Créé par le studio Silverstring Media, spécialisé dans la réalisation de jeux indépendants narratifs et ayant collaboré sur plusieurs projets tels que Celeste, Crypt of the Necrodancer, Where the Water Tastes Like Wine ou encore Wandersong, Glitchhikers : The Spaces Between fait suite à un jeu plus court, acclamé sur Steam par de nombreux joueurs en 2014.
Basé sur les différents espaces transitoires qui façonnent notre vie, Glitchhikers se donne le but de nous emmener dans un voyage introspectif et réflexif sur nous, nos attentes et nos propres expériences. À travers un style spécifique, accompagnés d’un narrateur discret mais agréable, la plus grande difficulté dans le développement de ce jeu est la suivante : va-t-il ainsi réussir à établir la fameuse connexion qu’il prétend réussir à instaurer ?
Un appel au voyage
De façon assez intuitive, le joueur est tout d’abord lâché dans un petit parking, de nuit, et peut se rendre dans une petite station-service, afin d’avoir quelques autres petites informations, ou bien directement plonger dans l’un des deux voyages déjà disponibles : celui en voiture ou celui en train. Chaque séquence de jeu dure une quinzaine de minutes environ, que vous pouvez allonger ou raccourcir en fonction de vos désirs.
Si vous souhaitez contempler le jeu en écoutant sa musique, vous pouvez le faire aussi longtemps que vous le désirez, ou si vous souhaitez au contraire couper court aux discussions, cela est aussi tout à fait possible. Il n’y a pas de but, pas d’échec ou de pression mise sur le joueur, pas d’objectif non plus, mais tout cela apporte une sorte de forme de répit et de tranquillité.
C’est un jeu fatalement très introspectif, méditatif, qui se situe dans l’observation et une forme presque de passivité par rapport à ce qui se passe autour de nous. Accompagnés d’un ensemble de musiques agréables, notre petite promenade nocturne nous amènera à rencontrer différents personnages ayant leurs propres histoires, leurs propres opinions et croyances.
On ne sait pas trop, au fond, si ces personnages sont supposément bien réels ou simplement imaginés durant notre voyage, notamment dans les séquences de jeu dans la voiture, marquées par nos lourds clignements d’yeux, ce qui ajoute à l’aspect rêveur-hallucinatoire de ces séquences.
Une grande place au dialogue
Comme tout bon jeu narratif, le dialogue a ainsi énormément d’importance dans ce jeu, étant d’ailleurs quasiment le seul type d’écrit proposé, Glitchhikers ne perd pas de temps dans des descriptions de ce qui se déroule sous nos yeux. Entre trois et cinq réponses sont souvent disponibles et nous permettent de rester assez libres dans ce que l’on peut apporter à la discussion.
Ces réponses orientent les discussions par la suite, nous permettant d’explorer plus en profondeur chaque sujet, remettant parfois, si on le souhaite, en question les réponses que l’on nous donne. C’est une véritable expérience narrative qui nous accorde tout de même une liberté non négligeable.
Ces dialogues abordent ainsi des sujets très différents, toujours introspectifs, ponctués de petits accents d’humour et de random facts inattendus. Les personnages sont faciles à comprendre sans pour autant manquer de complexité dans leur écriture. On a plaisir à les découvrir, à les revoir et à continuer certaines discussions précédemment entamées, donnant l’impression de les connaître de plus en plus et de lier une sorte de relation avec eux.
La part belle à la liberté
La grande diversité dans les manières de se déplacer et d’appréhender les différents « mondes » qui nous sont proposés est aussi très intéressante. On ne se retrouve pas bloqué ou frustré, et nous pouvons accorder une mention spéciale à l’aéroport de nuit qui nous donne parfois l’impression de pouvoir voler. Certains endroits ressemblent presque à des toboggans, et on se retrouve à explorer comme notre cœur nous le dicte et non en étant soumis à des règles arbitraires. Ajoutons à cela une maniabilité simple mais efficace, et nous obtenons un bon cocktail pour une expérience très agréable.
Chaque endroit a ainsi sa propre ambiance bien distincte, essayant de refléter au mieux la réalité en se basant sur les ressentis des joueurs et personnes qui ont participé aux recherches durant le développement du jeu. Les auras différentes de ces lieux permettent ainsi de réellement personnaliser l’expérience en fonction de l’humeur, de ce que l’on souhaite vivre à ce moment-là et de ce qui résonne avec le joueur.
Que l’on souhaite visiter les recoins d’un parc en pleine nuit, observer un paysage assis sur une banquette de train, contrôler notre vitesse et direction dans une voiture ou sauter partout dans un aéroport, les expériences ont ainsi des dynamiques très différentes, passant d’un état quasiment passif à un qui met l’accent sur la curiosité du joueur.
Une bande-son – construction
La bande-son a aussi son importance et sa diversité, et pour cela nous pouvons notamment remarquer, pour le parc, la présence d’un podcast qui nous accompagne et nous parle. Nous ne sommes ainsi jamais vraiment seuls, accompagnés par des voix et des narrateurs différents, aux caractères uniques. Même le compositeur des musiques que nous pouvons entendre dans le train, représenté par un musicien, peut être retrouvé dans le parking du début afin de discuter de façon régulière.
La musique nous accompagne mais surtout permet de finaliser cette ambiance rêveuse, presque somnambulique qui nous hante durant cette aventure. Le train est un voyage tranquille accompagné de sons jazzy, le présentateur de radio est un personnage parfois moqueur et toujours mystérieux, l’aéroport est truffé d’écrans TV et de présentations musicales, le podcast du parc nous amène à réfléchir aux éléments qui nous entourent et continuent l’aspect réflexif qui se trouve dans les discussions que nous explorons.
Des visuels hypnotiques
Cette expérience venant d’un enchevêtrement de réalités, de souvenirs et de pensées de chacun se devait de retranscrire visuellement ce sentiment. Les tons sont ainsi très violets, bleutés, rosés, parfois ressemblant un peu à des néons. Il n’y a pas de dégradés, de gradients, les couleurs sont des aplats à la manière d’un rêve simple, les formes sont simples et cubiques. La complexité se situe dans ce qui est représenté. Des paysages aux descriptifs complets et originaux, un parc empli de statues, tunnels et autres passages secrets, des montagnes enneigées, des forêts, un immense aéroport à la navigation complexe…
Chaque séance de jeu, aussi courte soit-elle est un périple certes en soi mais aussi dans ce monde créé de toutes pièces. Le chara design est aussi très intéressant, nous présentant un panel diversifié d’individus parfois fantastiques, parfois complètement normaux, les montrant comme étant sur un pied d’égalité. Le seul objectif, si on peut appeler ça comme ça, est la possibilité de collecter des petites cannettes qui se retrouvent dans la station-service, à l’effigie des personnages.
Une expérience individualisée
À travers ces univers différents, ces personnages hauts en couleur, on réussit ainsi à créer cette expérience individuelle à chacun, et on se sent d’une certaine manière écouté. Sans tomber dans une perception distordue de la réalité et s’auto-convaincre que le jeu peut nous « comprendre », nous pouvons saluer la recherche de vraisemblance dans les suites de dialogues créés et cette impression d’être accompagné.
Le personnage du tenant de station-service est aussi également très intéressant, qui nous sert de guide mais peut aussi, pour peu que l’on choisisse les bonnes réponses, devenir une sorte de présence rassurante et de bon conseil lorsque le joueur est en situation de détresse mentale. Étant donné les thèmes abordés, l’ajout de cette option est, à mes yeux, la bienvenue, ainsi que l’option de pouvoir éviter les sujets trop sensibles pour tout un chacun. Nous avons ainsi la possibilité de moduler réellement notre propre expérience, chercher aussi loin dans notre réflexion et nos sentiments que nous le souhaitons, et ainsi arrêter si cela devient trop difficile.
Avec plus de cinquante conversations possibles avec les randonneurs, on se plaît à créer notre propre arbre des possibles, à relier les différentes conversations entre elles, entre ce que l’on pense et nos conceptions, avec des sujets qui résonnent plus ou moins en nous.
Conclusion
Glitchhikers : The Spaces Between réussit ainsi avec brio et sans prétention à remplir le rôle qu’il s’était donné : trouver le moyen de créer une expérience spécifique à chacun. Il répond ainsi à ce qu’on attend de lui, pas moins, et c’est ce qu’on lui demande : un voyage agréable en nous-mêmes et dans un monde peuplé de personnages accompagnateurs et nous permettant de réellement creuser sur nos ressentis. Plus qu’un jeu, c’est une expérience en réalité qu’il faut vivre et à laquelle il faut se laisser aller. On peut avoir du mal à y entrer au début, mais au fur et à mesure des séances, le charme se révèle et nous retient, malgré parfois quelques légèretés narratives. Cela vaut le détour pour ceux qui sont ainsi attirés par ce genre, et pourra être revisité de temps à autre pour se remémorer ce sentiment mélancolique, à la limite du rêve, parfait pour une petite session avant de dormir et pour décharger les pensées de la journée.
LES PLUS
- Bande-son agréable
- Graphismes originaux, au charme palpable
- Grands moments d’introspection
- Des personnages attachants
- Variété de lieux et d’ambiances
- Sentiment de découverte
- Expérience totalement individuelle
LES MOINS
- Un style de jeu qui n’est pas au goût de tout le monde
- Une narration parfois pas assez poussée
- Des graphismes pour certains peut-être trop simples