Dans l’univers fermé des jeux rétro, certains titres atteignent un statut quasi-mystique. Rendering Ranger: R² en est l’archétype. Développé en 1995 par Manfred Trenz, légende des jeux d’action des années 80-90, ce jeu hybride run-and-gun/shoot ’em up n’a jamais officiellement quitté le Japon, sa version occidentale Targa ayant été annulée. Avec seulement 10 000 exemplaires produits, il est devenu la Sainte Graal des collectionneurs, se vendant parfois à plus de 1 000 €. Grâce à Ziggurat Interactive et Limited Run Games, cette relique débarque enfin en Occident dans une édition [Rewind], modernisée mais fidèle. Ce test plonge dans les entrailles d’un titre ambitieux, à mi-chemin entre Contra, Turrican et Thunder Force, et analyse pourquoi il mérite (ou non) son statut de légende.
Manfred Trenz n’est pas un inconnu. Créateur de Turrican (série culte sur Amiga et consoles), il a marqué les années 90 par son sens du spectacle et son audace technique. Rendering Ranger: R² est né d’une ambition : fusionner deux genres rois (run-and-gun et shmup) tout en exploitant la puissance de la Super Nintendo. Trenz, inspiré par le succès des sprites prérendus de Donkey Kong Country, a repensé les graphismes en cours de développement, abandonnant un style pixel-art classique pour des modèles 3D précalculés. Un pari risqué, mais qui a donné au jeu une identité visuelle unique… et un budget faramineux, contribuant à son annulation en Occident.
Minimalisme cyberpunk
Aucune cinématique introductive, aucun texte défilant. Rendering Ranger: R² assume son héritage arcade : vous incarnez un soldat (ou pilote, selon les phases) luttant contre une armée de robots et vaisseaux dans un futur dystopique. L’histoire se devine à travers l’action : des usines en flammes aux vaisseaux-mères extraterrestres, l’univers évoque Terminator croisé avec Metal Slug. Quelques séquences en Mode 7 (décollages de vaisseaux, rotations de caméra) ajoutent une touche cinématique, mais le scénario reste secondaire. Ici, c’est l’intensité pure qui prime.
Le gameplay repose sur une hybridation audacieuse, mêlant phases run-and-gun et séquences shoot ’em up.
Les sections terrestres, inspirées de Contra et Turrican, offrent un rythme effréné où l’arsenal varié – entre rafales, tirs perforants et missiles explosifs – se renforce grâce aux power-ups. Chaque arme dispose d’une bombe spéciale rechargeable, ajoutant une dimension stratégique aux affrontements. Le gameplay repose sur des mécaniques exigeantes, comme le saut anti-gravité pour ajuster sa trajectoire, les tirs verrouillables en diagonale pour viser avec précision et des knockbacks qui repoussent violemment le joueur à chaque coup reçu. Le level-design, truffé de pièges et d’ennemis surgissant de toutes parts, met les réflexes à rude épreuve, notamment face à des boss imposants, tels qu’un hélicoptère cracheur de lave.
Les phases shoot-’em-up, directement inspirées de Thunder Force, alternent avec les combats au sol et rivalisent avec les meilleurs titres 16 bits du genre. La possibilité d’inverser la direction des tirs devient vite essentielle pour contrer les attaques en tenaille. Certains boss, comme le vaisseau-mère du niveau 6 et ses tentacules équipées de lasers tourbillonnants, marquent les esprits. Le jeu innove également en intégrant des séquences hybrides, où les phases aériennes se combinent avec des poursuites à pied, à l’image du niveau 8 qui culmine dans un chaos total.
La gestion des ressources impose une approche tactique. Les power-ups arc-en-ciel améliorent simultanément toutes les armes, tandis que les HP Up permettent de récupérer de la vie ou d’obtenir un bouclier temporaire. Contrairement aux shoot ’em up traditionnels, les bombes se rechargent avec le temps, encourageant une utilisation réfléchie plutôt qu’économe. En revanche, perdre une vie affaiblit considérablement la puissance de feu, rendant chaque erreur coûteuse.
La difficulté, bien que motivante, se révèle parfois inégale. Certains niveaux, comme l’usine du troisième stage, affichent des pics brutaux, où les vagues d’ennemis surgissent de manière impitoyable. Le jeu impose un mode Hard par défaut, un choix typique de son époque, bien que les versions modernes permettent d’atténuer cette exigence. Cependant, l’absence de checkpoints, les knockbacks imprévisibles et des hitboxes parfois approximatives héritées de l’ère Amiga viennent ternir l’expérience, rendant l’aventure aussi stimulante que frustrante.
C’est beau pour de la SNES
Les graphismes repoussent les limites de la Super Nintendo grâce à des sprites prérendus dans la lignée de Donkey Kong Country. Ce choix artistique confère aux ennemis et aux décors un effet 3D rudimentaire, mais plein de charme, avec des robots articulés et des vaisseaux aux textures métalliques détaillées. Les effets visuels exploitent pleinement les capacités de la console, notamment avec l’utilisation du Mode 7 pour des décollages spectaculaires et des rotations de caméra lors des combats de boss. Les environnements bénéficient d’une mise en scène dynamique, entre usines en pleine explosion, fonds étoilés aux dégradés soignés et pluies de météores renforçant l’immersion. Certains décors conservent cependant un pixel-art plus traditionnel, à l’image du vaisseau-mère du niveau 6, rappelant l’orientation graphique initialement envisagée. Malgré la richesse des visuels, l’animation demeure fluide, affichant un 60 FPS constant sans ralentissement notable.
La maniabilité oscille entre précision et contraintes héritées du passé. Les contrôles sont réactifs, avec des tirs instantanés, mais des hitboxes larges et des knockbacks excessifs peuvent frustrer les habitués de la précision millimétrée d’un Contra: Hard Corps. L’édition [Rewind] apporte néanmoins une touche de modernité en permettant de reconfigurer les commandes, une option bienvenue pour s’adapter au Joy-Con.
L’ambiance sonore s’ancre dans les sonorités des années 90 avec une bande-son électronique énergisante, bien que moins marquante que celle de Thunder Force IV. Certains morceaux se démarquent, notamment le thème du premier stage et celui du boss final, dont les mélodies oppressantes accentuent la tension des affrontements. Les effets sonores participent pleinement à l’expérience arcade avec des explosions saturées, des crissements de lasers et des bruits métalliques percutants. En bonus, un lecteur de musique intégré permet d’écouter les 15 pistes du jeu en dehors des sessions de gameplay.
Édition [Rewind] : Modernités et occasions manquées
L’édition [Rewind] apporte quelques ajouts intéressants, mais aussi son lot de déceptions. Elle inclut Targa, la version occidentale inédite du jeu, dont la seule différence notable réside dans un léger changement de sprite pour le personnage principal, désormais affublé d’une barbe, sans impact sur le gameplay. Parmi les fonctionnalités modernes, le rewind s’avère pratique, bien qu’il continue d’enregistrer même lorsque le jeu est en pause, limitant son efficacité dans les moments les plus chaotiques. Des filtres visuels, notamment un effet CRT avec scanlines, permettent de retrouver une esthétique rétro, tandis que des options d’ajustement de l’écran garantissent un affichage précis de l’action. Cependant, certaines absences se font sentir : le système de passwords archaïque remplace les continues, obligeant à recommencer des niveaux entiers, et la traduction anglaise reste basique, avec quelques maladresses dans les textes du jeu original.
Malgré sa difficulté élevée, l’expérience reste relativement courte, avec une durée de vie d’environ deux heures pour les joueurs expérimentés. L’absence de checkpoints rallonge néanmoins artificiellement la progression, obligeant à la rigueur et à l’apprentissage des patterns ennemis. La variété entre les séquences run-and-gun et shoot’em up offre une bonne rejouabilité, notamment pour ceux cherchant à perfectionner leurs scores. Quelques secrets disséminés dans les niveaux, comme des armes cachées ou des chemins alternatifs, ajoutent une incitation supplémentaire à explorer et maîtriser chaque stage.
Difficile de classer précisément ce titre au sein des références du genre. Comparé à Contra et Turrican, il se montre moins fluide que Contra III mais plus diversifié que Turrican grâce à ses phases aériennes. Face à Thunder Force, les séquences en shoot’em up paraissent moins techniques que celles de Thunder Force IV, mais restent plus accessibles. Par son mélange audacieux des genres, il préfigure certains jeux modernes comme Cuphead, confirmant son statut d’OVNI unique dans l’histoire du run-and-gun.
Conclusion
Rendering Ranger: R² est un véritable ovni du jeu vidéo, mélangeant avec audace run-and-gun et shoot ’em up. Son esthétique en sprites prérendus et son level design nerveux rappellent l’âge d’or des jeux d’action des années 90. Si son gameplay est globalement solide, il souffre de quelques maladresses, notamment une difficulté parfois injuste et un manque de souplesse dans les contrôles. L’édition Rewind apporte des fonctionnalités modernes intéressantes, mais elle aurait mérité d’inclure un système de continues pour rendre l’expérience moins frustrante. Un titre culte qui ravira les amateurs de défis old school, mais qui demandera de la patience aux joueurs moins aguerris.
LES PLUS
- Un mélange unique entre run-and-gun et shoot’em up, offrant une grande variété d’action
- Des graphismes en sprites prérendus impressionnants pour l’époque, rappelant Donkey Kong Country
- Un challenge relevé, parfait pour les amateurs de jeux d’arcade exigeants
- La version Rewind apporte des ajouts bienvenus : rewind, filtres CRT, ajustements d’écran
- Musiques et effets sonores percutants, renforçant l’ambiance arcade
LES MOINS
- Une difficulté parfois frustrante, avec des pics mal dosés et un système de knockbacks punitif
- L’absence de continue, obligeant à utiliser un système de mots de passe dépassé
- Un gameplay parfois rigide, notamment dans les phases run-and-gun
- Traduction anglaise basique, sans effort d’amélioration des textes originaux
- Une durée de vie courte (environ 2h), bien que compensée par la rejouabilité