Sous ses dehors de jeu d’enquête se cache en réalité un jeu pour le moins inattendu. Dans le Paris de la Belle Époque (fin du XIXème siècle), nous incarnons Alfred Ethon, un inventeur richissime. Et dès les premières minutes du jeu, nous allons vivre son forfait : un assassinat, un crime odieux perpétré sur une domestique du nom de Marie Capet. Nous sommes donc coupables, aucun doute possible là-dessus. Le jeu s’entrecoupe alors de séquences au tribunal et de scènes illustrant notre témoignage, mélange de faits avérés et de mensonges que l’on fomente en progressant sur les lieux du crime et ses alentours, le but étant d’éviter à tout prix la guillotine.
Le jeu nous permet bien des fantaisies : faire accuser quelqu’un, se faire passer pour un fou, accabler la victime… Au juge et au procureur ensuite de révéler au grand jour nos incohérences, par le questionnement et la somme des indices recueillis sur place. À noter que la temporalité des événements doit être un minimum respecté pour que notre témoignage soit pris au sérieux. Le concept est non seulement original, mais il est troublant. On se prend au jeu du criminel, et on teste les possibilités offertes par l’unique programmeur du jeu. Le premier run est d’ailleurs enthousiasmant. Si l’un de nos mensonges est un peu gros ou si l’on prend benoîtement l’arme du crime dans ses poches avant d’aller chez la victime, c’est au mieux la perpète, au pire, la peine de mort ! La scène de la guillotine, en vue à la première personne, fait suffisamment froid dans le dos pour nous inciter à mieux jouer la fois suivante.
Mais passé l’étonnement, il est possible de déchanter très rapidement. La musique est dans le ton mais le doublage, une sorte de « franglais » avec un accent à couper au couteau, peut finir par agacer. Si l’on excepte des textures mal placées comme celle derrière la porte vitrée de l’hôtel et une évasion de prison -ratée- dans le noir complet, les décors sont jolis et traduisent bien l’ambiance parisienne d’un quartier de Montmartre, pas comme les modèles 3D des personnages qui commencent à dater. Les lieux sont également peu nombreux (6 en comptant la minuscule portion de rue et le tribunal), et surtout, le jeu se termine trop rapidement. Comptez dix à vingt minutes (ou plus si on brode efficacement de jolis faux souvenirs) pour arriver au verdict du juge. Ce dernier est souvent implacable et nous oblige à rejouer pour espérer une meilleure fin (sur les 9 possibles). Malheureusement, comme il n’y a qu’une seule affaire, on a le sentiment d’avoir fait le tour du jeu après 2 ou 3 parties, avec cette grosse pointe de lassitude, vu qu’on revit souvent les mêmes scènes. Un comble !
Enfin sur le fond, se sauver alors qu’on a assassiné la domestique, sans aucune compassion pour elle, rend le jeu sulfureux et très intéressant. Ambivalent par moment, comme le fait que nos origines gitanes puissent rentrer en ligne de compte dans notre défense : notre avocat parle alors du racisme ambiant qui fait de nous le coupable tout désigné. Si nous étions innocents, cela rendrait l’idée intéressante et permettrait de mettre à l’index les préjugés racistes. Or ici, nous sommes coupables d’emblée, c’est un fait. Le jeu ne traite donc pas du racisme, comme on peut s’y attendre, mais il s’en sert comme un élément de duperie (le coupable serait donc une fausse-victime du racisme) et d’un élément décoratif visant à rendre crédible le contexte. C’est finalement maladroit, car parler du racisme dans n’importe quelle œuvre de fiction (jeux-vidéo, film, littérature etc..), c’est traiter la question du point de vue moral ou, du moins, avoir un propos sur le sujet. Ici, pas de propos, et encore moins de point de vue moral. C’est une maladresse d’autant plus grande que le titre du jeu, « Bohemian Killing », renvoie principalement aux origines du tueur.
Conclusion
Ce "Faites entrer l'accusé" en jeu-vidéo dispose de sérieux atouts, à commencer par son concept même. Mais rapidement, le jeu montre ses limites et la première d'entre-elles arrive à la vitesse de l'éclair : une très faible durée de vie malgré 9 fins différentes. Le jeu offre tout de même une part de troubles, un questionnement au minimum, sans pour autant bien traiter la question du racisme.
LES PLUS
- Un concept novateur
- 9 fins possibles
- Troublant
LES MOINS
- Rapidement répétitif
- Une seule affaire
- Le doublage « Franglais »
- Maladroit sur la question du racisme