Le studio Inkle, qui nous a déjà gratifié de l’excellent 80 Days en 2014, ne comptait pas se reposer sur ses lauriers. C’est pour cela qu’un nouveau projet a rapidement vu le jour au sein de leur studio, Steve Jackson’s Sorcery ! Mais comment reproduire un tel tour de force dans le domaine du jeu narratif ? Eh bien en allant piocher dans les vieux pots pour mettre la recette au goût du jour tout simplement. Ainsi les plus anciens d’entre nous vont pouvoir retrouver la joie simple et pourtant si prenante du livre dont vous êtes le héros. Alors les développeurs de chez Inkle ont-ils réussi un nouveau tour de force avec leur projet arrivant sur nos Nintendo Switch, la réponse est un grand oui. Voici pourquoi :
Loup solitaire y es-tu ?
Les livres dont vous êtes le héros sont une littérature à part dans le monde de la production littéraire. En effet, il consiste à offrir à leurs lecteurs une expérience basée sur les choix et les combats aux dés. Le lecteur, après avoir lu un paragraphe allant de quelques lignes à plusieurs pages, devra faire un choix. Cela peut être un choix d’ordre géographique, telle la direction à prendre face à un croisement, ou un choix plus cornélien, faut-il aider le petit vieux en train de se faire molester au risque de mettre en péril notre santé et donc notre quête ?
Beaucoup de questions auxquelles il nous fallait donner une réponse pour déterminer le numéro du paragraphe à lire par la suite, car oui, pour éviter aux lecteurs de dénicher le meilleur chemin possible, les paragraphes étaient impitoyablement mélangés. Avant l’arrivée de jeux de rôles tels Ultima ou The Elder Scroll, les amateurs de jeux de rôles n’ayant pas d’amis sous la main pour partager une partie de Donjons et Dragons se rabattaient très souvent sur ce type de livre.
Piochant aussi bien dans les genres de l’horreur lovecraftienne que dans la science-fiction, celui de prédilection fut tout de même celui de la fantasy. C’est ainsi que des héros tels Loup Solitaire ou Althéos ont su trouver un public qui avait le plaisir intense de pouvoir vivre une aventure à défaut de simplement la suivre en spectateur. Bien évidemment, les auteurs anglo-saxons ont été les plus prolifiques et c’est le plus connu d’entre eux, Steve Jackson, qui est mis à l’honneur ici.
D’abord paru sous forme d’épisodes reprenant le déroulement des quatre livres, Steve Jackson’s Sorcery !, qui nous arrive aujourd’hui, compile l’ensemble des titres pour nous permettre de découvrir l’ensemble de la saga Sorcellerie. Chaque épisode peut se faire de manière indépendante. Mais il est possible de récupérer le héros de l’épisode précédent, avec ses attributs et ses objets, pour débuter un nouveau tome plus facilement.
Durant toute cette aventure, nous incarnons un héros qui a pour mission de retrouver la couronne des rois. Cet artefact, qui permet d’imposer sa volonté aux quatre royaumes, a été volé par l’Archimage, retranché dans sa forteresse. Commence alors notre périple depuis la verte Analand qui nous fera fouler les collines maléfiques avant de nous faire emprunter les rues tortueuses de la cité de Kharé qui déboucheront sur le désert de Backland qu’il nous faudra traverser pour atteindre le Mampang et la conclusion de notre épopée.
Le jeu dont vous êtes le héros
Les livres dont vous êtes le héros sont à la base de tous les jeux narratifs. Leurs mécaniques de choix et d’embranchements forment le socle sur lequel se sont construits tous les Visual Novels ainsi que le scénario de bons nombres de RPG occidentaux. Nous retrouvons évidemment ces codes dans la production d’Inkle. Chaque fois que nous ferons aura son importance, qu’il soit géographique ou moral. Prendre le raccourci par les champs nous fera certes gagner du temps et éviter les grands chemins, lieu de villégiature des bandits de toute sorte, mais il risque de nous mettre face à des créatures n’ayant pas l’habitude d’être dérangées par des hommes.
De même, offrir un coup à boire au petit vieux du bistrot nous fera perdre une précieuse pièce servant à notre ravitaillement, mais il nous donnera peut-être une précieuse indication sur la sorcière qui vit au plus profond de la forêt. À nous de choisir sans jamais n’avoir aucune indication sur la suite des événements. Il est tout à fait impossible de prévoir à l’avance ce qui va se produire dans chacun des chapitres de Steve Jackson’s Sorcery et c’est sans doute sa plus grande force. Une même situation peut amener deux conséquences complètement différentes malgré un choix identique de notre part.
Notre héros, dont nous choisissons dès le départ s’il est un homme ou une femme, possède à la fois des capacités martiales et des capacités magiques. Il pourra donc se défendre et faire face à toute menace directe grâce à son épée, mais il pourra tout aussi bien lancer des sortilèges pour l’aider dans sa quête.
Les combats à l’épée demande un peu de stratégie et se montre assez tendus. Notre avatar dispose d’une barre de stamina qui représente sa vie et qui ne doit pas tomber à zéro, classique. Chaque combat lance une barre d’action avec un nombre maximum de points à dépenser. Notre ennemi possède la même barre d’action ainsi que sa propre barre de stamina. Pour chaque engagement, nous devons choisir combien de points nous voulons mettre dans la balance. Mais attention, car ceux-ci, que nous soyons victorieux ou défaits, seront perdus. Les dégâts occasionnés sont à hauteur de la différence de points.
Nous pouvons donc décider de nous mettre en position de défense en misant zéro point, perdant ainsi un point de stamina, peu importe la force de l’attaque ennemie, pratique lorsque celui-ci dépense énormément de points d’action. Nous pouvons aussi miser peu de points, genre 0,1, si notre adversaire est en défense pour ainsi lui occasionner un point complet de dégâts. Enfin nous pouvons aller jusqu’à risquer l’entièreté de nos points restants pour le mettre à mort en un coup.
Ce système de combat fonctionne bien, car les indications textuelles sont là pour nous guider et, car les monstres possèdent des patterns de coups qui se reproduisent dans le temps. Les trois premiers chapitres, ainsi que la moitié du dernier, nous permettent d’ailleurs de revenir directement à un combat même en cas de défaite mortelle. Nous n’avons jamais à recommencer entièrement notre aventure en cas de trépas.
Là encore, l’esprit des livres dont vous êtes le héros est parfaitement assimilé et retranscrit dans le titre d’Inkle. Nous pouvons ainsi, si nous en avons l’envie, revenir d’un cran en arrière après chacun des choix que nous avons faits, pour ainsi découvrir les autres conséquences mises en branle par nos choix. Ce système rappelle tellement la page bloquée par nos doigts avant de valider notre choix que lors de sa première activation, un grand sourire nous a éclairé le visage.
La malédiction d’Althéos
Si ce système de combat nous donne beaucoup de plaisir, le système de magie est plus complexe à maîtriser, essentiellement du fait de la grande variété de sorts disponible. Régulièrement, nous avons la possibilité de lancer un sort. Pour cela, nous devons former un mot de trois lettres. Celle-ci navigue tel un nuage sur notre écran et nous devons sélectionner les bonnes lettres dans le bon ordre. Pas de problème jusque là, si ce n’est que le nombre de sorts est très important et que certain nécessite l’obtention d’un artefact magique durant notre aventure. Pour nous retrouver dans cette complexité, nous avons à notre disposition à livre de sorts qui recense tous ceux disponibles, malheureusement, aucun abécédaire ne nous permet de naviguer facilement et la plupart des mots de trois lettres sont difficiles à retenir tant il ne semble par forcément avoir de lien avec l’effet du sort.
Ces mots, comme tout le reste de la narration sont en anglais, et c’est le second point faible de ce titre. Il faut absolument maîtriser la langue natale de Steve Jackson pour pouvoir profiter de l’œuvre d’Inkle. Dans le cas où la lecture de l’anglais ne pose aucun problème, nous pouvons alors profiter d’une narration d’une excellente facture. Que ce soit durant notre voyage sur la carte, durant les phases de dialogues ou pour décrire nos combats, tous les textes sont bien différents et détaillés. Nous ne sommes pas pour autant noyés sous une avalanche de mots, le tout forme un ensemble parfaitement équilibré dans lequel la lecture à sa place au même titre que nos choix ainsi que les combats.
D’autant plus que chaque chapitre renouvelle agréablement notre aventure. Si le premier a un aspect champêtre évident, le second nous emmène dans une ville tandis que le troisième nous demande de débusquer les sept serpents, nous laissant bien plus libres dans nos déambulations. Enfin le dernier chapitre, et notamment une fois la forteresse atteinte, supprime l’aide au rembobinage. Notre aventure est sans cesse renouvelée tout comme le plaisir pris à parcourir ces contrées.
Les graphismes mis en place viennent rehausser le sentiment d’immersion dans cette aventure. Entièrement dessinées à la main, les différentes cartes sont un plaisir à parcourir, d’autant que le relief qui leur est ajouté nous donne réellement l’impression de les parcourir. Régulièrement, tout comme dans un livre dont vous êtes le héros, des illustrations viennent égayer nos écrans. Dans un style crayonné en noir et blanc propre aux productions de l’âge d’or de cette littérature, chaque monstre a droit à sa planche tout comme certains lieux. Tout est fait pour contenter le joueur et encore plus l’amateur du genre.
La bande-son est un peu en retrait par rapport à toutes les louanges précédentes. Sans être désagréable, elle est clairement un ton en dessous de la qualité du reste de la production d’Inkle. Elle pose toutefois une ambiance agréable, mais se fait vite oublier et ne vient pas accentuer les moments de tensions qui peuvent survenir. Pour terminer ce test, notons que les contrôles sont parfaitement optimisés, que ce soit en docké ou en nomade. Le tactile apporte une rapidité très agréable tandis que les contrôles au Joy-Con se montrent précis et réfléchis. De quoi profiter de Steve Jackson’s Sorcery ! dans toutes les conditions.
Conclusion
Bien sûr ce test n’a rien d’objectif, tant il reflète l’amour de son auteur pour les livres dont vous êtes le héros. Mais justement, réussir l’exploit de retranscrire en jeu les sensations des livres dont vous êtes le héros est le vrai tour de force des développeurs de chez Inkle. La narration est parfaitement maîtrisée, mais elle ne prend jamais trop de place sur les phases de choix et de combats. Les graphismes, entièrement dessinés à la main, qui sont un vibrant hommage aux illustrateurs d’antan, nous mettent parfaitement dans l’ambiance tout comme la bande-son. Enfin la prise en main s’adapte aussi bien à des sessions en docké qu’en nomade. Un must have pour les amateurs de livres dont vous êtes le héros et les amoureux de jeux narratifs qui pourrait bien donner des idées de lectures pour l’été aux néophytes.
LES PLUS
- La narration est parfaitement maîtrisée
- La sensation de liberté est totale tant nous naviguons à vue avec juste un objectif final
- Chacun de nos choix a des conséquences imprévisibles
- Les graphismes crayonnés sont très beaux et détaillés
- Le retour en arrière est bien pratique
- Les combats sont stratégiques et prenants
- La prise en compte du tactile est un plus pour la navigation.
- La bande-son est de bonne facture, mais reste en dessous du reste
LES MOINS
- La maîtrise de l’anglais est obligatoire pour en profiter
- Le livre de magie et les sortilèges sont peu pratiques à utiliser