Tous les humains ont disparu, seuls ont survécu les robots et les chats… Non, ce n’est pas le pitch de Stray mais une anecdote amusante pour nous faire patienter durant un écran de chargement. Pour le pitch (pour en parler sans en parler), The Library of Babel s’inspire très (très très très très très) librement d’une nouvelle de Jorge Luis Borges ayant pour sujet une bibliothèque proposant au lecteur (qui s’y serait perdu) tous les livres du passé, du présent et du futur. Le jeu est plus terre à terre et nous propose une traque où nous, le chasseur (appelé Ludovik, le Chercheur dans le jeu) deviendra une proie dans des décors mêlant nature et découvertes. Place à l’infiltration 2D et à la plate-forme dans un monde hyper-connecté…
C’est juste beau
Déjà, évoquons l’ambiance et cet univers si particulier. Le mot pour les qualifier serait intrigant : ces robots masqués et floqués de logos que n’aurait pas renier un cartomancien un brin new age, collectionneur accessoirement de pierres qui brillent la nuit. Le jeu est surtout très beau visuellement avec des parallaxes saisissants en arrière plan, pour nous offrir de remarquables panoramas dans des teintes limitées. L’économie de couleurs, d’ailleurs, confère beaucoup d’élégance à l’ensemble et ce petit quelque chose en plus, d’unique au jeu.
La musique n’est pas en reste, et illustre le mystère avec une belle étrangeté, sans jamais s’apesantir : un tourbillon de notes qui ancre nos courses dans le décor à la perfection et se fait désirable lorsque le silence ponctue nos pas dans de sombres cavernes. Artistiquement, The Library of Babel se rend rapidement irrésistible.
S’accrocher à une plate-forme rappellera aux vieux de la vieille le mythique Prince of Persia, mais surtout le cultissime Flashback. Avec ses paysages de jungles, de temples et de complexes abandonnés, ses phases de jeu et son rythme si particulier, The Library of Babel cite ouvertement le jeu de Paul Cuisset. Et il le fait parfaitement bien en nous proposant des puzzles d’un classicisme et d’une efficacité à toute épreuve, incluant interrupteurs, plate-formes mobiles, caisses en bois (que nous nous lassons jamais de poussser), sauts de l’impossible et ennemis qui font des rondes.
Partir loin, les mains dans les poches
Nous n’avons aucune arme pour nous défendre, et pour se jouer des gardes (troufions, drones, lucioles électriques, lémuriens et autres snipers…), il faudra se fondre dans le décor. À défaut d’être hyper-réactif (notre Chercheur est plutôt cool à la détente, un défaut lorsqu’il s’agit de faire vite ou d’enchainer les mouvements compliqués), nous pourrons marcher à quatre pattes, s’arrêter au bon moment et surtout être patient. The Library of Babel plaira aux amateurs d’infiltration, même si elle paraîtra, entre guillemet, simpliste aux plus exigeants. L’I.A de nos robots est en effet scriptée au point de nous oublier la seconde d’après.
Cependant, la difficulté est bien réelle et cueillera quiconque sur certains passages en cumulant mouvements des ennemis aléatoires ou pièges arythmiques (pour éviter toute routine et nous figer d’incrédulité) et timing ultra-serré (concentration la plus totale exigée).
Dans ces moments bien crispants, les checkpoints se font très souvent désirés. Faute d’en avoir un après un voire deux pics de difficulté, le jeu oblige à refaire des séquences cauchemardesques déjà faites, si nous trépassons. Heureusement, ce qui est activé du coté des interrupteurs l’est même après la mort et poser sa main sur un bouton rouge (pour qu’il passe au vert) peut finir par devenir un soulagement.
Un petit monde bien connecté
The Library of Babel parait parfois injuste, peut décourager, mais il est (et c’est une certitude) captivant. En dehors de certains téléporteurs ou checkpoints placés de manière discutable, il est bien pensé. Nous aurons des quêtes, certes de type FedEx mais sans pour autant qu’elle soient rébarbatives : retrouver les objets en question n’est jamais simple. Et nous avons un inventaire avec l’excellente possibilité de combiner les objets. Le côté sympa, et gratifiant, est de récupérer un bout de bois à l’apparence insignifiante pour l’assembler avec ce truc de métal indéfini qui prend la poussière depuis quelques heures, et d’obtenir l’objet de nos rêves.
La structure du jeu, avec son labyrinthe et ses zones diversement connectées, rend l’expérience complexe et organique. Par exemple, les passages calmes comme les pas de côté (des mini-jeux par exemple), que se permet très souvent le jeu, ne sont pas là pour remplir le vide entre deux zones, récompenser, soulager ou juste faire joli : ils sont parfaitement mêlés aux séquences les plus tendues. La réussite tient à ça : The Library of Babel est un tout qui est bien lié, et non une somme de séquences, distinctes et répétitives, comme c’est trop souvent le cas dans la majorité des jeux vidéo.
Conclusion
Auteur de la nouvelle "La Bibliothèque de Babel" qui aurait inspiré les développeurs, Jorge Luis Borges est le maître du vertige intérieur : en quelques lignes, il retourne toutes les dimensions pour mieux nous révéler une vérité enfouie au plus profond de nous. The Library of Babel n'atteint pas ce paroxysme, mais ce qu'il fait, il le fait très bien avec un mélange classique et maîtrisé d'infiltration et de puzzles plate-formesques. Le gameplay, à l'ancienne, à la Flashback, peut s'avérer rigide par moments, mais l'univers du jeu mêlant science-fiction et esotérisme, ce monde connecté et l'aventure en elle-même, exigeante, captivent de bout en bout.
LES PLUS
- Beau, c'est juste beau.
- Musicalement, c'est Byzance !
- En français (même si la traduction est loin d'être parfaite, c'est toujours sympa)
- Univers de SF ésotérique, intrigant
- Monde bien agencé, complexe, avec son lot de surprises
- Mélange organique d'infiltration, d'exploration, de puzzles et de plates-formes
- Une durée de vie plus que respectable
- Combiner les objets trouvés
LES MOINS
- Ludovik, notre chercheur, n'est pas hyper-réactif lorsqu'il s'agit de faire vite
- Ludovik qui grimpe à l'échelle, animation pas top (là, c'est pour chipoter)
- Checkpoints et téléporteurs disposés de manière discutable
- I.A des robots limitée
- Murs de difficulté en béton armé, gare au découragement