La prise de vue réelle est quelque chose d’à la fois étonnant et déroutant quand il est appliqué à l’univers du jeu-vidéo. La « full motion video » mène souvent à des expériences hors du commun, comme le court, mais excellent Her Story, le déroutant The USB Stick Found in the Grass et bien sûr l’excellent Inscryption.
Mia and the Dragon Princess, lui, est un jeu qui se place dans la pure tradition du film interactif, ce genre si particulier qui mélange l’art du cinéma et du jeu-vidéo. Développé par Wales Interactive et Good Gate Media, les deux studios ont déjà sorti d’autres films interactifs comme Bloodshore ou Who Pressed Mute On Uncle Marcus?
Que nous vaut Mia and the Dragon Princess, le petit dernier disponible sur l’eShop de la Nintendo Switch le 04 mai 2023 au prix de treize euros ?
Un film interactif avec de belles intentions
Le concept d’un film interactif est extrêmement simple. Vous êtes devant votre écran, et vous regardez un film en prise de vues réelles qui se déroule sous vos yeux. Pendant le déroulement du récit, vous aurez des décisions à prendre qui impacteront la suite de l’histoire.
Depuis quelques temps, les liens entre le cinéma et le jeu-vidéo sont plus que fructueux, et les allers-retours sont nombreux d’un art à l’autre. Ce n’est donc pas étonnant de voir le retour en fanfare du film interactif, genre mort-né il y a déjà trente ans.
Mia and the Dragon Princess nous met dans la peau de Mia, une jeune barmaid entre vingt et trente ans qui recueille une femme assez étrange qui ne nous parle qu’en indonésien. Étonnamment, l’arrivée de cette dernière coïncide avec l’apparition d’étranges hommes menaçants…
Dans Mia and the Dragon Princess, vous serez avant tout spectateur du récit. Hormis les choix à faire, qui sont certes nombreux, vous passerez la majorité du temps dans votre canapé à regarder l’histoire qui se déroule sous vos yeux. Si vous cherchez à avoir un jeu dans lequel vous seriez plus actifs, nous vous conseillons dès maintenant de passer votre chemin.
Lors de chaque prise de décision, qu’elle soit anodine ou importe, vous aurez un temps limité pour agir, ce qui vous pousse à faire des choix, même si ces derniers sont cornéliens. Il y a aussi des barres de compassion, de responsabilité et d’autres qui étonnamment ne servent à rien.
La narration de Mia and the Dragon Princess est en entonnoir, ce qui signifie qu’à l’instar d’un Life is Strange, les arcs narratifs se sépareront avant de se retrouver sur certains embranchements, afin de se concentrer uniquement sur quelques décisions clés.
Qu’en est-il de l’histoire ? Sans divulgâcher, le récit, même s’il est intéressant, possède des limites assez marquées qui l’empêchent très souvent d’être crédible. Nous avons parfois la sensation de voir les écrits des courts-métrages étudiants, bourrés de bonnes idées, avec les bases de la structure, mais avec une écriture si maladroite qu’elle en oublie la cohérence.
Avec des incohérences de scénario
Pour ne citer qu’un exemple, Mia and the Dragon Princess met en scène un personnage qui parle en indonésien et que personne n’arrive à comprendre. Cet élément perturbe les discussions jusqu’au moment où un autre personnage arrive avec un traducteur. Et pourtant, malgré cet ajout scénaristique qui signifie que la barrière de la langue n’est plus un problème, les personnages n’utilisent ce traducteur qu’une fois ou deux quand cela arrange le récit.
Cette facilité frustre forcément le spectateur, qui a l’impression d’être pris pour un imbécile, et pire encore, de suivre une histoire qui met en scène des imbéciles. Comment avoir de l’empathie dans ces conditions ?
L’humour est aussi très mal utilisé dans Mia and the Dragon Princess, et c’est vraiment dommage, car nous savons à quel point celui-ci peut-être une arme dans la construction d’une histoire. L’humour de ce film interactif provient de nulle part, sans raison, à des moments incongrus qui mettent mal à l’aise le spectateur.
Car même si l’humour provient d’un décalage entre ce qui doit se passer et ce qui se passe en réalité (exemple : des Anglais arrivent dans un château en Angleterre et finalement ce sont leur ennemi juré, les Français qui sont à l’intérieur de celui-ci comme dans Sacré Graal), et donc de la surprise, le spectateur doit quand même être préparé longtemps en amont avant de pouvoir recevoir la blague.
Avec des personnages parfois mal caractérisés qui obligent les comédiens à surjouer, nous avons un scénario parfois bancal qui aurait mérité une bien meilleure attention. Certains personnages sont pourtant attachants, comme la protagoniste, ou son collègue du bar.
La réalisation aussi nous laisse un sentiment mitigé, car même si la photographie est sublime, surtout en intérieur, nous avons eu la sensation d’un film interactif qui est à mi-chemin entre l’amateur et le professionnel.
Une réalisation entre réussite et amateurisme
Il y a des plans qui sont mal cadrés, qui ne signifient rien, et il y a énormément de mouvements de caméra qui ne donnent qu’une illusion de vie au film. La direction d’acteurs, qui n’est bien sûr pas aidé par un scénario qui ne donne pas grand-chose aux comédiens pour faire vivre leurs personnages, n’est pas irréprochable non plus.
Les morts sont surjouées pour donner un côté dramatique aux personnages et sortent complètement le spectateur du récit qu’il suit. C’est vraiment dommage, car quand les comédiens ont quelque chose à jouer, quand le scénario leur donne la possibilité de construire un personnage, ils sont justes et cohérents.
Ce n’est pas un hasard, dans ces conditions, que ce soit les deux personnages principaux qui s’en sortent le mieux. Les personnages secondaires, eux, sont obligés de se raccrocher à des clichés pour proposer quelque chose.
De plus, certains accessoires, notamment le principal, respirent le papier carton et n’aide pas non plus à entrer dans le récit.
Une bonne rejouabilité
Ironiquement, malgré la forte ambition de Wales Interactive sur ce projet, c’est quand Mia and the Dragon Princess essaie de faire simple que l’histoire arrive à être sincère. Il y a des passages réussis, que ce soit dans l’émotion ou dans l’action et de bonnes idées qui sont quand même à souligner.
Nous avons particulièrement apprécié certaines scènes d’action, bien chorégraphiées, le montage, qui nous permet (presque) de ne pas avoir la sensation de temps mort quand nous avions des choix à prendre, et bien sûr, le nombre de choix à prendre, même si ce nombre diminue au fil de notre avancée dans le récit, ce qui donne l’impression d’être à l’écart des moments-clés.
Nous avons aussi énormément apprécié les scènes en animation au début du récit, qui sont une véritable réussite graphique. Nous saluons le travail des animateurs qui rehaussent la qualité du film interactif.
La rejouabilité est assez importante, car même une fois l’histoire finie, nous pouvons recommencer, zapper les scènes déjà faites, et regarder l’arbre narratif pour débloquer ce qu’il nous manque. L’histoire se termine en une à deux heures, mais vous en aurez bien plus si vous voulez découvrir toutes les fins.
Le prix de treize euros se tient pour ce genre de jeux. Certains pourront arguer que cela ne vaut pas un abonnement pour un service de streaming qui propose eux-mêmes des films interactifs, et ils n’auront pas tort. Cependant, si nous relativisons par rapport à une place de cinéma et à la puissance économique de ces plateformes de streaming, le prix se révèle être tout à fait correct.
Malgré ce qui est écrit, le jeu est intégralement sous-titré en français. Tant mieux !
Conclusion
Mia and the Dragon Princess n’est pas un mauvais film interactif, c’est juste une expérience moyenne. Le scénario et la réalisation alternent entre du très bon et des passages qui frôlent presque l’amateurisme. Cela donne une expérience assez frustrante, où malgré la structure qui laisse beaucoup de choix, le spectateur n’arrive pas à s’imprégner entièrement du récit. Malgré ce qui est écrit sur l’eShop, le jeu est sous-titré en français.
LES PLUS
- Des scènes réussies
- Un grand nombre de choix à prendre
- Une très belle photographie, surtout en intérieur
- Certains personnages bien écrits
- Certains comédiens meilleurs que d’autres
- L’animation, tout simplement sublime
- Une grande rejouabilité
- Un prix correct
- Entièrement sous-titré !
LES MOINS
- Des moments qui frôlent l’amateurisme
- Des mouvements de caméra jusqu’à la nausée
- D’énormes incohérences de scénario
- L’humour qui ne fonctionne pas
- Des personnages peu travaillés
- D’énormes ratés de réalisation
- Des comédiens qui surjouent
- Certains peuvent trouver ça trop cher
- Une sensation de passivité renforcée par les choix à prendre parfois maladroits