Les développeurs français indépendants parviennent souvent à proposer des titres qui sortent des sentiers battus (un peu à l’image du cinéma de genre français)… Cette comparaison vous inquiète ? Allons, allons, fermez les yeux et laissez les rêves vous envahir, nous allons faire une virée dans Decarnation…
Glo-o-o-ri-a
Decarnation est donc l’œuvre d’un petit studio indépendant (sept personnes) français ! Il s’agit ici de leur première réalisation sur laquelle ils ont bossé pas loin de quatre ans. Le tout a ensuite été édité par Shiro Unlimited (Northgard et d’autres jeux du même genre). Decarnation fait ici figure de premier jeu qui diffère des « habitudes » de l’éditeur…
L’histoire prend place en 1990 et nous permet de suivre les (més)aventures de Gloria… On commence d’ailleurs l’aventure dans le cabinet d’un sculpteur (Petrus) qui s’affaire à réaliser une statue à l’effigie de Gloria… nue. Eh oui, notre héroïne fait encore mieux que Link pour ses débuts et se retrouve les fesses de pixel à l’air sur notre écran… Le temps passe et nous retrouvons Gloria dans son appartement pour le jour de l’inauguration de sa statue au musée. Elle est très vite rejointe dans son appartement par sa compagne, Joy. Les deux amoureuses prennent alors ensemble la direction du musée. S’en suit alors une première déconvenue pour Gloria qui doit payer son entrée, bon gré mal gré, elle achète les billets et fonce voir l’œuvre qui fera d’elle une artiste intemporelle… Mais quelle n’est pas sa surprise quand elle aperçoit un homme en train de se frotter contre sa statue ! C’en est trop pour notre héroïne qui commence à perdre les pédales voulant alors fuir le musée aussi vite qu’elle le peut, entrainant par la même occasion, l’incompréhension de Joy…
Gloria décide de faire quelques longueurs à la piscine, afin de se changer les idées et finit la soirée sur son lieu de travail, un cabaret dans lequel elle exerce le métier de meneuse de revue. Malgré tout, la soirée ne se passe pas forcément comme elle le souhaiterait et au moment du coucher, Gloria commence à faire des rêves étranges… Nous n’irons pas plus loin dans l’histoire, car c’est l’une des grandes forces du titre et qu’elle mérite d’être découverte en parcourant les méandres de pixels. Gardez juste à l’esprit que celle-ci se déroule dans un univers que ne renierait pas des réalisateurs comme David Lynch ou encore David Cronenberg (ouais, rien que ça !)
Faites de beaux rêves…
Si on devait classer Decarnation dans une catégorie, celle-ci serait à la marge du visual novel interactif et du film en pixel art. Oui, car même si on peut déplacer notre personnage dans un monde en 2D tout en pixel art de qualité, l’ensemble est très scripté. Gloria peut certes interagir avec certains objets (cela se caractérise par une icône de main ou de rouage apparaissant à l’écran), mais en règle générale, il n’y aura toujours qu’une seule façon de faire, celle voulue par les développeurs, qui s’improvisent ici (avec un certain talent tout de même) conteurs et réalisateurs.
Malgré les phases de déplacement parsemées de nombreux dialogues avec les autres personnages, nous avons parfois affaire à des phases un peu différentes, reprenant le gameplay des jeux de rythme lorsque Gloria doit danser sur scène, des phases de recherche d’objet pour avancer, ou encore des moments où il faudra esquiver un ennemi et enchainer la bonne succession de touches pour lui asséner une attaque. On note également quelques phases de réflexion et d’équilibrisme (quand il faut presser une touche au bon moment)…
Malheureusement (ou pas selon les joueurs), ces phases qui permettent de diversifier le gameplay semblent finalement un peu artificielles de par leur absence de « punition »… Si vous échouez, aucun problème : vous reprendrez la phase en question du début (et parfois vous pourrez même apercevoir le cadavre de votre échec précédent). Mais au final, on réalise très vite que c’est ce qui est voulu, car la grande force du « jeu » est son histoire et l’ambiance qui en découle…
Songes d’une vie passée et future
Saviez-vous que les rêves étaient plus ou moins écrits par les évènements de votre journée (sauf les prémonitoires… enfin quoique… mais ne nous égarons pas) ?
L’histoire du jeu s’appuie totalement sur cet état de fait et propose alors une ambiance digne d’un film de David Lynch… Les personnages un peu cocasses que l’on rencontre, les environnements, le monde des rêves et ses créatures de cauchemar… Dont certaines de par leur aspect très organique mais difficilement compréhensibles, renvoient directement à l’œuvre de David Cronenberg.
Le récit joue à merveille avec l’état d’esprit de cette danseuse avec sa petite renommée, qui se retrouve, alors qu’elle n’a que 30 ans, poussée gentiment vers la sortie. Les créatures et les environnements cauchemardesques et parfois juste oniriques qu’elle aura l’occasion de rencontrer se matérialiseront ensuite dans ses pensées profondes, dans ses rêves… Brisant ainsi le mince voile qui existait entre les songes et la vraie vie. L’histoire joue ainsi sur le passé, le présent et le futur (hypothétique) de Gloria, mais s’amuse également avec le joueur, qui finalement ne sait plus quand il s’agit de rêve ou de réalité… La réflexion sur les choix, sur l’état d’esprit de notre héroïne se matérialise par les lieux qu’elle traverse, mais aussi par les pseudo-boss qu’elle doit affronter qui font alors office de marche pour dépasser la crainte qu’ils sont censés matérialiser.
Graphiquement, le jeu propose du pixel art de qualité, ainsi que des animations relativement sympathiques (et pour certaines assez horribles… Personne n’est prêt à voir un personnage se décomposer par du café). Mais, l’autre point fort du titre, c’est sa bande-son, signée en partie par un groupe français, fleur et bleue. D’ailleurs, quelle ne fut pas notre surprise d’entendre un titre chanté en français dans un jeu vidéo. Notre dernier souvenir similaire remonte à Obscure et au titre « Cinglés » que l’on pouvait entendre lors du générique de fin.
Ici, la bande-son fait office de phare autant pour Gloria que pour le joueur. Même si nous l’avons trouvé par moment un peu répétitive, elle s’intègre parfaitement au jeu et contribue grandement à l’image qui s’en dégage. On notera également la présence de quelques titres signés Akira Yamaoka que vous connaissez certainement pour son travail sur Silent Hill. On retrouve par ailleurs Corentin Brasart qui a déjà œuvré sur d’autres titres français (Night Call).
La partition s’avère donc de haute volée pour un jeu indépendant, il en est de même pour la réalisation du jeu. Comme dans un film, les développeurs jouent sur les cadrages, ne montrant parfois qu’une toute petite zone au centre de l’écran, entourée de pénombre, une façon subtile de représenter (lors de certains passages) l’enfermement dont souffre l’héroïne et celui-ci n’est pas seulement mental.
On sent que les auteurs sont des fans du cinéma de genre et que le travail fourni pourrait tranquillement aboutir sur une adaptation en prise de vues réelles. Cependant, si vous ne souhaitez pas attendre jusque-là (rien n’est annoncé dans ce sens), il s’avère à la fois agréable et dérangeant de se promener dans les méandres de la psyché de Gloria…
Conclusion
Soyons honnête, à l’image de ses inspirations, Decarnation est un titre qui ne plaira pas à tout le monde ! Si vous êtes fan des univers proposés par David Lynch et David Cronenberg, alors considérez que Decarnation pourrait être un jeu qui a été réalisé par les deux David. Mystérieux, organique, un peu glauque, dans un monde onirique ou cauchemars se mêlent aux rêves et à la réalité… Pour les autres, sachez que le jeu propose principalement une aventure très narrative et que les phases plus « vidéoludiques » sont pour la plupart assez anecdotiques… Cependant, le jeu propose une histoire solide, franchement bien écrite et une réalisation très cinématographique. Attention cependant, le titre n’est pas du tout destiné aux enfants !
LES PLUS
- L’histoire
- La bande-son
- L’univers du jeu
- En français (textes et bande-son !)
- N’a pas volé son titre d’horreur psychologique !
LES MOINS
- La dimension jeu vidéo un peu en retrait
- Les mini-jeux anecdotiques
- Les énigmes pas forcément compliquées
- Pas de potentielle rejouabilité
- Pas pour les plus jeunes !