Kingdom Hearts relève de ce club extrêmement restreint de licences parvenues à déployer un univers addictif, à la cohérence jamais démentie en dépit d’un nombre conséquent d’itérations sur une grande diversité de supports. En écho à la popularité de ses protagonistes issus à la fois des écuries Disney et Final Fantasy, plusieurs remakes et compilations ont vu le jour depuis la sortie initiale du premier épisode sur une Playstation 2 qui se languissait, à l’époque, d’un action-RPG de référence. Après que son héros emblématique a rejoint la non moins iconique série des Smash Bros, la saga revient désormais sur Nintendo Switch à travers une première compilation, Kingdom Hearts 1,5 + 2,5 HD ReMix, dans une version cloud gaming. Un choix judicieux ?
Un contenu dantesque
Parmi la jungle d’opus, parfois exclusifs à l’archipel nippon, parus sur Playstation 2, Game Boy Advance, 3DS, Playstation 4 puis smartphone, respectivement assortis d’un numéro frisant l’ésotérisme, il aura fallu aux inconditionnels de la franchise depuis ses débuts en 2002, s’acquitter a minima d’un BAC +3 en Kingdom Hearts pour s’y retrouver. Cette anthologie remet donc les choses à plat en ressuscitant l’œuvre originelle de Tetsuya Nomura, telle qu’il l’a imaginée.
Réunissant quatre titres complets, en sus de deux simili-longs-métrages composés des cinématiques de jeux non inclus, le contenu fera pâlir d’effroi le joueur lambda. Heureusement, le menu de lancement a la bonne idée d’organiser les épisodes selon leur date de sortie sur les différentes plateformes. S’il ne s’agit pas à proprement parler de l’ordre chronologique des événements, nous vous suggérons néanmoins de vous y fier tant le risque de ne pas comprendre le rôle de chacun dans la timeline s’avère important, l’univers s’étant passablement étoffé au fil du temps.
Du remake du premier épisode de Kingdom Hearts, intitulé 1,5 HD Final Mix, au deuxième épisode, logiquement affublé du sobriquet 2,5 HD Final Mix, en passant par les cruciaux RE : Chain of Memories, 358/2 Days, Birth by Sleep Final Mix, et l’ultime RE: Coded qui clôt cette sélection, cette compilation aujourd’hui disponible en intégralité sur Nintendo Switch, forme un nœud d’intrigues qui s’entremêlent et se répondent, à la portée unique dans l’histoire récente du jeu vidéo.
Des mondes qui s’entremêlent
Comptant seulement trois épisodes chiffrés, il peut paraître incroyable que cette série soit à ce point plébiscitée. Le succès, autant critique que populaire, fut pourtant au rendez-vous dès le premier essai. Cela s’explique d’abord et avant tout par le télescopage entre deux mondes aussi célèbres l’un que l’autre, toutefois à destination de publics distincts : les Final Fantasy de Square Enix d’un côté, de l’autre Disney et ses dessins animés. Rien que ça.
Des univers accueillant à parts égales lumière et ténèbres, liés par des portails à travers lesquels voyager : la recette, efficace, repose sur l’omniprésente dualité entre héros et antagonistes, l’existence des premiers ne prenant sens qu’en présence des seconds. Aussi Maléfique ou Jafar revêtent la même importance que Blanche-Neige ou Aladin, et même l’incontournable Cloud de FFVII se fait fort de voyager d’un bord à l’autre, afin de mener à bien la mission qu’il s’est fixée.
Personne n’échappe à sa part d’ombre, ce qui fonde l’attrait de la licence de Tesuya Nomora. Ses nombreux enjeux s’articulent autour de personnalités complexes, anti-manichéennes, qui tâchent de poursuivre leurs rêves et d’honorer à la fois leurs responsabilités, leur imposant souvent de franchir la ligne rouge.
Dans le vif du sujet avec l’épisode fondateur
Mais Kingdom Hearts, c’est d’abord le récit de trois amis, Sora, Kairi et Riku dont la petite vie sans histoire sur l’île du Destin – difficile d’échapper à l’aventure avec un nom pareil – est du jour au lendemain balayée par l’arrivée de monstres venus s’emparer de Kairi, et détruire leur monde au passage ; Riku disparaît, Sora échoue seul dans une ville inconnue. Parallèlement, Donald et Dingo recherchent leur roi Mickey, qui a laissé une note leur intimant de rejoindre le porteur de la KeyBlade : Sora, évidemment, dont la route ne tardera pas à croiser la leur.
Ce premier épisode jette les bases de cette galaxie tentaculaire, introduisant notamment son trio de personnages principaux. Nous y contrôlons Sora qui apprendra à user des pouvoirs de son arme, ainsi que de magies et d’invocations, pour se tailler un chemin à travers des hordes d’ennemis, conformément au genre de l’action-RPG.
Au-delà toutefois du scénario qui participe en premier lieu de l’incroyable renommée du jeu, son système de combat répétitif de prime abord, s’illustre par l’étendue de notre palette de coups, sitôt débloquées de premières magies et capacités, à laquelle correspond un large éventail d’adversaires, toujours plus puissants, face auxquels adresse, patience et réflexion ne seront pas de vains mots.
Loin d’être simple, Kingdom Hearts ne nous mâche jamais le travail, à l’ancienne. En l’absence de carte comme de points d’intérêt, nous tâtonnons, fouillons les lieux de fond en comble et apprenons à vaincre nos ennemis à force d’observation pour en saisir les patterns. De quoi perturber les plus jeunes biberonnés aux quêtes fedex, mais l’univers se révèle tellement séduisant et cohérent que les premières minutes d’une déambulation hasardeuse, laissent rapidement place au plaisir de prendre activement part aux multiples péripéties.
Ce galop inaugural, aussi honorable soit-il, n’en demeure pas moins perclus de défauts, à commencer par une première partie qui fait office d’interminable tutoriel jalonné de quêtes ennuyeuses à mourir, visant à nous enseigner les fondamentaux des déplacements et des affrontements. Nous peinons en outre à nous familiariser avec une caméra capricieuse, typique de l’ère des 128 bits. Ces premiers instants s’oublient cependant bien vite quand enfin, nous disposons du vaisseau Gumi nous autorisant à naviguer d’un monde à l’autre.
C’est justement durant ces transitions qu’affleure le second écueil du titre, des phases de shooter redondantes et pénibles à la Starfox, le fun et la précision en moins. Heureusement qu’un propulseur dont nous équipons notre astronef, nous permet plus tard d’accéder directement aux destinations préalablement visitées.
Un univers en construction
Les épisodes qui suivent nous en apprennent davantage au sujet des lieux et des personnages que nous croisons au cours de nos pérégrinations. Mais loin de se reposer sur les lauriers de ce premier jet, fantastique, ceux-ci ont le mérite d’adopter leur propre perspective. Qu’il s’agisse de renouveler les principaux protagonistes, de repenser le système de jeu ou d’approfondir l’existant, chaque opus constitue une œuvre à part entière qui s’ajoute à la précédente sans jamais la dénaturer, ni la singer.
Ainsi Chain of Memories, suite en ligne directe du premier volume, remanie le gameplay depuis sa base, les combats s’articulant désormais autour d’un système de cartes à jouer, à partir desquelles programmer nos attaques. Chaque carte est marquée d’un nombre indiquant sa puissance. Aux règles de la bataille classique s’ajoutant des attaques spéciales sous la forme de cartes à stocker et de pouvoirs magiques, nous bénéficions d’un système complètement refondu, qui conserve de surcroît ses mécaniques plus dynamiques d’esquive et de déplacement.
Malgré l’évidente volonté de se démarquer de son prédécesseur, dommage que le scénario se contente de recycler des endroits déjà connus du joueur pour y déployer sa propre narration et, surtout, ses nouveaux antagonistes si mystérieux. Initialement développé sur Game Boy Advance, il s’agit sans doute du titre de la compilation, à avoir subi le lifting le plus impressionnant. Aussi lui pardonnons-nous aisément son système de combat quelquefois confus, tant il contribue à complexifier la mythologie de la série et constitue, en s’attachant à poursuivre les aventures de Sora et Riku, le parfait tremplin afin d’aborder du bon pied le meilleur opus de la série, l’épisode 2 à n’en pas douter.
Une suite monumentale
Kingdom Hearts 2,5 HD Final Mix se distingue par le plus long prologue de l’industrie vidéoludique, levant le voile sur un nouveau personnage, Roxas, qui rêve constamment de Sora en ignorant pourquoi et sait, lui aussi. manier une KeyBlade. Le lien qui les unit ? Nous ne l’appréhenderons qu’au terme de nouvelles péripéties aux commandes de Sora, résolu à déjouer les plans machiavéliques de l’organisation XIII.
Cet épisode demeure particulièrement homogène tout en poussant le lore dans ses derniers retranchements, un véritable tour de force. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Si le système de combat hérité de l’épisode fondateur reste inchangé, Sora peut avantageusement fusionner avec ses alliés. Des QTE se manifestant au détour des combats de boss, les rendent beaucoup plus dantesques. Le pilotage du vaisseau Gumi gagne lui-même en intérêt lorsque surgissent, à notre plus grande surprise, des boss spécifiques aux traversées d’entre les mondes. L’apothéose finale, que l’on jurerait clore la saga, se double pourtant d’une ultime cutscene, magistrale leçon de cliffhanger laissant présager d’un épisode supplémentaire.
Premier des films d’animation présents sur la compilation, 358/2 Days reprend quant à lui les cinématiques de la mouture DS, qui assure la continuité entre les épisodes 1 et 2 en traitant de Roxas et de l’organisation XIII. Certes dispensable dans la chronologie, vous auriez néanmoins tort d’en faire l’économie au vu de la force de son propos. L’idéal pour chiller, idéalement en mode portable, tout en renforçant nos affinités avec ces personnages duaux.
Un dernier titre sous forme de dessert
Le dernier des titres jouables de ce best-of, Birth by Sleep, met en scène trois nouveaux visages dans l’univers de la licence, qu’il étend aux maîtres et disciples des Keyblade. Nous saisissons alors que lumière et ténèbres ne sont, en réalité, que les faces adverses d’une même pièce qu’un être démoniaque cherche à s’accaparer, et avec elle le pouvoir suprême.
Remarquable et prenante du début à la fin, la narration qui s’enrichit de trois personnages jouables – Terra, Ventus et Aqua – nous proposant des points de vue nuancés sur les événements, n’en délaisse pas pour autant les destinées de Sora, Kairi et Riku. Le système de combat, encore réinventé, se montre évolutif au cours des affrontements. Chaque enchaînement de coups provoque en effet la modification des commandes disponibles, et donc des attaques par la même occasion. Un régal que de chercher à optimiser ses techniques !
C’est enfin dans cet épisode que le grand méchant de Kingdom Hearts tombe le masque. Le voyage s’achève avec Re: Coded, qui compile l’intégralité des cinématiques du jeu DS de base et rassemble dans un monde virtuel, l’ensemble des figures de la saga. Une conclusion savamment étudiée, annonciatrice de l’épisode final.
La version de la discorde
Un must-have, cette compilation ? Assurément, en dépit d’une particularité spécifique à la version Switch : le cloud gaming. Notre confort de jeu dépend donc de plusieurs éléments, à commencer par la qualité du débit de notre ligne internet. Ainsi que nous l’avions déjà abordé dans la preview, une connexion ADSL ou fibre stable fera parfaitement l’affaire contrairement à une connexion 5G, insuffisante.
Ce n’est toutefois pas le seul point à prendre à compte. Bien naturel, le besoin d’intégrer à sa collection cette compilation – un pilier du jeu vidéo, rien n’indiquant d’ailleurs que la série se termine avec l’arc narratif de Sora dans l’épisode 3 – se trouve contrarié par cette dématérialisation forcée, tributaire d’un serveur distant n’offrant aucune certitude, quant à la pérennité d’un tel modèle économique. S’il faut bien sûr, à l’ère des patchs day one plus lourds que le jeu initial, mesurer ce danger à l’aune de celui, avéré, des fermetures d’eshop sur machines vieillissantes, il n’empêche que de n’être ni en mesure de posséder le titre, ni de le stocker par ses propres moyens, pèse évidemment dans la balance.
Nous répondrons en revanche par l’affirmative à la question de savoir si l’achat de la compilation via son compte personnel, permet à d’autres utilisateurs de s’y essayer sur la même console, grâce à leurs identifiants respectifs. Comme tout achat effectué depuis l’eshop, l’acquéreur peut en profiter quelle que soit la console, et les autres joueurs via leur profil respectif sur la machine principale de l’acheteur – pas en même temps, forcément. De quoi éviter les crises de nerf consécutives à la suppression d’une sauvegarde par un cadet inconséquent !
Dernier aspect à évoquer avant les caractéristiques techniques, la mise en pause du jeu : l’accès au serveur interdisant au joueur de quitter la partie, un appui sur le bouton home revient à risquer la déconnexion, donc de perdre des données, bien que nos quelques tentatives sur des périodes inférieures à deux minutes ne nous aient pas causé d’ennuis, tout comme le passage de la console depuis l’ethernet, sur le dock, au wifi, en nomade. Un bon point quant à la stabilité de cette version.
Cette accumulation de contraintes se justifie d’autant moins que ces six expériences tourneraient sans souci majeur sur Nintendo Switch. Et c’est précisément ce qui fait le plus mal, l’absence d’une version physique, qui aurait à coup sûr décuplé le plaisir. Il faut dire qu’à 40 € la compil’, sans garantie de disponibilité sur le long terme, on flirte avec le prix de la boîte en magasin.
Bon, tu la craches ta pastille !
Nerf de la guerre, les graphismes supposés justifier cette cloud version : est-ce beau et jouable ? Comme d’habitude sur la portable de Nintendo, il convient de différencier le mode nomade du mode téléviseur, le premier s’appairant en wifi et le second en filaire, par l’intermédiaire du nouveau dock Oled.
Avec la fibre, le résultat – peu importe l’heure de jeu – s’avère correct et constant dans les deux cas de figure, au niveau du framerate comme des graphismes au sujet desquels nous n’irons pas non plus jusqu’à nous extasier, la Switch étant en mesure de restituer nativement ces remakes. Le flou relatif à la compression vidéo constaté sur l’épisode 3 ne se fait jamais ressentir sur cette compilation, livrée dans de très bonnes conditions.
Le léger temps de latence susceptible d’affecter les contrôles, typique du streaming, demeure quasiment imperceptible : nous avons d’ailleurs éprouvé une plus grande facilité à réaliser nos sauts que sur la version PC, notamment dans l’épisode 1. Il n’y a finalement que la caméra pour glisser plus que de raison autour de notre personnage, sans gêner l’action outre mesure puisque la plupart du temps, nous la recadrons à notre guise en cours d’exploration tandis qu’en combat, le lock sauve la mise.
Conclusion
Un must-have, ce portage de Kingdom Hearts 1,5 + 2,5 HD ReMix ? Pour tous les amateurs d’action-RPG privés de PC mais curieux de découvrir la formidable épopée de Tetsuya Nomura, évidemment. Ses mécaniques de gameplay se renouvellent à chaque épisode, sa narration s’enrichit constamment et nous entraîne toujours plus avant dans son univers fantasy, incroyable, qui rivalise de cohérence malgré son parti-pris, risqué, d'unir les mythiques Disney et Square Enix. Alors diable, pourquoi imposer aux joueurs les contraintes d'une cloud version ? En parant au plus pressé, Square Enix se coupe volontairement d’une frange importante du public tout en courant le risque de s'aliéner les puristes de la licence, qui garderont longtemps en bouche le goût persistant d'une certaine amertume.
LES PLUS
- Un contenu gargantuesque comprenant 4 jeux et 2 films d’animation de 3h chacun
- Des action-RPG tous plus cultes les uns que les autres
- La prise en main, impeccable sur chaque titre
- Une plongée fabuleuse dans les univers de Disney et Square Enix
- Des grosses godasses et des fermetures éclair
- Un scénario d’une profondeur rarement atteinte dans son ensemble
- Une cloud version parfaitement jouable avec la bonne connexion
- Très peu de latence détectable et des contrôles qui répondent au doigt et à l'oeil
- Disponible sur tous les comptes liés à la console primaire de l’acheteur
- Une qualité graphique identique à la version PC, sans flou ni désagréments liés à la compression vidéo
LES MOINS
- Mais pourquoi ne pas avoir sorti une version physique sur Switch ?
- Quelques soucis de caméra et d’ergonomie pour des jeux qui datent un peu
- Des films d’animation à la portée plus limitée que les jeux
- La nécessité d'une connexion internet permanente, et de qualité, pour en profiter de façon optimale
- Impossible, donc, d’y jouer lors d’un trajet en bus ou en métro
- Quid de la viabilité de cette compilation dans cinq ans, ou avant ?