Imaginez un Hotline Miami plongé dans un bain d’acide, fusionné avec une esthétique biopunk japonaise et rythmé par une bande-son hip-hop survoltée. Sonokuni, conçu par DON YASA CREW (collectif de sept rappeurs nippons devenus développeurs), est une expérience sensorielle et philosophique. Entre réflexions sur l’identité culturelle et carnages au katana synchronisés sur des beats explosifs, ce jeu indépendant défie les conventions. Si vous cherchez un titre qui mélange l’audace artistique, la difficulté sadique et une bande-son mémorable, ce trip numérique est une claque.
DON YASA CREW n’est pas un studio ordinaire. Ce groupe de musiciens hip-hop, inspiré par des légendes comme Creepy Nuts (générique de Dandadan), a transformé son amour du rap en un jeu vidéo engagé. Pendant le confinement, ils ont mêlé leurs talents pour créer un univers où chaque coup d’épée résonne comme un coupleur, et où les décors psychédéliques reflètent leur vision d’un Japon déchiré entre tradition et assimilation. Leur objectif ? Offrir une plateforme à leur musique tout en questionnant la préservation de l’âme face à l’uniformisation.
Assimilation, sacrifices et dilemmes moraux
Dans un futur dystopique, deux tribus s’opposent dans une lutte idéologique et existentielle. Les Sonokuni, gardiens de traditions ancestrales, sont représentés par Takeru, une assassin tourmentée par deux dieux intérieurs incarnant son doute et sa détermination. Face à eux, les Wanokuni forment une société techno-organique promettant l’immortalité grâce à une pilule d’assimilation, mais au prix de la disparition de toute individualité, transformant ses membres en humanoïdes végétaux identiques.
Malgré leur apparente bienveillance – ils soignent les malades sans les forcer à l’assimilation –, les Wanokuni cherchent à absorber les Sonokuni. Takeru refuse de voir son peuple et sa culture disparaître et se lance alors dans une croisade sanglante, mettant en jeu son humanité.
Ce récit explore des thèmes profonds, notamment la confrontation entre identité et progrès, où les Wanokuni prônent une utopie égalitaire dénuée d’âme, tandis que les Sonokuni s’accrochent à leur héritage, même au bord de l’extinction. La dualité intérieure de Takeru, incarnée par ses dieux intérieurs, renforce la dimension psychologique du récit. Inspiré des mythes japonais sur les sacrifices humains et les esprits (kami), le scénario évite les clichés grâce à des dialogues percutants et des personnages ambigus.
Cependant, quelques faiblesses émergent, notamment une fin ambiguë qui laisse de nombreuses questions en suspens et des redondances dans les dialogues, en particulier sur le dilemme central entre assimilation et résistance, qui finit par alourdir le récit.
Chorégraphie de sang et de réflexes
Le gameplay repose sur une chorégraphie sanglante où réflexes et précision sont primordiaux. L’attaque au katana permet de trancher net les ennemis en mêlée, mais sa portée limitée impose un engagement rapproché risqué. La parade, quant à elle, exige un timing parfait pour dévier projectiles et coups adverses, offrant la possibilité de renvoyer les balles ou d’effectuer une contre-attaque dévastatrice. Le ralenti, élément clé du système de combat, permet de geler le temps pour esquiver, se repositionner ou préparer une frappe fatale. Son utilisation est limitée en mode Normal, mais devient illimitée en mode Facile, facilitant l’apprentissage des mécaniques. La mobilité repose sur des déplacements fluides et des roulades essentielles pour éviter les attaques et traverser les zones dangereuses.
Les niveaux se présentent sous forme de salles mortelles où chaque affrontement devient un puzzle sanglant. Les ennemis suivent des motifs prévisibles mais redoutables, et il faut tous les éliminer pour débloquer la sortie. Si les combats de boss offrent des affrontements mémorables, leur équilibrage reste inégal, oscillant entre des mécaniques frustrantes (comme un laser géant en spirale demandant une précision extrême) et des affrontements chaotiques où l’absence de checkpoints accentue la difficulté. L’exploration, bien que possible, se révèle souvent décevante : un guide visuel indique le chemin optimal, et les salles optionnelles ne proposent aucune récompense, réduisant leur intérêt.
Face aux différents types d’ennemis, l’approche stratégique est cruciale. Les archers tirent des flèches bleues (qu’il faut parer) ou rouges (qu’il faut esquiver), les berserkers chargent en ligne droite et restent vulnérables sur les côtés, les cracheurs d’acide envoient des projectiles au sol obligeant à sauter pour survivre, tandis que les gardiens protègent leur flanc avec un bouclier, forçant à les attaquer dans le dos.
Plusieurs modes de difficulté modulent l’expérience : le mode Facile permet d’expérimenter sans contrainte grâce à un ralenti illimité, tandis que le mode Normal impose une gestion plus fine des ressources. Un mode « Hotline », déblocable, accélère le rythme et introduit un one-hit kill renforcé, rendant chaque erreur fatale. Enfin, le mode Speedrun propose des niveaux en miroir avec un chronomètre, réservé aux joueurs les plus acharnés.
Le système de parade s’impose comme un atout majeur, transformant chaque duel en un ballet mortel où timing et anticipation sont récompensés. La diversité des ennemis et leur intelligence artificielle dynamique forcent constamment à adapter son approche, empêchant toute monotonie. En revanche, certains boss cassent le rythme avec des mécaniques parfois mal calibrées, et l’absence de récompenses pour l’exploration diminue l’intérêt des détours.
Précision et ergonomie
Les contrôles se montrent réactifs et intuitifs sur Switch, que ce soit avec les Joy-Con ou la manette Pro. La sensibilité du stick est bien ajustée, rendant les esquives précises et naturelles. L’optimisation est impeccable, sans aucun input lag détecté, un point crucial pour un jeu où chaque milliseconde peut faire la différence. Cependant, quelques problèmes viennent ternir l’expérience : les collisions avec les décors manquent parfois de clarté, entraînant des morts frustrantes, et la caméra fixe peut s’avérer handicapante dans les salles bondées, rendant certains projectiles difficiles à percevoir.
La bande-son, composée par Don Sagawa et Ruichiro, constitue une véritable prouesse musicale, sublimant l’ambiance du jeu avec un mélange percutant de hip-hop japonais et d’influences électro. Les 50 pistes alternent entre des battements saccadés pour dynamiser les combats, des chants traditionnels déformés créant une atmosphère envoûtante lors des séquences narratives, et des morceaux de rap incisifs évoquant la rébellion et la quête d’identité. L’édition deluxe inclut d’ailleurs la bande-son, un incontournable pour les amateurs du genre.
Le design sonore renforce cette immersion avec des effets parfaitement travaillés : les coups de katana produisent un crissement métallique saisissant, tandis que les gémissements des Wanokuni, oscillant entre gargouillis végétaux et plaintes humaines, accentuent l’horreur biopunk du jeu. Cette maîtrise sonore a d’ailleurs été récompensée par le prix BitSummit Excellence in Sound 2023, une distinction méritée tant l’expérience auditive joue un rôle fondamental dans l’identité du jeu.
Un delirium pixelisé
Le style visuel se distingue par un mélange audacieux de pixel art flou et de couleurs néon saturées, donnant l’impression d’une aquarelle numérique sous LSD. Les environnements alternent entre temples shinto en ruines, laboratoires bio-organiques et forêts fluorescentes, créant un contraste saisissant entre tradition et futurisme. Les effets de lumière ajoutent à cette ambiance unique, avec des projecteurs clignotants et des reflets dynamiques sur les flaques de sang. Les animations, quant à elles, renforcent l’impact visuel : les ennemis explosent en gerbes de pixels sanglants, et chaque parade déclenche une onde de choc stylisée. Le design des personnages accentue cette opposition entre les Sonokuni et les Wanokuni, avec une Takeru au kimono déchiré et au regard perçant, face à des humanoïdes androgynes, drapés de bandages. Toutefois, cette direction artistique peut parfois nuire à la lisibilité, certains décors rendant les obstacles et ennemis difficiles à distinguer. De plus, l’agencement des niveaux manque parfois d’intuitivité, rendant le guide intégré indispensable pour progresser.
La durée de vie se situe entre 4 et 6 heures pour une première partie, selon la difficulté choisie. Si la campagne principale est relativement courte, elle se révèle dense et intense, avec des combats nerveux et exigeants. La rejouabilité repose sur plusieurs éléments, comme des choix cachés influençant certains dialogues (sans grand impact sur l’histoire), ainsi que des modes supplémentaires tels que Hotline et Speedrun, pensés pour les joueurs en quête de challenge. Les plus acharnés pourront également s’imposer des défis personnels, comme terminer le jeu sans utiliser le ralenti ou explorer toutes les salles. À 24,99 €, le contenu peut sembler limité, mais l’expérience reste marquante et bien rythmée.
Techniquement, le jeu tourne en 1080p en mode docké et 720p en portable, avec une stabilité remarquable malgré l’abondance d’effets visuels. Le framerate se maintient à 60 FPS, ne fléchissant que légèrement dans les salles les plus bondées. Les temps de chargement sont quasiment inexistants grâce à la structure compacte des niveaux. Sur Switch OLED, les couleurs fluorescentes ressortent particulièrement bien, sublimant l’esthétique du jeu et rendant l’expérience encore plus immersive.
Conclusion
Sonokuni est une claque artistique qui ose défier les conventions. Entre son gameplay nerveux, sa bande-son révolutionnaire et son esthétique folle, il s’impose comme une expérience unique, mais résolument niche. Les fans de Hotline Miami ou de Dead Cells y trouveront un défi exigeant et une ambiance inédite, portée par un récit engagé sur la préservation culturelle. Cependant, ses excès (boss décourageants, visuels parfois confus) en font un jeu inégal, réservé aux joueurs patients et passionnés d’art expérimental. Malgré ses imperfections, Sonokuni reste une œuvre incontournable pour quiconque cherche à sortir des sentiers battus.
LES PLUS
- Combats rapides et techniques
- 50 pistes hip-hop japonais mémorables
- Identité visuelle unique
- Rejouabilité au top
LES MOINS
- Boss mal calibrés
- Surcharge visuelle
- Absence de récompenses