Sorti sur PC l’été dernier puis sur Nintendo Switch, Night Call est un jeu indépendant français vous proposant de vivre les aventures d’un chauffeur de taxi parisien menant l’enquête pour retrouver un tueur en série. Avec une écriture maîtrisée, nous avons voulu en apprendre plus sur la conception du titre. Découvrez ci-dessous notre interview avec Anthony Jauneaud, narrative designer du jeu.
Pouvez-vous vous présenter rapidement pour nos lecteurs ?
Bonjour, je m’appelle Anthony Jauneaud et je suis concepteur narratif et auteur pour le jeu vidéo. Je suis né sur l’île de la Réunion, j’ai fait des études de cinéma puis de scénario pour la TV avant de rentrer dans l’industrie en 2009. Depuis, je travaille sur des projets variés, allant du AAA à des jeux indés.
A quel moment du développement le narrative designer arrive sur le projet ? A votre arrivée, le jeu était en phase de concept ou vous connaissez déjà la direction à suivre ?
Cela dépend réellement des projets. La plupart du temps, les narratives designers arrivent très tôt lors du prototypage et de la création de l’univers et puis reviennent plus tard pour concevoir et écrire le contenu une fois la production lancée.
Pour Night Call, Laurent Victorino, qui a eu l’idée de base, m’en a parlé tout de suite et nous avons travaillé main dans la main avec les autres membres de l’équipe pour construire un univers et les personnages.
La force du jeu réside dans la variété des PNJ, on ne sait jamais sur qui on va tomber : des clients éméchés qui rentrent de soirée, des prostituées, un type qui joue les super-héros la nuit… Vous vous êtes inspiré pour certains d’entre eux de vos propres expériences ou ces histoires ont été créées de toute pièce ?
Au tout départ, nous avons rédigé une très longue liste de personnages et d’histoires qui nous plaisaient. Parfois il s’agissait d’un personnage de film ou bien d’une personne réelle. On s’envoyait des articles, des tweets même, en se disant : “ça serait pas mal comme personnage, non ?” Je pense qu’on a dû avoir aux alentours de 200 pitchs comme ça, parfois très vague — un prêtre qui a une relation amoureuse, par exemple —, parfois hyper précis.
Les protagonistes liés directement aux trois enquêtes du jeu ont-ils été conçu différemment des autres PNJ ? Avec plus de choix de questions par exemple ou des dialogues différents pour donner des pistes au joueur ?
Tout à fait. J’ai très vite dû définir qui étaient les coupables et puis ensuite leur écrire une scène qui n’était pas trop évidente, mais qui mettait la puce à l’oreille. Même si c’est pas totalement abouti, je voulais donner une impression aux joueurs et aux joueuses, les mettre sur la piste avec des détails.
Certaines histoires sont drôles ou touchantes mais d’autres sont très bizarres ou sombres, c’est pour cela que le titre s’adresse à un public mature. Vous représentez de nombreuses communautés avec bienveillance dans Night Call et abordez des sujets pas simple dans un jeu-vidéo. Est-ce qu’il y avait des thèmes importants qui vous tenez à coeur d’aborder pour vous dans le jeu ?
Énormément de choses. Parfois des détails sans la moindre importance et puis parfois des choses très fortes et compliquées. C’était aussi un peu l’occasion d’avoir un jeu vidéo politique puisque visiblement personne ne veut en faire…
Sarcasme mis à part, on a beaucoup bossé sur l’inclusion, sur le fait que la France, Paris, la nuit, un taxi… sont des lieux où l’on peut rencontrer n’importe qui. Et le chauffeur a une position particulière, il est confident, mais aussi “au service” des clients et des clientes, c’est une personne bienveillante qui a un passé compliqué. Bref, c’était l’occasion rêvée pour nous de raconter toutes ces histoires qui font que régulièrement notre jeu est traité de “gauchiste”. Ce qui en réalité est un compliment plus qu’autre chose.
Les enquêtes ont toutes la même structure à savoir un début à l’hôpital, une inspectrice qui vous met la pression tout du long et un suspect à communiquer à la fin. Pourquoi avoir choisi de garder cette structure plutôt que de la faire évoluer ? Etait-ce pour pouvoir jouer indépendamment à chaque enquête ?
C’est sans doute le point que je regrette le plus. J’avais beaucoup d’idées et je n’ai pas été capable de les porter, de les clarifier, de les rendre jouables et compréhensibles. La partie enquête… on sentait que c’était obligé pour que le jeu ait une structure, et puis au final nous n’avons pas eu les bonnes idées pour y parvenir.
C’est comme ça, les jeux ne sont jamais parfaits, jamais terminés, jamais complètement aboutis.
Par rapport à votre expérience chez Ubisoft, le fait de travailler sur un plus petit projet est-il différent ? Avez-vous été confronté à des difficultés non rencontrées auparavant ?
C’est clairement différent dans le sens où chaque personne de notre équipe était davantage responsable de ses tâches, de ses objectifs, de ses problèmes aussi. Je travaillais juste avant Night Call sur Dead Island 2 (alors en développement chez Sumo Digital en Angleterre), et nous étions presque une centaine sur le projet. Cent personnes, énormément de pression, un éditeur, un management… bref, la pression est sans commune mesure.
Sur Night Call le plus difficile a été… de s’arrêter en réalité. Je n’ai jamais bossé sur un projet aussi passionnant, aussi personnel aussi. C’était formidable.
Avez-vous un personnage que vous affectionnez particulièrement dans le jeu ? Ou alors une anecdote à partager avec nous lors de l’écriture ?
Je suis terriblement fan de Fragonard, le flic qui raconte ses enquêtes. C’était un plaisir sans fin de les écrire. Sinon il y a deux ados qui finissent une partie de jeu de rôles et c’est le plus long texte de tout le jeu… un des derniers que j’ai écrit… un vrai bonheur.
Côté anecdote, je voulais surtout en profiter pour remercier l’équipe de localisation (traduction et relecture en anglais, français et allemand) qui ont supporté mes jeux de mots pourris et mes points-virgules. Nous avons eu l’une de nos relectrices, Stéphanie Chaptal, qui a spontanément commencé à critiquer mon tirage de cartes divinatoires pour Ade, la voyante. Elle me faisait des tonnes de correction pour que ça soit cohérent et crédible. Un vrai bonheur.
Travaillez-vous encore sur Night Call (une affaire bonus ?) ou vous êtes aujourd’hui sur un nouveau projet ?
Nous sommes passés sur autre chose. La fin de Night Call a été très longue et on avait vraiment besoin de changer d’air. Mais toutes les semaines ou presque on reçoit un email, un tweet, un message Facebook d’une personne qui a adoré et ça fait chaud au cœur.
Avez-vous quelque chose à ajouter pour nos lecteurs ?
Que tous les jeux vidéo sont politiques.
On remercie vivement Anthony Jauneaud pour sa disponibilité !
Notre test de Night Call sur Nintendo Switch est disponible ici.
Notre vidéo des 20 premières minutes de la 3ème enquête