Il y a quelques années déjà, le studio français de DON’T NOD avait révolutionné le jeu narratif avec Life is Strange (1 et 2) édité par Square Enix avec des récits impactants d’une écriture impeccable. Cependant, le modèle avait commencé à s’essoufler et DON’T NOD est cette fois-ci de retour avec Harmony: The Fall of Reverie, un jeu qui risque bien de surprendre tous les amateurs de jeux narratifs. Il est disponible depuis le 8 juin 2023 au prix de 25 euros sur l’eShop. Faut-il se laisser tenter ?
You say you want a revolution, well, you know, we all want to change the world
Harmony: The Fall of Reverie nous raconte l’histoire de Polly, une personne qui revient à Atina, sa ville natale, après des années afin de retrouver sa mère disparue. Très rapidement, elle va découvrir Rêverie, un monde lié au sien dans lequel les Aspirations, des entités au caractère bien marqué, impactent le sort de l’humanité.
Dans ce monde, Polly est Harmonie, l’Oracle capable de voir dans l’avenir et de guider les Aspirations dans leurs choix. À nous de prendre les bonnes décisions pour résoudre nos problèmes, mais aussi ceux de la ville d’Atina.
Préparez-vous, car Harmony: The Fall of Reverie est un jeu narratif au gameplay complexe comme nous ne l’avions jamais vu auparavant. À chaque scène, nous nous retrouvons face à la structure d’un chapitre avec tous ses embranchements. Chaque scène est entrecoupée de nœuds que nous devons choisir. Il y a plusieurs types de nœuds que nous allons devoir assimiler afin de comprendre au mieux le gameplay.
Avant tout, sauf nœud qui nous masque la vue, nous sommes capables de lire l’avenir et de voir l’entièreté d’un chapitre. Nous devons donc réfléchir à la scène dans son ensemble pour prendre les bonnes décisions.
Certains nœuds nous privent d’autres nœuds à l’intérieur même de la scène. Si vous choisissez un chemin, les autres ne seront plus jamais accessibles. D’autres nous privent d’autres bouts de récit à l’intérieur même de celui-ci. En choisissant un chemin, d’autres pans entiers du récit disparaîtront.
Certains nœuds nous permettent de débloquer des clés pour des scènes ultérieures. Nous avons aussi des nœuds inévitables, qui, comme leur nom l’indique… sont inévitables.
Finalement, et c’est peut-être le plus important, mais ces nœuds peuvent nous rapporter ou nous faire perdre des points d’Aspirations. Il y a au total six Aspirations (Vérité, Lien, Pouvoir, Félicité, Gloire, Chaos) qui ont chacun un caractère bien à eux. Si nous prenons par exemple une décision qui aspire à lier les gens entre eux, nous gagnerons des points de Lien.
Certaines scènes nécessitent un certain nombre de points pour être débloquées. Si vous vous la jouez en mode « Vérité », vous ne pourrez pas conclure dans le chaos. Nos décisions devront être d’autant plus réfléchies afin d’avoir le dénouement qui nous attire le plus.
À chaque fin d’acte, les points que vous avez accumulés ouvrent des fins spécifiques en fonction des Aspirations que vous avez privilégiées.
Ces points se cumulent dans une mantique, sorte de plateau de jeu où les points de toutes les Aspirations sont stockés. Elles auront un impact énorme sur le dénouement du jeu.
Un gameplay ambitieux qui ne plaira pas à tous
Ce gameplay complexe est dur à prendre en main et même à la fin de la partie, nous continuons de nous tromper et de faire des choix qui sont contraires à nos intentions. Cependant, malgré cette complexité, il y a quelque chose d’innovant et de génial dans cette façon de jouer.
Nous sommes toujours sous tension. Même les nœuds les plus insignifiants peuvent nous mener à d’intenses sessions de réflexion et d’hésitation. Nous sommes vraiment sous le charme par cette interactivité et ce renouveau qui donne un bon coup de pied dans un monde narratif souvent sclérosé, même si cette « révolution » peut aussi frustrer et perturber les hermétiques au changement, ou au contraire ceux qui jouent à ce genre de jeux pour ne pas avoir d’interactivité.
Nous pensons vraiment que ce gameplay est encore perfectible, car la mantique est notamment mal équilibrée et car nous avons pris des décisions et des voies que nous ne voulions pas par incompréhension plus que par choix. Cependant, il est très rafraichissant et nous avons pris un malin plaisir à découvrir toutes les ramifications possibles.
C’est presque une habitude chez DON’T NOD, mais le scénario est admirablement bien écrit. Le récit nous captive presque de bout en bout (nous en viendrons plus tard) et réussit à nous émouvoir à bien des moments. L’intrigue est très bien ficelée et l’histoire se lit toute seule. Les deux mondes sont très bien développés et nous accrochons à cet univers.
L’inclusivité est de mise dans ce récit, ce qui est forcément un point positif dans un récit.
Les personnages sont bien travaillés, avec un grand plus pour le personnage de Laszlo qui est à la fois attachant et très humain. Nous avons aussi apprécié Nora, Jade, Omar et tous les autres qui nous entourent.
Un récit qui frôle l’excellence
Nous avons adoré le passage « All is Lost » où notre personnage déprime pour une raison que nous ne vous révélerons pas. Ce moment est très réaliste et nous a vraiment mis en empathie avec Polly.
Cette excellence dans l’écriture se perd malheureusement dans le dernier acte. Le récit d’Harmony: The Fall of Reverie manque cruellement de subtilité dans le développement de son antagoniste (l’entité que Polly combat). Celui-ci paraît bien trop « méchant » et « inhumain » pour que le lecteur puisse s’attacher à la lutte du protagoniste.
De plus, c’est aussi à ce moment que l’histoire abandonne les personnages principaux pour se concentrer sur la thématique de la lutte. Il aurait été plus intéressant de comprendre comment les personnages sont intégrés à la lutte (comme dans les premières parties) plutôt qu’une suite d’évènements qui paraîtront impersonnels pour les joueurs.
Nous avons été déçus par cette fin dans laquelle nous nous sentions plus investis. Cela n’enlève rien à l’excellente qualité d’écriture sur le reste du récit qui fait qu’Harmony: The Fall of Reverie est un jeu narratif à essayer. Nous tenons aussi cependant à préciser que le propos politique de l’œuvre pourrait ne pas plaire à tous les joueurs.
Le portage sur la Nintendo Switch est assez moyen. Même si le jeu est tactile, les temps de chargement sont parfois très longs, parfois plus longs que la scène en elle-même. Nous sentons que la console se bat de toutes ses forces pour faire tourner le jeu et cette dernière chauffait comme jamais lorsque nous jouions en mode portable.
Le jeu et sa durée de vie vaut largement ses vingt-cinq euros sachant que nous avons passé une dizaine d’heures sur notre première partie et que la rejouabilité est assez forte.
La traduction est irréprochable, sauf les noms des chapitres qui restent mystérieusement en anglais.
La direction artistique d’Harmony: The Fall of Reverie est tout simplement remarquable. Nous avons été envoûtés par ces décors magnifiques aux couleurs chaudes. Les cinématiques sont, elles aussi, très réussies, vraiment belles à voir, et donnent forcément une motivation supplémentaire pour le joueur. Même les scènes immobiles de dialogues sont intéressantes.
La bande-son est intéressante même si elle ne nous a pas marqué personnellement. Elle a parfaitement accompagné le jeu et ne présente aucune fausse note. La direction des acteurs est, elle aussi, très réussie.
Conclusion
Harmony: The Fall of Reverie est une petite révolution dans le jeu narratif. Le jeu risque de ne pas plaire à tous avec son propos politique et son gameplay complexe, mais ceux qui s’accrocheront découvriront une histoire avec une qualité d’écriture exceptionnelle et une direction artistique à couper le souffle. Nous regretterons juste les temps de chargement excessivement longs et son dernier acte un peu moins réussi.
LES PLUS
- Une qualité d’écriture de très haut niveau
- Des passages émouvants
- Des personnages et des dialogues bien écrits
- Des choix cornéliens à prendre
- De l’inclusivité
- Un gameplay complexe et innovant
- Une direction artistique à couper le souffle
- Une bande-son réussie
- Une très bonne direction des acteurs
- Un bon rapport durée de vie / prix
LES MOINS
- De longs temps de chargement
- La console chauffe plus que sur des FPS
- Un dernier acte bien moins réussi
- Un gameplay perfectible qui peut refroidir les habitués du genre
- Un propos politique qui manque de subtilité dans son écriture
- Quelques passages encore en anglais