A l’origine, Akka Arrh est un jeu d’arcade Atari, du début des années 80, qui pour d’obscures raisons, n’a jamais eu la chance de dépasser le stade du prototype. Son gameplay était pourtant original et efficace, en incluant deux phases de jeu : de la défense de zones à coup de bombes et du shoot à la tourelle, en mode zoom, dès lors que les ennemis avaient investi notre base. Son style, mêlant orientalisme à la Flaubert, et SF typique des eighties était également des plus détonants.
Sa légende a ainsi parcouru les décennies pour nous parvenir sur Switch sous deux formes. Nous le retrouvons tel quel dans la récente – et géniale – compilation Atari 50, et sous une forme plus « moderne », une relecture signée par un grand maître du genre. C’est ce dernier jeu qui nous intéresse ici.
Nom d’une pipe en bois dans le bec, c’est ce qu’on appelle un jeu « d’Auteur » hyper prétentieux tout ça !
Aux manettes donc, Jeff Minter, au CV garni, un véritable hippie, pape du shoot psychédélique avec des titres bigarrés que sont dans l’ordre chronologique : Attack of the Mutant Camels, Llamatron 2112, Tempest 2000 (sa plus grande œuvre), Space Giraffe, TxK, Polybius (concrétisation délirante, en VR, et à 120 images par seconde, d’un jeu fictif, une légende urbaine, celle d’un jeu d’arcade qu’aurait créé la C.I.A pour plonger le joueur dans un état second ! Le comble du délire !) et Tempest 4000 (remake de TxK et sa plus grande œuvre ++).
Nous retrouvons donc dans Akka Arrh sa signature, sa folie toute personnelle et tous les tics qui vont avec, qui peuvent parfois désarçonner et/ou rebuter : un flot continu de particules iridescentes, des flashs de lumière surlignés par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, des hommages appuyés, systématiques, à son cheptel de moutons et de lamas, Jeff Minter étant autant développeur que fermier dans la vie réelle (notre tête d’ovin indéfini comme perso, présentement) et un gameplay à la fois simple et complexe qui joue sur notre acclimatation, bon gré mal gré, face à un envahissement total de l’écran par des éléments (souvent) non identifiés.
Page 152 : « le complexe de la complexité accule du perplexe les rouillés des réflexes »
Pour poser les choses, notre avatar cornu se trouve au centre de l’écran et doit bouter l’ennemi hors de son pan de réalité. Les niveaux, vus de dessus, évoquent avec joliesse les motifs des palais orientaux et sont divisés en plusieurs zones distinctes, comme dans le jeu original. Il faut garder à l’esprit que nos grenades vont impacter (partiellement) la zone visée sans jamais faire de dégât sur la zone voisine. A la joute, c’est rapidement compréhensible, et intuitif même si, vous vous en doutez, la difficulté, de savoir où viser, ne sera qu’une contrainte parmi d’autres plus vicieuses.
Le jeu nous propose d’ailleurs un tuto avec une suite d’explications a priori limpides (le tout traduit en français, on va dire champagne !) nous informant de nos possibilités : comme celles d’envoyer des grenades sur ces fameuses zones pour chaîner les ennemis (de manière chill) et cumuler dans notre réserve, des tirs directs pour mieux shooter (de manière énergique) les ennemis les plus retors.
Cette information donnée, le jeu va se faire un malin plaisir de la malmener deux trois niveaux plus tard, et puis, en permanence, niveau après niveau. Rien ne nous paraîtra chill ou simple, à l’écran, tout ne sera qu’adversité : nos précieuses capsules de vie se trouvent par exemple dans un endroit souterrain à la zone principale de jeu, ce que nous découvrons plus tard dans le jeu.
Lequel endroit sera investi par certains ennemis, les plus fouisseurs, si jamais ils atteignent le centre de l’écran… Un peu à la manière du jeu original, mais en plus touffu : outre les ennemis en mode infiltration (et qui peuvent vous saccager l’ensemble de vos 16 points de vie en peu de temps ), beaucoup d’ennemis ne sont là que pour vous faire perdre une seule vie directement, sans passer par la case souterrain, en vous tirant dessus simplement. D’autres encore parasitent l’écran et créent un forme de diversion etc… Il faut donc jongler entre la surface et la salle où nous gardons précieusement ces capsules, et les ennemis !
PS : Pensez à donner un bol de lait au chat
Jouer les bourrins ne sera pas la solution, et si elle l’est, elle ne sera efficace que sur un temps restreint. Il faudra identifier les problèmes, anticiper ceux à venir, cadencer et diriger ses tirs de manière intelligente, privilégier donc les cibles les plus dangereuses à celles envahissantes… C’est déstabilisant, en permanence, et le confort de comprendre le « truc » ne dure souvent qu’un niveau… Le jeu comptant 50 niveaux, il ne se termine pas en deux heures, dix ou plus, même avec la sauvegarde. A la manière des jeux d’arcade d’antan, Akka Arrh soumet le joueur à l’humilité la plus totale.
Le cumul de paramètres à prendre en compte fait d’Akka Arrh un mille-feuilles particulièrement complexe qui risque de perdre le joueur, même le plus habitué aux shoots, lequel ne saura plus où donner de la tête. D’autant que Jeff Minter fait, dans la forme, du Jeff Minter : c’est psychédélique à fond les montgolfières, ça déborde de partout de formes (quand bien même elles sont élémentaires) et de couleurs (mille et une, plus 50 nuances d’octarine et une couleur tombée du ciel, que nous tairons ici de peur de réveiller des forces impies…). Tout ça « fait exprès » pour nous perdre encore un peu plus, comme si ça ne suffisait jamais. Avec bonheur, le jeu reste fluide, et même étonnement lisible pour peu, après quelques game over inévitables, que nous triions (de l’œil) l’essentiel de la masse.
A noter, comme dans tout bon jeu de Jeff Minter, les bruitages ont un rôle capital, au point de presque nous faire oublier la musique (pourtant bien rythmée). D’une pour nous aider à réagir, une alerte nous signalant l’intrusion en zone souterraine ou de deux, à savoir sur quoi nous tirons, si notre regard n’est pas vissé sur ce que l’on tire, chaque ennemi ayant une signature sonore.
Étrangement, et ce n’est pas le moindre de ses charmes, Akka Arrh stimule plus qu’il ne contraint ou nous blesse dans notre ego (il n’y a rien de sadique là-dedans). Ce qui semble né du hasard, se découvre petit à petit, de manière savante : comprendre, analyser, étudier va permettre d’atteindre la satisfaction que nous recherchions, et le plaisir va se matérialiser de manière exponentielle en millions de points.
C’est le score et notre progression personnelle qui importe. Ce n’est pas la fin, qui semble d’ailleurs illusoire. Si par une maîtrise totale du jeu (la chance n’ayant pas sa place ici), vous avez le loisir de voir le bout du chemin, vous pourrez à coup sûr prétendre à une totale zénitude : vous aurez atteint un absolu accomplissement, celui qui se trouve quelque part vers cet infini, qu’on limite malheureusement trop souvent à cet au-delà et ce par-delà de là-bas, ce genre de point à peine plus loin que le bout du dernier atome de nos doigts de pieds, une fois la boucle universelle bouclée, alors qu’entre nous -soyons sérieux une seconde- l’infini, c’est quand même autre chose que tout ça, mordious de non de non !
Conclusion
Peut-être resterez-vous sur le bas-côté ? C'est malheureux, mais c'est possible... Si vous n'avez pas peur du jeu barré, différent et exigeant, vous serez servi. Jeu tamponné Jeff Minter avec une routine de gameplay, en apparence classique, constamment malmenée par des difficultés inattendues, Akka Arrh nous oblige sans cesse à chercher de nouvelles solutions (rythme de nos tirs, gestion de notre curseur, gestion chiffrée de nos tirs directs...) et ce n'est jamais simple en soi. Le mystère qui entoure cet Akka Arrh se fait des plus « nappant », avec une myriade de formes et de couleurs...
LES PLUS
- Difficile de faire jeu plus « barré »
- Un gameplay d'une complexité folle
- Psychédélique comme rarement
- Bordélique et lisible dans le même temps !
- Le sound design au service du jeu
- Excellent système de scoring
- Ne se finit pas en une nuit
LES MOINS
- Le prix de 19,99 € peut décourager d'emblée
- Un shoot qui exige beaucoup du joueur, au risque de le perdre à jamais
- Attention, les yeux !