Bloodless n’est pas un jeu comme les autres. Dans un paysage saturé de titres violents et frénétiques, ce projet audacieux de Point N’ Sheep (édité par 3D Realms) propose une approche radicale : un Souls-like où la mort n’est pas une option. Inspiré par Sekiro: Shadows Die Twice, mais ancré dans une philosophie non violente, Bloodless invite les joueurs à maîtriser l’art du contre et de la stratégie. Incarnez Tomoe, une ronin en quête de rédemption, et plongez dans un Japon féodal stylisé où chaque combat est une danse mortelle… sans effusion de sang.
Point N’ Sheep, l’audace d’un premier jeu
Point N’ Sheep, studio indépendant derrière ce titre, relève un défi de taille : concilier profondeur tactique et éthique pacifiste. Leur vision ? Un jeu où la violence n’est pas glorifiée, mais remplacée par une mécanique de désarmement exigeante. Avec des influences visuelles tirées de la Game Boy Color et du Neo Geo Pocket, le studio fusionne nostalgie rétro et modernité. Leur pari est réussi : Bloodless se distingue par son identité artistique cohérente et son gameplay innovant, prouvant qu’un premier jeu peut marquer les esprits.
Tomoe, ancienne guerrière redoutée surnommée « L’Éventreuse », a tourné le dos à la violence. Son objectif ? Libérer Bakugawa du joug tyrannique de Shogun Akechi, son ancien maître, sans prendre une seule vie. Pour y parvenir, elle utilise :
- Des contre-attaques précises pour désarmer ses ennemis.
- Des techniques ki pour épuiser leur stamina.
- Une gourde de thé aux effets variés (soin, buffs).
- Des Crests modifiant ses capacité
Le joueur devra naviguer entre réflexion, timing millimétré et exploration pour déjouer pièges et boss redoutables, tout en affrontant les démons du passé de Tomoe.
Une quête de rédemption dans un monde brisé
Bloodless se déroule dans la région fictive de Bakugawa, un territoire autrefois prospère, désormais ravagé par la tyrannie du Shogun Akechi. Ce despote, ancien maître de Tomoe, a corrompu l’âme de la région en imposant un régime de peur et de répression. Les villages sont pillés, les familles séparées, et les rares résistants réduits au silence. C’est dans ce contexte que Tomoe, ronin maudite, fait son retour après des années d’exil volontaire. Son passé de guerrière sanguinaire — jadis surnommée « L’Éventreuse de Bakugawa » — plane comme une ombre sur chacun de ses pas.
Avant de devenir une pacifiste, Tomoe était la main droite d’Akechi, exécutant ses ordres avec une efficacité brutale. Ses exploits militaires, glorifiés par le Shogun, ont laissé des cicatrices indélébiles : villages incendiés, familles massacrées, et même des alliés trahis. Une quête secondaire révèle un flashback où Tomoe, sous les ordres d’Akechi, extermine un groupe de paysans rebelles — une scène qui hante encore ses cauchemars.
La prise de conscience de Tomoe survient lors d’une bataille décisive. Alors qu’elle s’apprête à exécuter un enfant soldat, elle croise son reflet dans une flaque de sang : un visage déformé par la rage, devenu méconnaissable. Ce moment de lucidité la pousse à abandonner son sabre et à fuir Bakugawa, jurant de ne plus jamais verser de sang.
Lorsque Tomoe pose à nouveau le pied sur la terre de Bakugawa, c’est un royaume méconnaissable qui s’offre à ses yeux. Les villages autrefois prospères ne sont plus que coquilles vides, leurs habitants réduits à l’esclavage ou enrôlés de force dans les rangs de l’armée d’Akechi. Les temples qui jadis abritaient méditation et sérénité ont été convertis en casernes fortifiées, leurs murs sacrés souillés par les étendards du Shogun. Quant aux forêts sacrées, elles sont désormais hantées par des esprits vengeurs, manifestations spectrales des âmes que Tomoe elle-même a massacrées dans sa vie passée.
L’accueil réservé à Tomoe par les rares villageois encore libres est empreint d’une hostilité palpable. Yamato, le vieux forgeron au dos voûté par les années, ne peut s’empêcher de lui rappeler amèrement qu’elle a tué son fils unique lors d’une purge ordonnée par Akechi. « Ton retour ne ramènera pas les morts, Éventreuse », crache-t-il avec un mépris chargé de douleur. Hina, la jeune prêtresse aux mains tremblantes, refuse catégoriquement son aide malgré les menaces croissantes des soldats : « Je préfère mourir que d’être sauvée par un démon », murmure-t-elle en détournant les yeux. Le plus cruel peut-être est Kaito, le propre neveu de Tomoe, devenu l’un des lieutenants d’Akechi après la disparition de sa tante, et qui ne voit plus en elle qu’une lâche et un symbole vivant de la faiblesse qu’il méprise.
Une chorégraphie tactique
Le cœur de Bloodless repose sur un système de combat non létal qui exige autant de précision que de stratégie. Lorsqu’un ennemi s’apprête à frapper (signalé par une lueur blanche caractéristique), Tomoe doit se précipiter vers lui pour exécuter un Contre-Dash et le désarmer d’un mouvement fluide. Les attaques marquées d’une lueur rouge, impossibles à contrer, nécessitent quant à elles une esquive rapide pour éviter le coup.
Pour compléter cette approche défensive, Tomoe dispose d’attaques Ki, des coups spéciaux qui épuisent progressivement la stamina de ses adversaires. Une fois leur endurance réduite à néant, les ennemis deviennent vulnérables et peuvent être désarmés instantanément. En progressant dans le jeu, il est possible de débloquer des combos Ki plus élaborés via l’arbre de compétences, ajoutant ainsi une couche supplémentaire de profondeur tactique.
La gestion des ressources joue également un rôle crucial. La Gourde de Thé, remplie aux points de sauvegarde, permet à Tomoe de restaurer sa santé ou de bénéficier de buffs temporaires, comme une stamina illimitée grâce à une infusion de gingembre. La stamina elle-même est une ressource clé, nécessaire pour exécuter les dashes et les attaques Ki, et sa régénération lente impose un rythme de combat réfléchi et mesuré.
Progression et Personnalisation
La progression dans Bloodless est rythmée par plusieurs mécaniques de personnalisation. L’arbre de compétences permet de débloquer des techniques avancées, telles que le Dash Aérien ou le Ki Explosif, en dépensant des gemmes obtenues en accomplissant des quêtes. Ces améliorations offrent de nouvelles options stratégiques et enrichissent l’expérience de combat.
Les Crests, des artefacts rares, modifient radicalement le gameplay. Par exemple, le Crest du Sabreur remplace les attaques légères par des frappes lourdes, tandis que le Crest de l’Ombre réduit le bruit des pas de Tomoe, lui permettant d’éviter plus facilement les détections. Ces artefacts encouragent l’expérimentation et permettent d’adapter le style de jeu aux préférences du joueur.
En parallèle, des défis annexes viennent pimenter l’aventure. Les arènes proposent des combats contre des vagues d’ennemis, récompensés par des Mannen (la monnaie du jeu), ou des Crests supplémentaires. Les collectibles dissimulés dans les niveaux, comme les idoles ou les parchemins, débloquent quant à eux des défis supplémentaires ou révèlent des éléments de lore, enrichissant l’univers de Bloodless.
Bien que les niveaux suivent une structure relativement linéaire, ils regorgent de secrets et de dangers soigneusement placés. Les pièges environnementaux, tels que les bambous rebondissants, les billes de kunai ou les troncs hérissés de pics, ajoutent une dimension tactique aux déplacements et aux combats. Chaque zone possède son identité visuelle, avec des forêts aux tons verts éteints, des villages baignés d’une lumière rouge sang ou des donjons aux teintes bleutées. Ces palettes de couleurs distinctes renforcent l’ambiance et aident à immerger le joueur dans l’univers du jeu.
Les boss de Bloodless représentent des défis mémorables, exigeant une maîtrise parfaite des mécaniques de combat. Le Shogun Akechi, par exemple, alterne entre attaques téléportées et phases de bouclier invincible, forçant le joueur à adapter sa stratégie en temps réel. Le Moine Déchu, quant à lui, invoque des illusions et lance des projectiles en rafale, créant des situations de combat complexes et exaltantes.
Les ennemis standards ne sont pas en reste, et évoluent au fil de l’aventure. Des ninjas lanceurs de shuriken aux samouraïs armés de naginatas, chaque type d’adversaire demande une approche différente, maintenant ainsi une variété constante dans les affrontements.
Précision et petites frustrations
Sur Nintendo Switch, les contrôles de Bloodless offrent une réactivité globale satisfaisante, bien qu’ils ne soient pas exempts de quelques défauts notables. L’un des principaux points d’irritation réside dans la rigidité des dashes : après avoir exécuté un contre, Tomoe subit un léger délai avant de pouvoir enchaîner une nouvelle action, ce qui brise parfois la fluidité des combos et peut désorienter le joueur dans les situations tendues.
La sensibilité du stick analogique pose également problème, notamment lors des séquences de plateforme ou des déplacements en diagonale, où les mouvements peuvent alors sembler imprécis ou moins réactifs qu’escompté. Cette légère maladresse se fait particulièrement sentir dans les environnements exigus, ou face à des ennemis rapides.
Un autre écueil concerne la gestion de la caméra en vue top-down. Certains angles de vue obscurcissent les attaques provenant du hors-champ, un problème exacerbé face aux ennemis capables de se téléporter ou de lancer des projectiles à distance. Ces situations peuvent engendrer des moments de frustration lorsque le joueur se fait surprendre par une attaque qu’il n’a pas pu anticiper visuellement.
Néanmoins, ces imperfections sont en partie compensées par l’ergonomie globale de la manette Switch, qui reste confortable pour les longues sessions de jeu. La version PC, avec ses options de personnalisation des touches, permet quant à elle de contourner certaines de ces limitations, offrant une expérience légèrement plus affinée pour ceux qui privilégient la précision absolue.
Une immersion feutrée
La bande-son, composée de mélodies au shamisen et de nappes atmosphériques, épouse parfaitement l’ambiance mélancolique du jeu. Les bruitages sobres — cliquetis des armes, bruissement des feuilles — renforcent l’immersion. Un détail marquant : lors des « morts », l’écran vire au rouge accompagné d’un grondement sourd, rappelant le poids des choix passés de Tomoe. Seul bémol : la répétition des cris d’ennemis sur les longs segments.
Bloodless se distingue par son esthétique visuelle soignée, qui rend hommage aux classiques rétro tout en y apportant une touche moderne. Le style s’inspire ouvertement de la Game Boy Color, avec des sprites monochromes qui se détachent élégamment sur des fonds noirs profonds, créant un contraste saisissant. Les éclats de couleur stratégiquement placés – comme le rouge vif symbolisant le sang ou les tons verts apaisants des forêts – dynamisent les scènes et renforcent l’atmosphère du jeu.
Les animations, fluides et expressives, ajoutent une dimension vivante à l’expérience. Les mouvements de Tomoe lors des contre-attaques sont particulièrement réussis, tout comme les séquences cinématiques conçues comme des cases de bande dessinée, qui donnent du rythme à la narration.
Les décors ne sont pas en reste, avec des détails méticuleux qui évoquent un Japon féodal en déclin : lanternes à moitié brisées, cerisiers aux pétales fanés et ruines couvertes de mousse contribuent à immerger le joueur dans cet univers mélancolique.
Cependant, lors des combats groupés, la surcharge visuelle peut parfois nuire à la lisibilité, rendant difficile le suivi des personnages au milieu des effets lumineux et des attaques multiples. Malgré ce petit bémol, l’ensemble reste cohérent et profondément immersif, prouvant que le pixel art, lorsqu’il est bien maîtrisé, peut encore rivaliser avec les techniques modernes.
Une adaptation réussie
L’aventure principale de Bloodless se déroule sur environ 8 à 10 heures de jeu, offrant une narration dense et sans temps mort. Pour les joueurs souhaitant explorer tous les recoins de Bakugawa, le contenu annexe – comprenant les arènes, quêtes secondaires et collectibles – peut prolonger l’expérience jusqu’à 15 heures. Bien que la rejouabilité soit limitée dans l’ensemble, le système de Crests et les défis de score apportent suffisamment de variété pour inciter à quelques parties supplémentaires. Cette durée de vie modeste est en réalité un atout : le jeu évite intelligemment tout remplissage inutile au profit d’une expérience concentrée et particulièrement marquante.
Sur le plan technique, Bloodless fonctionne remarquablement bien sur Nintendo Switch. Le jeu maintient une fluidité constante à 60 FPS, que ce soit en mode portable ou sur écran TV, même lors des phases de combat les plus intenses. Les temps de chargement, quasi instantanés, préservent parfaitement le rythme soutenu de l’aventure. La résolution est parfaitement adaptée à l’écran de la console, sans effet d’aliasing notable qui viendrait altérer la beauté du pixel art. Comparée à la version PC/Steam Deck, la version Switch offre une expérience équivalente en termes de performance, bien qu’elle soit moins personnalisable – les options comme les réglages HDR ou les palettes de couleurs alternatives étant réservées à la version PC. Cette adaptation démontre qu’un jeu soigné peut briller pleinement sur console hybride.
Bloodless est disponible sur l’eShop de la Nintendo Switch.
Conclusion
Bloodless n’est pas seulement un jeu : c’est une déclaration. En remplaçant les épées par des gantelets et la mort par le désarmement, Point N' Sheep redéfinit les codes du Souls-like avec brio. Malgré une courbe de difficulté abrupte et une maniabilité parfois rigide, le jeu captive par son identité unique, son récit poignant et son esthétique rétro-moderniste. Recommandé aux joueurs en quête de défis tactiques et d’une expérience narrative mûre, Bloodless prouve que la véritable force réside dans la retenue.
LES PLUS
- Combat innovant, alliant stratégie et précision
- Direction artistique audacieuse et cohérente
- Histoire émouvante, évitant les clichés du genre
- Système de Crests encourageant l’expérimentation
- Bande-son envoûtante et bruitages immersifs
LES MOINS
- Rigidité occasionnelle des contrôles
- Environnements encombrés pendant les combats
- Durée de vie limitée pour les adeptes de jeux longs
- Manque d’options d’accessibilité (ex. : difficulté ajustable)
Quel plaisir de lire des test de cette qualité !