Plongez dans les rues labyrinthiques de l’Europe avec Despera Drops, un visual novel qui marie suspense haletant, romance mature et dilemmes moraux. Développé par D3 Publisher (à l’origine de Nightshade et Bad Medicine), ce jeu se distingue par son intrigue ancrée dans les couloirs obscurs du pouvoir européen et son casting de personnages aux cicatrices psychologiques profondes. Avec des illustrations signées Yusuke Kozaki (Fire Emblem Awakening) et un scénario de Yoshimura Ririka (Black Wolves Saga), Despera Drops vise haut. On va voir si le jeu en vaut la chandelle.
D3 Publisher, entre niche et ambition
D3 Publisher, filiale de Bandai Namco, s’est forgé une réputation dans les jeux de niche, notamment les otomes et les titres à budget modeste. Si leurs productions oscillent entre succès critiques (Nightshade) et titres oubliables, Despera Drops se présente comme un projet ambitieux : un thriller politique mâtiné de romance, situé dans une Europe fictive mais reconnaissable (Italie, Suisse, Allemagne). Le recrutement de Yusuke Kozaki, dont le style épuré et dynamique a marqué Fire Emblem, et de Yoshimura Ririka, scénariste connue pour ses histoires sombres, témoigne d’un réel investissement créatif.
Un odyssée otome européenne entre thriller, romance et rédemption
Mika Amamine, étudiante japonaise en Italie, possède un don troublant : elle lit les souvenirs et émotions en touchant les mains. Accusée d’un meurtre orchestré par C.R.O.W.N. (une organisation secrète infiltrant gouvernements et polices européennes), elle fuit avec cinq criminels aux passés brûlants :
- Ash, un motard taciturne hanté par un père violent.
- Hamiel, un escroc cynique rongé par l’abandon maternel.
- Gib, un ex-flic idéaliste accusé du meurtre de sa femme.
- Ramie, un voleur énergique traumatisé par des expériences médicales.
- Camu, un héritier otaku en guerre contre la corruption familiale.
- Sally, un hacker travesti luttant contre un trouble dissociatif.
La route commune (12 chapitres) alterne entre scènes d’action (courses-poursuites, infiltrations) et moments plus contemplatifs. Si son rythme pèche par des répétitions (fuir, se cacher, fuir à nouveau), elle pose des bases solides : dynamique de groupe crédible, mystères intrigants (le rôle de Mika comme « Reine » héritière, les véritables buts de C.R.O.W.N.), et ambiance de thriller politique.
Les routes individuelles approfondissent chaque personnage avec une intensité dramatique interessante :
- Ash : Une quête de rédemption centrée sur la violence familiale et la culpabilité. Le climax dans sa ville natale, où sa mère le confond avec son père défunt, est déchirant.
- Hamiel : Une exploration de la haine de soi et du pardon, culminant dans une fausse mort théâtrale et une révélation sur sa mère, plongée dans un coma de 20 ans.
- Gib : Une romance controversée (écart d’âge de 17 ans) mais traitée avec nuance, où la lutte contre la corruption policière se mêle à un deuil complexe.
- Ramie : Un récit sombre sur les abus systémiques, mêlant drogues expérimentales et syndrome de Stockholm. La scène où il brise son masque de jovialité est un point d’orgue.
- Camu : Une satire des révolutions de pacotille, où le héros otaku affronte un vilain adepte de poses de super-héros. Drôle et touchant, malgré des punchlines trop appuyées.
- Sally : Le clou du spectacle. Le personnage, en réalité un homme travesti en sa sœur décédée, explore des thèmes rares dans les otomes : identité de genre, deuil pathologique, et dissociation. Sa route, ponctuée de retournements tragiques, est un chef-d’œuvre d’écriture.
Le Truth End révèle le lien entre Mika et C.R.O.W.N. : sa lignée maternelle, des « Reines » capables de manipuler les masses via des pouvoirs psychiques. Bien que la conclusion laisse des questions (la structure de C.R.O.W.N. reste floue), elle offre une catharsis satisfaisante, avec le groupe formant une agence indépendante pour combattre l’ombre européenne.
Visual Novel avec des pointes d’interactivité
Comme tout visual novel, Despera Drops repose sur des choix narratifs influençant la fin (bonne / mauvaise). Le jeu innove avec des séquences interactives type « mission mode » : le joueur dirige les personnages via des caméras de sécurité pour infiltrer des lieux, désamorcer des bombes, ou échapper à la police. Ces phases, bien que simples, ajoutent une tension bienvenue.
La maniabilité est intuitive sur Switch, avec des chargements rapides et une interface claire. Le touchscreen est supporté, mais le jeu se joue mieux au contrôleur. Cependant, l’impossibilité de sauter les segments de « mission mode » après une première lecture peut agacer lors des replays.
Des anti-héros inoubliables
Le casting de Despera Drops est l’un des plus matures du genre :
- Mika : Rare héroïne otome doublée (JP), elle évolue d’une étudiante naïve à une leader déterminée. Son refus de retourner à une vie « normale » post-C.R.O.W.N. est rafraîchissant.
- Ash : Kuudere torturé, sa route explore la masculinité toxique et la rédemption par l’amour.
- Hamiel : Antihéros charismatique, son sarcasme cache une vulnérabilité déchirante. Sa relation avec Mika, bâtie sur la confiance mutuelle, est l’une des plus crédibles.
- Gib : Le « papa » du groupe, dont la romance interroge l’écart d’âge sans le glamouriser.
- Camu : Une parodie d’anime de super-héros, mais avec une sensibilité touchante.
- Sally : Une exploration audacieuse du trauma et de l’identité de genre. Son arc est une leçon d’écriture.
Les relations de groupe brillent par leur authenticité : disputes, blagues, et sacrifices émaillent le récit, créant une alchimie rare. La scène où ils surprennent Gib et Mika en plein baiser est hilarante.
Kozaki en demi-teinte
Les designs de Yusuke Kozaki (épurés, aux couleurs vibrantes) sont une réussite, bien que certains CGs souffrent de poses raides ou de proportions étranges (ex. : tête de Mika trop petite). Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le terme, les CGs (abréviation de Computer Graphics, parfois appelées CGI pour Computer-Generated Imagery dans d’autres contextes) désignent, dans les jeux vidéo visual novels et surtout les otomes), des illustrations statiques spéciales qui apparaissent pendant les moments clés du jeu. Ces images sont généralement plus détaillées et artistiques que les sprites ou les arrière-plans standards, et elles servent à renforcer l’impact émotionnel ou visuel d’une scène.
Les décors européens (Rome, Hallstatt, Barcelone) sont détaillés, mais manquent parfois de variété. L’absence de sprite visible pour Mika (rare dans les otomes) est une curiosité, mais sa voix (doublée) compense ce choix. L’absence de sprite visible pour Mika surprend, mais au final renforce l’immersion : le joueur est Mika.
Une bande originale envoûtante
Composée par Yugo Kanno (JoJo’s Bizarre Adventure), la BO mêle orchestre classique, guitares flamenco, et synths électro. Les thèmes des personnages (ex. : le piano mélancolique de Gib, les percussions espagnoles d’Hamiel) soulignent leurs archétypes.
Interprétés par Zwei, l’Opening et l’Ending (Despera et Eclipse) allient tension et poésie, avec des paroles reflétant la dualité des personnages.
Le doublage JP nous propose de belle performance comme Itou Kanae (Sally) qui vole la vedette, passant du kawaii au désespoir brut. Tachibana Shinnosuke (Camu) incarne à merveille l’otaku maladroit.
La durée de vie de Despera Drops s’articule autour d’une route commune d’environ 15 heures qui, bien que riche en intrigues secondaires et en développement de personnages, souffre parfois de longueurs et de répétitions dans sa structure narrative. Une fois cette phase franchie, les routes individuelles, consacrées à chaque personnage, offrent entre 8 et 10 heures de jeu chacune, avec un rythme mieux maîtrisé et des révélations captivantes sur les passés complexes des protagonistes. La rejouabilité est encouragée par la présence de multiples fins (bonnes, mauvaises et neutres), ainsi que des choix narratifs impactant significativement le déroulement de l’histoire. Enfin, le jeu propose un mode « Archives » permettant de revisiter les illustrations (CGs), les musiques et les cinématiques débloquées, mais ne comporte aucun mini-jeu annexe pour prolonger l’expérience au-delà du scénario principal.
Despera Drops est disponible sur l’eShop comme en physique.
Conclusion
Despera Drops est un otome qui ose. Il n’est certes pas un visual novel parfait avec des défauts comme sa route commune trop longue et ses villains caricaturaux l’empêchent de rivaliser avec des titres comme Collar x Malice ou Bustafellows. Pourtant, son audace narrative à vouloir sortir des sentiers battus du genre, ses personnages inoubliables, et son traitement respectueux de thèmes difficiles en font une expérience incontournable pour les fans du genre.
LES PLUS
- Écriture mature
- Alchimie du groupe
- Direction artistique
- OST envoûtante
LES MOINS
- Rythme inégal
- CGs incohérentes
- Les vilains méchants pas beaux sous-exploités