« Le capital est du travail mort, qui, semblable au vampire, ne s’anime qu’en suçant le travail vivant, et sa vie est d’autant plus allègre qu’il en pompe davantage ». C’est certainement en pensant à Karl Marx et Le Capital que les développeurs anglais de Canteen ont créé CorpoNation: The Sorting Process, dystopie dans un monde où régit un capitalisme très sauvage. Est-ce que cette expérience insolite, sortie le 22 février sur PC (à treize euros) et le 9 mai sur l’eShop de la Nintendo Switch à quinze euros, arrivera à nous convaincre ? C’est ce que nous allons voir.
Une expérience singulière qui n’est faite pour tout le monde
Avant de s’aventurer plus loin, sachez que CorpoNation: The Sorting Process est une expérience insolite, singulière, qui ne correspondra pas à tous les publics. Nous pouvons le comparer à des jeux comme Orwell: Keeping an Eye on You, Papers, Please, ou encore Do Not Feed the Monkeys.
Si vous êtes familiers avec ces expériences ou même intrigués, alors restez, nous allons vous présenter le jeu.
CorpoNation: The Sorting Process nous amène dans l’entreprise Ringo, dans une époque sans date mais qui ressemble très étrangement à la nôtre.
Nous sommes un tout nouvel employé affecté au service des génomes. Le jeu se déroule alors comme une sorte de simulation de vie : nous travaillons la journée et le soir est réservé à nos loisirs.
Notre travail est un peu étrange et n’a pas vraiment de sens, en tout cas au début. Nous recevons des cartes avec des figures et nous devons les ranger dans le tuyau qui correspond.
Si notre figure a cinq points, cela voudra dire qu’il doit aller dans le tuyau alpha. S’il en a quatre, il devra aller dans le bêta. Il y a au total quatre tuyaux.
Plus nous avancerons dans le récit, plus notre travail sera complexe. Nous découvrirons aussi des cartes à motifs avec des numéros ou même avec des descriptions qu’il faudra alors trier.
Nous apprendrons aussi à trier nos cartes en fonction de leur date (nous aurons un tuyau pour jeter les cartes périmées), et leur poids. Nous apprendrons aussi à les épisser et à les mixer.
Nos performances au travail seront notées à la fin de la journée (sur trois étoiles) et influeront sur notre salaire.
Nous rentrons ensuite chez nous dans un appartement installé lui-même dans l’entreprise. Notre habitation n’est pas l’endroit le plus « fun » qui existe.
Money, get back, I’m alright Jack, keep your hands off of my stack
Nous pouvons nous connecter à notre ordinateur afin de payer nos impôts (alimentaire, loyer, etc.), nous pouvons discuter, lire les actualités, acheter de la décoration ainsi que jouer.
Nous discutons avec trois personnes choisies par l’entreprise. Ces derniers vont avant tout parler d’eux et nous n’aurons aucun impact sur la conversation. Nous pourrons juste choisir de les écouter ou simplement de les ignorer.
Les actualités sont préparées par les employés de Ringo et sont très insipides. Nous avons des articles « pièges à clics » qui n’apportent pas grand-chose et des fausses enquêtes à l’opinion totalement biaisée.
La décoration que nous achetons est inutile, cependant, comme nous le rappelle si souvent Ringo, elle permet de réinjecter l’argent dans l’économie et donc de contribuer à la santé de l’entreprise.
Nous pouvons acheter des posters Ringo pour notre chambre, des fonds d’écran et des goodies à l’intérêt très limité.
Il y a finalement les deux jeux validés par l’entreprise, au gameplay fade. D’un côté il y a un solitaire où les attributs (cœur, pique, etc.) ont été remplacés par les cartes Ringo (pour nous apprendre à mieux trier), et de l’autre, il y a Ringo Fighters.
Ringo Fighters est un pay-to-win dans lequel vous incarnez un combattant qui doit mettre KO l’adversaire. Vous avez un coup de poing, une parade, mais vous pourrez aussi vous soigner en combat et utiliser un ultime en échange de quelques crédits.
Les crédits, comme vous pouvez le deviner, s’obtiennent en dépensant notre argent dans le jeu. Et pour gagner et avancer dans Ringo Fighters, il faudra passer très régulièrement à la caisse.
Une critique intelligente de notre société avec un très bon scénario
Voilà globalement notre vie pas très palpitante d’employé chez Ringo. Cependant, plus nous avançons dans l’histoire plus nous découvrons qu’il existe une sorte de résistance à l’entreprise appelée Synthesis. Allons-nous rejoindre la résistance, ou bien allons-nous rester fidèles à Ringo ?
CorpoNation: The Sorting Process est une expérience insolite comme il n’en existe que très peu. Le jeu possède un scénario d’une intelligence rare et s’impose comme une puissante diatribe contre le capitalisme et notre société surconsommatrice.
Nous avons particulièrement aimé ce « Ringo Fighters », symbole des jeux mobiles qui pullulent et qui ne cherchent qu’à nous soutirer de l’argent avec un gameplay assez fade. Nous trouvons ça intelligent d’utiliser ce symbole pour parler à des joueurs de jeux vidéo.
Plus généralement, malgré des jeux ternes, malgré des journées de travail qui finissent par se ressembler, il y a quelque chose d’addictif dans ce CorpoNation: The Sorting Process.
Nous voulons savoir où l’histoire nous mène, et le gameplay réussit intelligemment à apporter quelques petites nouveautés pendant notre progression.
Répétitif et une maniabilité catastrophique à la manette
Est-ce que tout est parfait dans CorpoNation: The Sorting Process ? Malheureusement non. Mimer un quotidien morne et répétitif devient forcément morne et répétitif. Trier des cartes à longueur de journée peut fatiguer à terme le joueur, qui devra prendre des pauses pour continuer.
La maniabilité à la manette est catastrophique. Vraiment catastrophique. Le jeu est un calvaire en mode docké, il manque de précision et nous rouspétons à chaque erreur causée par cette maniabilité douteuse.
En revanche, jouer avec le tactile est un vrai plaisir. Le jeu est incroyable, même mieux que sur PC en mode portable. Nous avons même l’impression que le jeu a été réfléchi pour être joué à la main.
C’est donc à vous de voir comment vous voulez jouer à CorpoNation: The Sorting Process. Si le tactile ne vous dérange pas, alors foncez car vous aurez la meilleure version possible. Si vous aviez l’intention de jouer à la manette, nous vous conseillons alors de foncer sur la version PC pour récupérer une souris.
Le jeu vaut parfaitement ses quinze euros sur Nintendo Switch, notamment pour son aspect tactile, mais sachez aussi que le jeu est moins cher de deux euros sur PC. La durée de vie est plus que correcte, avec six heures environ de jeu (tout dépend de votre investissement post-travail) et une bonne rejouabilité.
Les graphismes sont très intéressants avec ces teintes de bleu qui créent une atmosphère glauque intrigante et réussie. C’est à la fois singulier et oppressant.
La bande-son est aussi excellente. Les musiques sont réussies et contribuent à cet univers angoissant.
Le jeu est intégralement traduit en français, hormis une actualité d’entreprise qui est étonnamment en espagnol.
Nous vous joignons une vidéo réalisée par nos soins qui montrent trente minutes de gameplay.
Conclusion
CorpoNation: The Sorting Process est une expérience singulière et une véritable claque vidéoludique. Cet OVNI a réussi à nous séduire avec son excellent scénario, son ambiance singulière et sa critique intelligente de notre société de consommation. Un jeu que nous vous recommandons chaudement en mode tactile, mais à fuir à la manette.
LES PLUS
- Une expérience singulière
- Un côté addictif assez étonnant
- Un scénario de très grande qualité
- Une bonne durée de vie pour quinze euros
- Une direction artistique très réussie
- Une bande-son remarquable
- Un régal en mode portable
- Une critique intelligente et subtile de nos sociétés
LES MOINS
- Forcément répétitif
- Une catastrophe à la manette
- Ne plaira pas à tout le monde
- Un peu plus cher que sur PC