Il y a deux types de bons jeux : ceux qui se dégustent sur le long terme, par petites touches d’une ou deux heures maximum au risque d’en faire une overdose et puis il y a les jeux que l’on commence sans trop rien en attendre et qui après six heures de jeu non-stop et une sonnette de porte qui se déclenche nous font relever la tête en nous faisant prendre conscience du temps passé. Des jeux si accrocheurs qu’il semble impossible d’en décrocher et qui après une bonne nuit de sommeil nous tendent les bras pour recommencer à explorer un monde énigmatique dont nous voulons tout savoir. Et si cette introduction n’est pas assez claire pour les réfractaires du fond, enfonçons l’clown et crions haut et fort, dans les quelques lignes qui vont suivre, notre amour pour le titre des développeurs du studio Rundisc, Chants of Sennaar.
Le chant des sirènes
Et tout commence lorsque nous sommes face à l’image de présentation eShop. Des tons ocre, des personnages énigmatiques et une architecture aux arêtes saillantes dans un désert énigmatique, sans rien en savoir. Retrouver le style de Jean Giraud Moëbius est forcément un point de départ plus que tentant pour le joueur que nous sommes, mais il va falloir maintenant faire preuve de talent pour ne pas s’arrêter là. Après avoir lancé le titre de Rundisc et démarré notre partie, nous nous retrouvons dans une espèce de tombeau gigantesque dont il nous faut sortir.
Commence alors une aventure à la narration prenant place dans le mythe de la tour de Babel. Une fois sortis de notre enclave de pierre, nous nous retrouvons au pied d’une immense construction dont nous cherchons à atteindre le sommet. Au fur et à mesure de notre avancée, nous allons en apprendre davantage sur ce monde dont les différents peuples sont séparés par la barrière de la langue. Et c’est à partir de ce moment précis que tous les éléments de ce Chants of Sennaar vont venir s’emboîter parfaitement pour former un tout cohérent et ultra-addictif.
Au premier abord, les développeurs toulousains semblent avoir créé un jeu d’aventure reprenant les codes du point’n click. Nous déambulons dans ce monde pour récupérer différents objets, actionner différents leviers et ainsi progresser. Sauf que ces éléments sont clairement à la marge et le cœur du gameplay qui nous est proposé va plutôt consister à traduire les différents langages des peuples de la tour pour ainsi comprendre les enjeux et trouver la piste nous permettant d’avancer.
Le langage est le cœur de tout ce qui nous entoure. Nous discutons sans rien comprendre dans un premier temps, mais des éléments qui se répètent nous mettent la puce à l’oreille, nous associons alors un idéogramme à un mot, le premier étant « salut ». Puis en explorant notre environnement et en continuant nos discussions, nous développons un vocabulaire de plus en plus grand formé d’une quarantaine de mots par groupe, nous permettant alors de comprendre ce que ceux-ci attendent de nous tout en déterminant où se trouve la suite de notre aventure.
La mécanique de l’esprit
Si cela peut sembler rébarbatif et peu intuitif, il n’en est rien et c’est là la grande force et réussite de ce Chants of Sennaar. Tout semble parfaitement naturel. Notre progression n’est jamais faite d’allers et retours pénibles ou d’essais nombreux et infructueux. Nous observons le monde qui nous entoure, nous en déduisons le mot associé et progressons ainsi naturellement tout en essayant de comprendre les quelques énigmes mises sur notre chemin et tout cela s’enchaîne pour former un tout d’une harmonie et d’un équilibre incroyable.
Aucune aide n’est jamais nécessaire et il est tout aussi plaisant d’y jouer seul que de voir arriver à l’improviste un enfant ou un ami, voire à la limite, un conjoint, qui d’emblée tombera sous le charme et nous demandera innocemment ce que nous faisons avant de tomber dans le piège pour partager ses réflexions avec les nôtres et ainsi avancer encore un peu plus dans ce monde énigmatique et prenant. L’addiction que représente le concept de ce Chants of Sennaar est immédiate et il est extrêmement difficile de poser sa manette une fois la partie commencée. Les énigmes proposées sont toujours logiques et en accord avec la partie de la tour que nous explorons. Elles demandent à la fois de l’observation, de l’exploration, mais aussi avoir traduit les différents éléments du code de langage.
Des pierres de Rosette sont aussi disponibles de temps à autre et celles-ci nous permettent de comprendre que non seulement les mots et concepts sont importants, mais que la grammaire risque aussi d’avoir un rôle à jouer. Alors si le sempiternel sujet-verbe-complément vous sortait par les oreilles lors de vos années cruelles et collégiennes, il sera temps de crier vengeance et d’employer des règles Yodaesque pour qu’ainsi, quand neuf cents ans tu auras, t’exprimer tu sauras.
Bien évidemment, notre présence risque de poser problème à certains groupes. Pas de problèmes, il est prévu des phases d’infiltration. Celles-ci, sans être très compliquées, ajoutent un petit vent de renouveau à ce gameplay et sont parfaitement pensées. Toujours claires, nous comprenons toujours rapidement où se trouve le danger, comment nous en éloigner et où se trouve la sortie. De petites variations sont à noter et aucune de ces phases ne ressemble à la précédente.
La pensée et le mouvant
D’un point de vue graphique, l’influence de Moëbius semble évidente et elle est parfaitement exploitée. Nous alternons nos déplacements dans des environnements ouverts ou intérieurs. Chacun possède sa propre charte en adéquation avec le style général. Ces variations nous permettent de ne jamais avoir l’impression de tourner en rond tout en gardant une homogénéité qui nous permet de ne jamais avoir l’impression de sortir de ce monde. Les animations de chaque personnage sont bonnes et nous permettent de comprendre les implications en termes de langage.
La prise en main est un poil plus ambiguë. Si en mode nomade, nous profitons du clavier tactile pour écrire de manière naturelle les mots que nous pensons être adaptés aux idéogrammes, en mode docké, nous ne bénéficions plus de cette capacité et il faut passer par le clavier virtuel, forcément moins ergonomique, surtout durant la seconde partie du jeu durant laquelle la difficulté augmente d’un cran nous demandant plusieurs tentatives avant validation. Nos déplacements se font au stick et le reste des boutons nécessaires est limité et ergonomique. Notons toutefois qu’en mode nomade, les fonctionnalités tactiles ne sont utilisées que pour écrire, c’est étonnant, mais cela ne gêne en rien.
La bande-son est elle aussi un peu en dessous du reste. Si par moments les airs atmosphériques nous mettent parfaitement dans l’ambiance tout comme les quelques bruitages présents, trop souvent nous nous retrouvons avec une absence totale de sons. C’est à la fois perturbant lorsque nous nous en rendons compte tout en nous laissant à l’abri des perturbations lors de nos moments de réflexion. Un mal pour un bien difficile à juger tant le ressenti risque d’être différent en fonction du type de joueur que vous êtes.
Terminons avec la durée de vie. Notre tour de Babel va nous demander de monter les cinq niveaux qui la composent. Il n’est pas nécessaire d’avoir traduit l’ensemble des idéogrammes de chaque groupe pour progresser et du coup, il est possible de finir ce Chants of Sennaar en une dizaine d’heures, ce qui est déjà une expérience agréable. La possibilité de revenir pour compléter nos dictionnaires tout en complétant de petits dialogues optionnels dont nous devenons les traducteurs ajoute à la rejouabilité et à la durée de vie. Avec son prix de 20 €, Chants of Sennaar propose donc une expérience qui rentabilise largement son prix d’achat.
Conclusion
Chants of Sennaarr du studio toulousain Rundisc est une œuvre incroyable d’immersion. En nous proposant sa vision propre des mécaniques du point’n click se concentrant non pas sur des objets, mais sur des mots et des idéogrammes, il renouvelle complètement notre vision du genre et nous rend accroc en à peine quelques minutes. De plus sa narration énigmatique et son univers à la Moëbius viennent ajouter une touche supplémentaire à cette ambiance prenante. Sa prise en main, juste parfaite en nomade, se montre acceptable en docké et sa bande-son est un ton en dessous du reste, mais ces éléments ne viennent jamais ternir l’une des expériences les plus addictives de ces dernières années.
LES PLUS
- Le style graphique, inspiré de Moëbius, est parfaitement maîtrisé
- Les décors se renouvellent régulièrement et sont détaillés
- La bande-son atmosphérique nous met parfaitement dans l’ambiance
- Le gameplay est à la fois simple et complètement addictif
- Tout est pensé pour nous faire progresser sans nous prendre par la main
- La narration énigmatique, basée sur le mythe de la tour de Babel, se laisse découvrir petit à petit
- La prise en main en nomade est parfaite
- Les énigmes sont très bien pensées et intégrées dans l’univers
- La durée de vie d’une dizaine d’heures de jeu est correcte
- La rejouabilité est assurée par les petits ajouts optionnels
LES MOINS
- Des moments sans aucun bruitage ni musique
- La prise en main en docké est moins naturelle
- Pris dans le jeu, le risque d’oublier de faire la vaisselle est grand…
Jeu d’aventure magnifique, il mérite l’attention !
la démo m’avait déjà convaincu , votre test est très bien! merci
quelle originale fraicheur ce jeu!