucoup de joueurs les ont regrettées ou même passées. Ces hauts et bas au niveau du rythme mis en place ont nui à l’expérience de jeu de nombreux joueurs, alors que la production de Platinum Games avait pourtant de sérieux atouts à faire valoir avec un scénario intéressant, même si cousu de fil blanc.
Mais Astral Chain est un Beat’em All, répondront les plus réfractaires à cet article. Soit, prenons alors comme exemple le non moins merveilleux Xenoblade Chronicles. Nous avançons magnifiquement dans ce monde en explorant plus ou moins librement notre environnement, et l’histoire ne fait que croître en intensité, jusqu’au moment des révélations de l’île prison et au combat contre le Facia Noir du chapitre 9. Sauf que nous n’en sommes qu’au milieu du jeu, et le retour à l’exploration de l’immense zone du Col de Valak a marqué une rupture en termes de rythme.
Celui-ci s’accélère brutalement au chapitre précédent, et le voir redescendre à ce que nous pouvions connaître précédemment est assez difficile, d’autant plus que le sentiment d’urgence se fait énormément ressentir. Et nous arrivons ainsi au dernier problème que nous allons évoquer avec le génialissime, mais schizophrénique The Witcher 3 : la place des quêtes annexes et des quêtes principales.
Dans celui-ci, le rythme de la narration est tout simplement complètement éclaté. La plus grande qualité de cet opus des aventures de Gérald est de nous proposer des quêtes annexes extrêmement bien écrites et intéressantes. Mais dans ce cas, comment justifier de les zapper pour sauver notre fille ? Et dans le cas contraire, comment justifier de mettre en pause notre recherche pour la retrouver ? Ces deux aspects de la narration sont en constant affrontement, et le seul qui y perd est le joueur, qui ne sait plus ce qu’il doit prioriser.
Les choses qui marchent
Et si certains jeux vont jusqu’à nous faire oublier pourquoi nous passons notre temps à occire du monstre, d’autres ont réussi à transcender la sacro-sainte règle de la montée de tension, mise en place par le cinéma, pour nous amener à une expérience réellement adaptée à notre média. Il y a bien évidemment ceux qui se passent complètement de scénario et qui ne nous donnent qu’un but à atteindre. Pour eux, les cinématiques ne sont pas forcément absentes, mais elles servent juste de transition pour nous envoyer vers un nouveau niveau. Il y a ensuite ceux qui rendent la quête principale tellement lointaine ou non prioritaire que la partie laissée au roleplay en devient vraiment prépondérante.
Prenons tout d’abord l’exemple des titres de la série des Elder Scrolls. Nous considérerons ici comme exemple les deux seuls titres sur lesquels nous avons personnellement passé bien trop d’heures, à savoir Oblivion et Skyrim. Il est intéressant de voir que dans ces deux jeux, le point de départ est similaire. Nous ne sommes pas le fils pourchassé d’un monarque renversé ni un quelconque élu par une main divine. Au mieux, nous sommes un prisonnier anonyme qui tente de survivre, et au pire un condamné à mort. Pris au milieu d’un conflit qui nous dépasse, nous naviguons dans ce monde.
Il n’y a aucun impératif qui nous oblige à prendre le chemin indiqué par la quête principale. Le rythme n’est alors dicté que par notre seule volonté. Nous pouvons alors vivre notre aventure comme nous l’entendons. Devenir le pire des brigands dans une cité, tandis que dans l’autre notre nom résonne à côté de celui des héros les plus légendaires. Nous pouvons devenir un chercheur de trésors ou un tueur à gages. Mais toutes ces aventures suivent un rythme que nous avons nous-mêmes fixé.
C’est aussi ce que met en place ce qui, je l’espère, sera la révolution attendue par beaucoup de fans de la licence, avec son dernier épisode en date : le très bon Légendes Pokémon Arceus. Là encore, nous arrivons sur une terre dont les codes nous échappent complètement. Nous sommes l’étranger qui devra sauver ce monde en proie à une déchirure spatio-temporelle, mais sans que rien ne le presse. Et si nous sommes moins libres que dans Oblivion ou Skyrim, le choix de segmenter notre progression nous oblige à avancer dans l’histoire, mais sans jamais nous mettre un couteau sous la gorge et en nous laissant nous fixer nos propres objectifs et avancer à notre propre rythme, pour ainsi compléter une mission bien plus éloignée, compléter le Pokédex.
Suivre son rythme
Mais là où Zelda Breath of the Wild, car oui c’est maintenant que ça commence pour de vrai, réussit un tour de force, c’est qu’il met en place un mélange entre ces trois solutions tout nous laissant incarner le héros d’une histoire que nous avons déjà jouée un très grand nombre de fois, à des époques s’étalant sur plus de 20 ans. Nous n’avons qu’un but à atteindre dans Breath of the Wild, mais celui-ci n’a rien d’urgent. Notre amnésie et l’absence de vidéo explicative, nous narrant un conflit cosmique sans précédent dont nous devons sauver l’humanité, nous laissent libres de parcourir cette contrée comme nous l’entendons sans nous sentir pousser par le scénario.
Mais cette dernière assertion est incomplète. Car jouer à Zelda Breath of the Wild, c’est explorer librement, mais c’est aussi l’envie de se tester soit même. Et quoi de mieux pour cela que de se rendre dans un donjon ? Mais le finir signifie avoir droit à une cinématique. Celles-ci ne sont jamais trop longues, et surtout, elles ne nous apprennent pas comment sauver le monde, elles nous permettent de comprendre le lien qui nous unit à la princesse. Encore une fois, nous sommes au centre de la narration, et celle-ci a pour épicentre notre personne. L’impression que tout arrive au bon moment, peu importe le chemin qu’aura pris le joueur, est toujours de mise et c’est aussi le tour de force de cette narration.
Mais ce tour de force ne s’arrête pas là. Des quêtes annexes sont présentes dans Breath of the Wild. Elles sont de trois sortes. Commençons par les quêtes classiques qui se déclenchent lorsque nous parlons à un PNJ dans le besoin. Elles n’ont rien d’extraordinaire et sont sans doute celles dont les joueurs passent le plus facilement à côté. Viennent ensuite les quêtes de complétion, qui permettent aux explorateurs que nous sommes de laisser libre cours à leur passion à leur rythme. Et il y a enfin la quête des souvenirs. Au début du jeu, il peut sembler intéressant de la mener à bien, mais cela est impossible, car nous ne connaissons pas les contrées que nous parcourons, alors nous la laissons de côté.
Puis au fur et à mesure que nous découvrons toujours de merveilles et que les souvenirs libérés dans les donjons refont surface, nous avons envie d’en savoir plus et partons alors à la recherche de ces parcelles de notre mémoire. Nous n’avons aucun moyen de savoir si l’ordre dans lequel nous menons cette quête est le bon, et les souvenirs arrivent de manière fragmentaire mais ils sont tous marquants, et telles les pièces d’un puzzle, ils forment une mosaïque dont nous souhaitons de plus en plus voir le résultat. Et ce résultat n’est autre que l’envie irrépressible de sauver la princesse. La boucle est bouclée, les quêtes annexes et principales se rejoignent, et le climax se déclenche au moment choisi par le joueur.
Commence alors pour le joueur une course contre la montre dans laquelle il ne cherche qu’à se préparer pour mieux sauver celle qui a fait de même pour lui. Toutes les errances passées à chercher à améliorer nos armes et armures prennent enfin un sens, et la délivrance de la victoire finale est la plus émouvante qu’il nous ait été d’avoir vécu dans un jeu vidéo. Mais là encore, elle prend la forme d’une saynète courte comparée aux habitudes des AAA. Tout est suggéré dans cette vidéo de conclusion, ce qui explique aussi sans doute pourquoi une telle attente pour une suite directe et pourquoi le Muso Hyrule Warriors : L’ère du Fléau a permis à ces émotions de ressurgir, tout comme le mode New Game + disponible quelques mois après la sortie.
Cette façon de mener la narration, en laissant le joueur avancer à son rythme en ne lui laissant qu’un objectif lointain, est le premier coup de maître de cet opus de la licence Zelda. Il concentre son histoire non pas sur l’objectif, mais sur ce qui doit amener le joueur à se sentir attiré par cet objectif. De plus, sa volonté de centrer sa narration sur les relations entre le joueur et la princesse, en laissant les événements qui ont conduit aux désastres au second plan, permet au joueur de se sentir maître d’une histoire qu’il vit alors bien plus intensément. Pour la première fois, les codes du cinéma ne sont pas reproduits mais adaptés à notre média, et ça change tout.
Narration et immersion
L’immersion, qu’est-ce que c’est ?
Et si le jeu vidéo avait, durant trop d’années, lorgné du côté du cinéma au lieu de prendre exemple sur l’art de la narration par excellence : l’écriture ? En effet, peu importe l’exemple que l’on choisira de prendre, et peu importe la débauche d’effets visuels mis dans la balance, l’immersion dans un univers sera toujours bien plus forte via un livre que via son adaptation cinématographique. L’exemple le plus facile à aborder, et celui qui parlera sans doute à tous les auditeurs, n’est autre que la saga Harry Potter. Peu importe la critique que nous faisons des films, les livres nous emmèneront toujours mille fois plus dans l’histoire, car le monde qui y est dépeint est bien plus vivant et qu’il stimule directement notre cerveau sans passer par un média.
L’autre aspect très important concernant l’immersion dans un récit concerne notre héros, et là encore nous allons prendre la sage de J. K. Rowling comme exemple. Son héros principal, Harry Potter, est un jeune garçon qui, lorsque débute son récit, ne connaît pas grand-chose en dehors de son placard sous l’escalier. Il est donc tout à fait normal qu’il s’émerveille, en même temps que le lecteur, de tout ce qui se produit autour de lui. Et s’il se sent étranger à ce monde dans un premier temps, au fur et à mesure que son année passe, il a, au moment de retourner chez les Dursley pour les vacances, l’impression de faire partie intégrante de ce monde des sorciers.
Voilà les deux items qui composent l’immersion dans un récit. La capacité de l’auteur à nous mettre non pas au cœur des événements qui s’y déroulent, mais au centre de la vie de son héros à travers les environnements et les événements. Cette vie passe tout d’abord par des lieux. Si la description que font certains auteurs de leur univers est lourde et maladroite, croulant sous un style et une logorrhée pénible, les meilleurs d’entre eux sont capables de nous faire voyager dans leur monde, et le fait que ce voyage passe par notre intellect, et qu’il ne soit pas offert clé en main, renforce encore plus notre immersion dans une narration qui s’en voit alors magnifiée.
Le second enjeu de cette immersion n’est plus dans les lieux, mais dans la vie de notre héros. Pour beaucoup, la phase la plus délicate d’un livre tient dans ces premières pages. Lorsque notre protagoniste est un parfait inconnu et qu’il faut alors créer l’envie de tourner la page suivante. Comment donner envie au lecteur de s’immerger dans la vie de son protagoniste et de rapidement créer de l’empathie pour celui-ci ? Le cinéma a parfaitement compris cet enjeu, et les codes mis en place permettent à beaucoup de films de nous prendre à bras le corps pour nous emmener dans le récit, que celui-ci soit tourné vers l’action, avec une mise en bouche haletante, ou vers les sentiments, avec un traumatisme de départ.
Un monde qui vit autour et avec moi ?
Nous arrivons alors à ce qui est, pour l’humble joueur que je suis, le plus grand paradoxe des jeux vidéo que nous avons entre les mains. Incarner un héros venant sauver le monde, ou une quelconque princesse, implique forcément que celui-ci fasse partie de ce monde et qu’il s’y sente attaché, mais aussi que notre avatar connaisse sa propre histoire. Jusque-là, tout semble normal. Les codes du cinéma sont d’ailleurs souvent repris pour nous agripper dans l’histoire. Mais le jeu vidéo y ajoute une couche : les vidéos explicatives. Comment expliquer ces incessantes coupures qui viennent nous expliquer comment fonctionne un monde dans lequel nous, à travers notre avatar, semblons censés vivre ?
Et un autre événement vient toujours appuyer cet état de fait dans la trop grande majorité de la production vidéoludique : les tutoriels. Pourquoi l’introduction d’un FF VII, l’original bien sûr, est-elle fantastique ? Parce qu’elle nous met directement au cœur de l’action et qu’elle nous laisse le temps de découvrir cet univers. Pourquoi est-elle paradoxale ? Si nous sommes fascinés par le monde qui nous entoure, notre héros, lui, ne l’est pas, ce qui crée dès lors un décalage entre lui et celui qui le contrôle : le joueur.
De plus, la nécessité de couper l’action en cours par d’incessants tutoriels nous expliquant qu’un appui sur la touche X nous envoie vers le menu, et que dans ce menu nous allons trouver une foultitude de choses qu’il va bien falloir nous expliquer alors que cela n’a rien à voir avec ce que nous sommes en train de vivre, nous ramène au défi de l’auteur face aux premières pages de son roman. La relation entre notre personnage et nous-mêmes se délite encore un peu plus. Malheureusement, pour notre média, le tutoriel est une phase obligatoire sous peine de laisser le joueur louper des parties entières de gameplay.
Mais ce premier défi à relever n’est rien comparé au suivant : comment créer la sensation de vivre dans un monde, voire d’en faire partie ? Il faut déjà que l’auteur connaisse parfaitement le monde qu’il met en place. C’est d’ailleurs l’un des autres grands problèmes des sagas qui se construisent au petit bonheur la chance, avec des éléments qui apparaissent au tome cinq sans aucune explication et qui créent un profond décalage avec ce qui se passait avant.
Une fois son monde connu, il doit en connaître l’histoire et ses conséquences. Un monde ravagé par la maladie n’abritera pas la même population, et celle-ci n’aura pas les mêmes réflexes de survie qu’une cité vivant dans l’opulence. C’est ainsi que la foule des grands jours que nous croisons à n’importe quelle heure dans les villes d’Assassin’s Creed m’a toujours paru étrange et contre nature, tandis que la relative quiétude des rues de Los Santos dans GTA V paraît bien plus crédible. Et nous n’abordons ici que l’aspect numérique du problème. Le nombre de personnes nous abordant dans des jeux nous proposant alors de réaliser leurs quatre volontés est tout bonnement incompatible avec ce qui doit sans doute être une tendance antisociale de ma part.
De ce point de vue, l’immersion dans le monde de A Plague Tale : Innocence est bien plus maîtrisée. Tout est cohérent. Nos déambulations dans la campagne sont rarement perturbées par des rencontres fortuites et peu probables, tandis qu’une fois en ville nous rencontrons une méfiance bien compréhensive d’une population effrayée par la maladie qui sévit autour d’elle. De la même façon, les saynètes qui nous donnent les codes pour comprendre le monde dans lequel nous vivons sont sous la forme de leçons qu’un adulte fait à un enfant.
La didactique est alors parfaite, et notre immersion n’en est que plus forte, car même si notre personnage, contrairement à nous, vit dans ce monde depuis sa naissance, il est protégé des influences extérieures par son statut d’enfant. Le protagoniste, comme le joueur, est des toiles vierges sur lequel il est cohérent de venir peindre l’univers qui les entoure, et il est tout à fait normal que les deux aient alors des réactions, face à ce qui se produit, relativement proches, évitant ainsi les problèmes de décalage entre le joueur et son avatar.
Les anachronismes de la mort
Mais le vrai problème qui aura presque réussi à me faire lâcher les jeux en monde ouvert concerne un autre point. Pour que le joueur se sente vivre dans le monde qui l’accueille, il faut que celui-ci soit cohérent. Donc un jeu ayant pour cadre un monde d’heroic fantasy et qui se permet d’afficher une carte signalant notre position en temps réel sans aucune explication, avec en plus le chemin tracé en pointillé au sol pour nous indiquer le chemin le plus court vers l’objectif suivant, c’est non !
Certains titres font les efforts nécessaires pour se justifier. Une magie ou un enchantement qui arrive rapidement dans le cours du jeu, mais d’autres n’essaient même pas. D’autres titres, tel The Witcher 3, sont bien conscients de ces lacunes et proposent alors dans les options de désactiver les trajets inscrits sur la carte. Mais là encore, le joueur doit sortir de son jeu et du monde qu’il parcourt pour revenir dans un monde réel qui lui laisse la possibilité de modifier le monde dans lequel il vit, l’immersion en prend un sacré coup.
Et le monde de SF ne fait pas non plus exception à cette règle. Débarquer sur une planète inconnue, avec ou sans traducteur automatique, doit quand même poser des problèmes de compréhension de la langue des autochtones… Oui, c’est bien toi que je vise, Mass Effect. S’amuser à faire des épreuves de parcours au beau milieu des rues de n’importe quelle cité antique, sans aucune justification autre que ça va te rapporter gros, est aussi difficile à assimiler. Eh oui, c’est encore de toi dont nous parlons, Assassin’s Creed.
Les solutions Zelda-esque :
Trouver une solution à tous ces problèmes est un enjeu majeur pour les créateurs de jeu vidéo, et si The Legend of Zelda : Breath of the Wild a été acclamé par la critique et par ses pairs, qui ont alors cherché à reprendre ses codes, en dit long sur la qualité de l’immersion qu’il procure au joueur. Sur ce sentiment incroyable qui, alors que nous posons une console nous indiquant que sa batterie est proche du vide, nous fait dire malgré les plus de deux heures passées en sa compagnie, « quoi déjà ?! ».
Mais reprenons l’ensemble de ces sommets à franchir pour atteindre la perfection de l’immersion, et voyons comment le titre phare du lancement de la Switch réussit à les dépasser. Il y a tout d’abord le problème des vidéos explicatives. C’est bien simple, lorsque nous lançons le jeu, nous voyons un grand éclair et nous nous réveillons, nous ne savons rien du monde qui nous entoure, mais notre avatar non plus ! Les explications qui arrivent plus tard sont elles aussi réalistes, et notre avatar en sait toujours autant que nous qui le contrôlons.
La ficelle est vieille comme le monde, mais elle fonctionne toujours parfaitement : notre héros est amnésique. Qu’il sorte de la crypte dans laquelle il se trouvait, et qu’il monte sur la première hauteur qu’il trouve pour contempler le monde qui s’offre à lui, fait parfaitement sens. Tout est fait pour que notre personnage et nous, son joueur, soyons en osmose. La seule interférence qui vient nous sortir de cette perfection vient de l’apparition de l’indication « Appuie sur – pour faire apparaître le menu de la tablette », comment oser nous sortir d’une telle perfection ? Sans doute le passage de la version Wii U à la version Switch explique cette incohérence, mais pour le reste, c’est un sans-faute. Rien ne vient troubler notre venue et notre découverte de ce monde.
Au moment de sortir de notre stase, nous n’avons aucun attachement à qui ou à quoi que ce soit. Notre propension à l’exploration et à la découverte de ce monde est parfaitement justifiée. Ce monde dont chaque recoin nous est accessible. Seule notre endurance est un frein à notre exploration ; qu’à cela ne tienne, il nous suffit de devenir plus forts. Et voilà, la justification de l’exploration des cryptes est faite. Il nous faut devenir plus forts et agiles pour satisfaire notre soif d’exploration. Aucun frein à cela, car nous apprenons, sans que cela semble provoqué, que nous pourrons réassigner nos points entre vie et endurance comme nous le souhaitons. Les plus hauts sommets nous attendent, sans parler de la joie procurée par la sortie de la paravoile.
Mais durant nos déambulations, nous croisons des survivants du Fléau ou leurs descendants. Ils nous apprennent que ce monde a été ravagé par un fléau, et que le monde des hommes a quasiment disparu. Voilà qui explique les quelques camps retranchés arpentés par nos semblables, ainsi que la forte présence de monstres en Hyrule. Ce monde dont nous ne savons rien, tout comme notre avatar, devient peu à peu le nôtre, et nous apprenons à en connaître les moindres recoins. Ce n’est qu’une fois la quête des souvenirs commencée que nous pouvons alors mettre ces connaissances en branle pour la mener à bien.
Réussir à retrouver l’endroit indiqué par une simple photo sans l’aide d’aucun appareil GPS, mais juste grâce à notre exploration de ce monde, procure un plaisir bien plus intense que de suivre bêtement une ligne en pointillés. L’immersion dans ce titre est tout bonnement incroyable. Passer du temps à étudier notre carte pour deviner à son aspect le lieu précis sur lequel a été prise la photo est une expérience merveilleuse, sans parler du travail fait par notre cerveau pour faire correspondre la carte à nos souvenirs.
Mais ce qui vient sublimer notre immersion dans ce monde, à la fois vivant et cohérent, est un élément trop souvent négligé, ou mal adapté, dans les jeux vidéo : la bande-son. Nous ne parlons pas des musiques épiques qui accompagnent nos combats dantesques contre les boss. Nous évoquons plutôt les quelques notes éparses qui nous accompagnent, ainsi que le bruit du vent au moment où nous gravissons une montagne, et puis juste au moment où le sommet est atteint, c’est une mélodie douce et envoûtante qui salue notre arrivée en ces lieux. L’impression d’être au bon endroit au bon moment est indescriptible et parachève notre immersion dans ce monde, qui sera pour toujours une partie de nous-mêmes.
Narration et sentiment
Les grosses ficelles du cinéma
Aussi bonne soit l’immersion dans un monde, et aussi maîtrisé soit le rythme, un récit ne pourra nous marquer durablement que via les sentiments qu’il nous permet de ressentir à travers lui. Les recettes pour y arriver sont enseignées dans les classes de littératures depuis de nombreuses années, et rares sont les films ou livres capables de nous surprendre. Le destin tragique d’un géniteur, le sacrifice cruel de notre mentor, un meilleur ami tout aussi attachant que simplet, et le choix d’offrir jusqu’à sa vie pour sauver ce en quoi nous croyons, n’en sont que quelques exemples sur lesquels repose pourtant une bonne partie de la production actuelle.
Si ces ficelles sont facilement visibles, elles n’en sont pas moins toujours aussi efficaces, peu importe le média sur lequel elles s’appliquent. N’importe quel film de super héros abuse de ces mécaniques, et seul le nombre d’âmes sacrifiées sur l’autel du vilain à abattre semble un frein à l’imagination des créateurs, avec pour paroxysme une moitié de la population de l’univers dans le très bon Avengers : Infinity War.
La production littéraire applique les mêmes codes, et s’il est difficile de trouver un unique livre qui dans les ténèbres les unira tous, la saga du Seigneur des Anneaux de Tolkien devrait parler au plus grand nombre, au moins grâce à son adaptation. Nous y retrouvons toujours les mêmes schémas qui se répètent et qui fonctionnent toujours aussi bien, malgré les bientôt 70 ans des romans. Toutefois, ces exemples ont en commun de mettre en scène des groupes de héros qui se battent ensemble dans un but commun.
L’amitié, le dépassement de soi, la peur ou l’amour sont des sentiments qui sont infusés délicatement au fur et à mesure de notre avancée dans ces récits. Une savante alchimie, dont seuls quelques génies des mots et du rythme sont capables de maîtriser les arcanes. S’il était si facile d’utiliser ces schémas, nous ne passerions pas tant de temps à pester contre le massacre d’une licence tel ce qu’est en train d’effectuer Disney avec Star Wars, et des mots tels stéréotypes ou éculés ne viendraient pas farcir les critiques de cinéma de trop nombreuses œuvres en manque d’inspiration.
Mais ça ne marche jamais dans le jeu vidéo en fait ?
De plus, la mise en place dans le monde du jeu vidéo de ces mêmes mécaniques de narration doit faire face à une montagne bien difficile à franchir : le joueur lui-même. Comment mettre en place une délicate ascension émotionnelle lorsque tout ce qui intéresse la personne aux commandes c’est de zigouiller du zombie ou du monstre à tour de bras ? Lorsque la narration est sans cesse coupée par des phases de gameplay ?
Le sentiment de peur est bien le plus facile à mettre en place. Entre les bestioles dégoûtantes qui nous sautent à la figure et les éléments du décor qui s’effondrent sous nos pieds, les scénaristes s’en donnent à cœur joie pour nous faire bondir de nos sièges de gamers. Des titres comme les Resident Evil ou les reboots récents de Tomb Raider en sont de bons exemples, et le joueur prend plaisir à se voir effrayé. Mais la peur n’est pas le seul sentiment que cherchent à véhiculer les auteurs.
Mais comment mettre en place d’autres sentiments sans se baser sur la peur ? Comment jouer un personnage qui ressent de la honte, comment mettre en place un sentiment d’émerveillement ? Comment faire une place à tous ces petits plaisirs qui composent notre quotidien et qui sont loin des climax permanents véhiculés par les titres jouant tout sur une montée d’adrénaline ? Car ce sont ces petites choses qui nous permettent de nous attacher à un personnage, et de rendre ces jeux marquants pour les joueurs et consommateurs que nous sommes.
Certains titres, comme les très bons The Last of Us, optent pour une méthode de tension continue. En y jouant, nous sommes toujours au bord de la catastrophe, et chaque pas que nous faisons se doit d’être mesuré sous peine d’une mort instantanée. Du coup, les moments de détente sont bien plus forts, l’attachement à l’héroïne est sans commune mesure avec ce que peuvent proposer le cinéma ou la production littéraire, car nous sommes aux commandes de ce personnage. Cette boucle, entre tension et détente, nous rapproche continuellement de notre personnage, et les sentiments qu’il vit arrivent jusqu’à nous.
D’autres titres misent quant à eux tout sur les sentiments véhiculés, quitte à rendre le gameplay pénible ou secondaire. C’est le cas de la production du studio Quantic Dream. Avec leurs trois derniers titres, ils ont réussi à faire entrer le cinéma dans nos consoles de jeu. Ainsi, Heavy Rain, Beyond : Two Souls, et Detroit : Become Human, malgré des univers extrêmement différents, tout est fait pour nous mettre dans l’ambiance et pour nous faire ressentir ce que vivent nos avatars. Malheureusement, si ces histoires sont prenantes du début à la fin, nous les suivons comme un spectateur, et les phases de gameplay sont loin d’être passionnantes.
L’autre problème soulevé par ces productions est le jeu des acteurs numériques. Il faut une puissance de calculs et un temps de développement énorme pour réussir à modéliser correctement les visages des protagonistes, avec des résultats qui parfois ruinent complètement l’ambiance mise en place. De même, la relative simplicité que dégagent les productions de chez Pixar demande en réalité des temps et des moyens encore plus importants. Comment dans ces cas-là espérer pouvoir ressentir des émotions autres que la peur dans un jeu vidéo ?
Même un studio réputé pour ces vidéos hors gameplay, comme le fut Square dans les années 90 avec son Final Fantasy VII, ne réussit pas à provoquer un émoi disproportionné avec la mort d’Aeris. Oui, nous sommes surpris par le décès d’un personnage important de notre équipe que nous avions pris plaisir à monter en niveau pour en faire un soigneur bien pratique. Mais à aucun moment nos yeux n’ont besoin d’un mouchoir en papier recyclable pour éponger un trop plein de sentiments. Nous ne sommes que les spectateurs, et non des acteurs, et cette mort n’est rien de plus qu’une péripétie que nous subissons sans nous en sentir réellement proches.
La réponse chez les indés est : oui !
Le monde du jeu indépendant tente lui aussi, avec parfois plus de succès, de véhiculer des sentiments bien plus complexes. Il y a d’abord ce sentiment de perte ou d’abandon lorsqu’un de nos proches disparaît. C’est ce que met magnifiquement en place le très beau Lost Word : Beyond the Page. Les phases de gameplay sont ici merveilleusement mêlées à une narration touchante. Aucune vidéo ne vient couper notre récit, il n’y a que la douce voix de notre héroïne qui nous emmène dans son monde et qui nous fait partager ce qu’elle ressent, faisant ainsi écho à notre propre expérience.
Nous pouvons aussi évoquer Rime et Gris qui, via leur narration poétique mise en place dans un monde onirique, aborde la reconstruction d’un narrateur qui doit faire son deuil d’un être aimé à travers ces différentes étapes que sont le déni, la culpabilité, la colère, le marchandage, la douleur, la reconstruction, et l’acceptation. Véritables chefs-d’œuvre de narration, ces deux titres réussissent à marquer durablement les joueurs en infusant des sentiments auxquels nous sommes trop peu habitués dans le monde du jeu vidéo. Là encore, pas de gros moyen mis en branle pour réussir ce tour de force, mais une esthétique réfléchie et travaillée qui souligne les sentiments plutôt que les marteler au marteau et au burin.
Mais ces sentiments, difficiles à vivre lorsque nous en sommes les récipiendaires, ne sont pas les seuls qui peuvent être mis à l’honneur. Ainsi, dans The Old Man’s Journey, nous suivons les déambulations d’un grand-père qui franchit des obstacles pour se rapprocher d’une famille qui vient de s’agrandir. La simplicité d’un tel récit ne limite en rien les sentiments qu’il véhicule et, comme les deux exemples cités précédemment, toutes nos déambulations sont justifiées par un unique climax final qui vaut à lui seul les quelques heures que nous avons passées en compagnie de ces protagonistes.
Mais l’expérience qui reste sans doute la plus impressionnante de ces dernières années et devant laquelle il nous est impossible de passer reste Hellblade : Senua’s Sacrifice. Le sentiment d’aliénation est ici à l’honneur. Les développeurs ont tout fait pour nous mettre dans la peau de cette guerrière Celte qui, par amour, se rend dans l’enfer du Helheim, pour y sauver l’âme de son bien-aimé. C’est la folie qui la guette dans cet environnement hostile. Le travail sonore effectué est tout simplement exceptionnel. Il a une grande part de responsabilité dans le succès de cette œuvre si particulière, dans laquelle les phases de combat sont un intermède entre des phases introspectives incroyables.
Ces dernières expériences vidéoludiques ont comme point commun d’être relativement courtes. Comment réussir à mettre en place de tels paroxysmes de narration dans une expérience qui dure une centaine d’heures ? Le pari semble très compliqué : les plus grandes sagas littéraires finissent toujours par nous lasser, les films les plus longs souffrent trop souvent de coups de mou, alors un jeu vidéo qui réussirait ce pari de diversifier les sentiments sans les noyer dans un flot de vidéos qui nous feraient sortir du récit semble être un défi irréalisable… jusqu’à l’arrivée de Zelda : Breath of the Wild.
Une Zelda pour les unir tous :
Pour réussir ce tour de force qui consiste à maintenir notre intérêt tout au long des nombreuses heures que nous passons en sa compagnie, le titre d’Eiji Aonuma n’a pas cherché à rivaliser avec les productions à gros budgets à renfort de cinématiques toutes plus folles les unes que les autres, accumulant des climax qui finissent par ne même plus nous étonner ni nous motiver. Zelda : Breath of the Wild fait sien la maxime de Benabar : « Le bonheur, ça s’trouve pas en lingot, mais en p’tite monnaie ».
Cette petite monnaie prend deux formes. La première consiste à nous mettre dans un environnement qui comporte énormément de sources d’émerveillement. Mais pour y accéder, il nous faut faire un effort. Cet effort vient d’abord de notre propre curiosité. Tout joueur, quel qu’il soit, tente sa première escalade tout naturellement. Et puis très vite il comprend l’énorme potentiel que cette mécanique possède. Mais le génie des développeurs de chez Nintendo a été de nous récompenser à chacune de ces escalades.
Ces récompenses ne sont jamais les mêmes. Il peut s’agir d’un temple, d’une plante rare, d’une tanière ennemie à vider, d’un défi Korogu, ou tout simplement d’un panorama à couper le souffle. Nous ne savons jamais à l’avance à quoi nous attendre lorsque nous entamons une séance de grimpette, mais ce qui est sûr c’est que celle-ci nous apportera une satisfaction à la fois simple, mais aussi méritée. Un millier de petits plaisirs nous attendent ainsi à chaque recoin de la carte et jamais, à aucun moment des plus de cent heures que nous passons avec nos Joy-Con en main, il ne nous vient l’idée d’abandonner cette recherche vaine et pourtant si gratifiante.
Bien évidemment, l’épopée épique n’est pas absente de cette aventure. À tout moment, en fonction de nos rencontres judicieusement placées sur la route, nous pouvons avoir envie d’aller à la rencontre de l’un des peuples d’Hyrule. Commence alors une mission qui se terminera dans un donjon. Le déroulement reprend alors les bases de la narration vidéo ludique : une arrivée, une saynète qui pose les enjeux, toujours dramatiques, suivi d’une phase de gameplay, d’un combat contre un boss gigantesque, pour se terminer par une nouvelle saynète qui vient clore ce chapitre.
Sauf que là où tous les autres titres mettent en exergue la vigueur exceptionnelle de leur héros, dans Breath of the Wild, nous pouvons observer les failles des héros censés nous avoir aidés dans le passé, et surtout, nous sommes face à la vulnérabilité d’une princesse qui n’aura jamais été aussi attachante.
Cette vulnérabilité fait naître, aussi bien chez notre héros que chez le joueur, des sentiments d’empathie d’une profondeur encore jamais atteinte dans le jeu vidéo. Nous sommes les témoins des efforts de la princesse pour réussir à combler les attentes de son père. Très vite, nous ne souhaitons qu’une chose, voir la somme de ces efforts porter leurs fruits. Tous ces sentiments qui se mêlent dans ce récit qui se focalise sur le personnage de Zelda, la honte, le respect, la peur de l’échec, le poids des responsabilités, la colère, mais aussi l’amour qu’il soit maternel, fraternel ou passionnel, toutes ces émotions sont présentes dans ce récit qui ne cherche jamais à faire de nous des héros, mais qui nous montre comment une princesse a surmonté ses peurs pour devenir la protectrice de son royaume.
Jouer à Zelda : Breath of the Wild, c’est d’abord et avant tout tomber amoureux. Cet amour concerne une contrée que nous sommes complètement libres de découvrir et dont tout est fait pour que nous continuions sans fin à en découvrir tous les secrets. Mais cet amour concerne aussi la seconde héroïne du jeu, la princesse Zelda. Cet amour, en grande partie pour les raisons expliquées plus haut, nous n’en sommes pas que les acteurs. La page blanche que représente la mémoire de Link à son réveil est similaire à la nôtre au moment de lancer le jeu, les sentiments qui s’y inscrivent sont similaires dans les deux situations, et les émotions que fait naître la princesse dans le cœur du héros sont aussi les nôtres.
L’éveil de ces émotions s’inscrit tout au long des heures passées à jouer. C’est une lente montée qui se termine par un paroxysme, tout en retenue dans un épilogue d’une force contenue incroyable de puissance et un simple « Est-ce que tu te souviens de moi ? », qui cache tellement de choses et qui pourtant résume l’entièreté de notre quête et de l’amour qui est né pour cette princesse. Le simple fait, une fois cette fin atteinte, de reprendre l’ensemble des cinématiques des souvenirs dans l’ordre pour enchaîner sur cette cinématique finale, procure un plaisir qu’aucun autre titre n’a été capable de procurer jusque-là.
Terminons cette partie en bouclant la boucle. Tout comme pour le cinéma, il est un aspect d’une grande importance qui peut amener une production à des variations de qualité en fonction du pays : son doublage. La version française de la princesse Zelda a été assurée par Adeline Chetail, qui réalise une prestation époustouflante pour beaucoup dans l’empathie créée par son personnage. Les émotions véhiculées par sa voix tombent toujours justes, et ce n’est pas un hasard si nous la retrouvons derrière Ellie dans la série des The Last of Us.
Narration et liberté
Un point sur l’état de l’art
Le dernier point à aborder, avant de vous rendre votre vie trop longtemps interrompue par la lecture de ces quelques lignes, est sans doute le plus difficile à aborder, car les points de comparaison avec le monde du cinéma et de la littérature n’existent plus. En effet, le jeu vidéo ajoute une composante essentielle à celles déjà évoquées. Que ce soit pour le rythme, l’immersion ou les sentiments, l’auteur classique est toujours aux commandes de son œuvre, mais l’auteur d’une œuvre vidéoludique devra lui faire face à la dernière composante : la liberté de son joueur.
Nous avons évoqué des titres extrêmement forts tels The Last of Us ou The Witcher. Si ces titres sont excellents, la marge de manœuvre du joueur est finalement assez limitée. Nous nous contentons de suivre les miettes de pain laissées par les développeurs pour atteindre la fin de l’histoire, ce qui représente finalement la quasi-totalité de la production dans le monde du jeu vidéo. Le balisage est toujours ultra présent, et l’ordre dans lequel nous devons avancer dans l’histoire est bien précis.
Même le joueur le plus farfelu qui ne souhaite pas suivre la volonté des scénaristes se verra à un moment ou à un autre confronté à un mur qu’il ne pourra pas franchir. Ne pas pouvoir atteindre un lieu quelconque, s’il n’est pas d’abord débloqué par la narration, est une frustration que tous les joueurs connaissent. Les amateurs de speedrun, s’amusant à trouver les glitchs, en profitent d’ailleurs pour réaliser des prouesses qui, malheureusement, si elles sont rigolotes à regarder, ruinent complètement la narration. Mais notre enclavement dans une histoire est pourtant bien réel.
Imaginez un titre tel Mass Effect, dont tous les lieux seraient disponibles à n’importe quel moment. Le plaisir d’un tel jeu serait immense, mais réussir à mettre en place une narration cohérente pose énormément de défis. Il existe une autre catégorie de titres qui ont résolu ce problème de manière radicale. Ils ont supprimé la composante narrative. Ainsi, Minecraft, recordman toutes catégories confondues, de vente ne nous offre qu’un immense terrain de jeu. Est-ce pour autant un mauvais jeu ? Bien évidemment que non. Les Sims sont un autre exemple ô combien fameux !
Des titres tentent d’apporter plus de liberté à leur narration. Nous pensons ici à Dragon Quest Builder ou aux jeux de construction tels Two Point Hospital. Mais cette liberté n’est pas dans la narration, mais dans les mécaniques de jeu : si nous avons une liberté quant à la manière de mener à bien notre objectif, ceux-ci sont toujours extrêmement balisés, et le visionnage de parties nous permet d’observer que finalement, la plupart des joueurs suivent un déroulement quasi identique.
Le souffle irrépressible de la liberté :
Mais du coup, sommes-nous obligés de suivre les règles fixées par la littérature et amendées par le cinéma dans le jeu vidéo ? La réponse est non, car Zelda : Breath of the Wild est venu rebattre les cartes. Nous ne sommes plus spectateurs de l’histoire de notre personnage, nous en sommes aux commandes. Il n’existe plus qu’un point de départ et un point d’arrivée. À nous de choisir ce que nous allons faire. Nous écrivons notre propre histoire à chaque instant. Bien sûr, des points d’étapes existent, mais rien ne nous oblige à y passer, et il n’existe aucun chemin balisé qui doit être suivi.
Et pourtant, malgré cette absence de contrainte, cette narration tient la route. Certains joueurs, et ils ont en partie raison, critiquent qu’un tel scénario tienne sur un mouchoir et n’apporte aucun retournement de situation. C’est vrai, mais nous allons nuancer cette infirmation. Les retournements de situations dont nous ne sommes jamais responsables, car voulus par le scénario, n’existent pas en effet. Toutefois, les retournements de situations dont nous sommes aux commandes sont innombrables.
La liberté de Zelda Breath of the Wild est totale. Nous nous dirigeons vers un lieu et apercevons au loin quelque chose qui nous intrigue ou qui nous tente. Un scénario classique ne nous autoriserait jamais à changer de trajectoire. Ici, nous faisons ce que nous voulons, tout le temps. Les retournements de situations sont permanents. Ils ne sont jamais grandiloquents, mais ils sont de notre fait. Nous, les joueurs, sommes les propres acteurs de notre histoire. Qui n’a jamais rêvé devant un film ou dans un livre de faire faire une action au héros alors que celui-ci n’en fait qu’à sa tête ?
Voilà la force d’une narration qui mise tout sur son joueur, qui lui fait confiance sans le prendre par la main, et qui lui offre un terrain de jeu dans lequel il a une liberté totale sans pour autant être privé d’un but à atteindre, et dont les graines qui lui donneront envie d’arriver au dénouement sont, non pas disséminées tout au long d’un chemin prédéfini, mais disponibles pour tous ceux qui s’en donnent les moyens. Et encore, il existe plusieurs degrés dans cette volonté. Entre les joueurs qui avanceront plus ou moins linéairement avec « juste » les créatures divines, et ceux partant en exploration totale et tombant sur les souvenirs à débloquer, il existe de nombreuses façons pour que la volonté de sauver la princesse arrive jusqu’au joueur. Mais dans tous les cas, c’est toujours le joueur qui est aux commandes. La frustration de n’être qu’un spectateur n’existe jamais dans le titre d’Eiji Aonuma.
Terminons ce tour d’horizon avec la dernière grande force de ce renouveau de la licence Zelda : notre personnage, ou plutôt, son évolution. Dans tous les anciens titres de la licence, nous débloquions de nouveaux outils au fur et à mesure de notre avancée, augmentant ainsi le sentiment de puissance du joueur. Ici, nous débutons avec l’intégralité de ces outils, tout nous est directement accessible, et le sentiment de montée en puissance n’est pas artificiel, car dicté par une progression mise en place à notre insu, mais elle vient directement de notre propre apprentissage de ces outils.
À nous de jouer le plus intelligemment possible avec ces capacités pour proposer les choses les plus folles. Là encore, le ressenti du joueur est extrêmement différent de ce que propose les autres productions, dont la montée en puissance du héros semble souvent bancale avec la nécessité de mettre en place des twists tous plus invraisemblables les uns que les autres pour justifier l’apparition, ou la perte, de telle ou telle capacité, ce qui se produit à chaque nouvel opus d’une série à succès. La liberté offerte au joueur est totale, et elle est entièrement justifiée par une narration qui n’a plus qu’à offrir à Link une excuse pour détenir par la suite, sans que cela soit obligatoire pour terminer le jeu, les pouvoirs des quatre héros.
Conclusion
Si Zelda Breath of the Wild est un tel monument du jeu vidéo, il ne le doit pas qu’à un gameplay, mais bien à la façon dont celui-ci est parfaitement intégré à une narration dont tous les éléments du jeu gravitent autour. Ce souffle de liberté est un tout cohérent qui rassemble les points forts du cinéma et de la littérature, pour ensuite les dépasser et proposer enfin une narration adaptée à notre média préféré. Nous sommes les propres acteurs de cette aventure, et pourtant, la narration est parfaitement adaptée à cette liberté. Nous sommes une page blanche, tout comme notre héros, et les émotions qui se gravent sur celle-ci le font tout autant sur le joueur que sur son avatar, ce qui renforce le sentiment d’appartenance à ce récit. Cette narration est centrée, non pas sur des événements d’une importance cosmique ou sur des combats dont nous ne pourrons jamais être les acteurs, mais sur le quotidien de deux héros, Link et la princesse, qui cherchent à dépasser des limites qui nous semblent tellement communes à ce que nous vivons au quotidien. Jamais le sentiment de faire partie d’une histoire n’aura été aussi fort qu’avec cette narration dont les grandes lignes sont pourtant si peu nombreuses, et la seule question qui se pose désormais est : pourrons-nous un jour connaître des émotions aussi fortes, et surtout durables, dans un jeu vidéo ?
PS : nous nous excusons auprès des jeux que nous avons malmenés. Bien qu’ils soient d’une grande qualité et que nous ayons passé de nombreuses et joyeuses heures sur ceux-ci, ils sont malgré tout à des années lumières du chef d’oeuvre que représente The Legend of Zelda : Breath of the Wild.
Merci à tous ceux qui ont été capable d’aller au bout de ces élucubrations, n’hésitez pas à réagir pour faire vivre un débat que nous espérons riche en idées.
PPS : que les amateurs de contenus balisés et de cinématiques dantesques veuillent bien nous pardonner nos errances et velléités de liberté…
C’est pas dans la narration que j’ai trouvé Zelda breath of the wild génial. De plus beaucoup de point que je ne suis pas d’accord avec l’article. Pour moi le plus choquant c’est d’affirmer qu’il y’ait des règles de narration dans la littérature. Mais bon je ne mettrais jamais au même niveau l’art avec les jeux videos. L’art étant au dessus des jeux videos. Et que les jeux videos ce n’est pas de l’art. (tant pis si je choque les gamers)
La sculpture et la littérature sont deux arts bien différents tout comme la BD et le cinéma, en quoi le jeu vidéo ne peut-il en être un ? Parce qu’il est fait pour divertir ? Le cinéma subissait les mêmes critiques. L’article mentionne que les règles n’existent pas et que sinon il serait facile d’écrire, ça ne signifie pas que des éléments a respecter n’existent pas
J’ai adoré ce Zelda BOTW. Sa force, c’est sa liberté d’exploration.
Et la narration va avec celle ci. Sans explorer, on ne trouve pas les souvenirs, on ne vois pas le monde ravagé et dépeuplé par 100 ans de guerre, les petits détails de-ci de-là.
L’histoire se construit au fil de notre aventure.
Je n’ai retrouvé cela que dans 1 seul jeu depuis: Elden Ring. Comme par hasard, lui également critiqué pour sa narration.