« Être, ou ne pas être, c’est là la question. Y a-t-il plus de noblesse d’âme à subir la fronde et les flèches de la fortune outrageante, ou bien à s’armer contre une mer de douleurs et à l’arrêter par une révolte ? Mourir…, dormir, rien de plus… et dire que par ce sommeil nous mettons fin aux maux du cœur et aux mille tortures naturelles qui sont le legs de la chair : c’est là un dénouement qu’on doit souhaiter avec ferveur. Mourir…, dormir, dormir ! peut-être rêver ! Oui, là est l’embarras. » Cette tirade tirée d’Hamlet de William Shakespeare va venir introduire notre test de This Way Madness Lies, un jeu dont le titre est lui-même tiré du Roi Lear et qui tente de mettre en place un RPG dont les héroïnes semblent venir de Sailor Moon, les monstres de l’univers de Lovecraft, le tout avec une narration s’appuyant sur les œuvres du dramaturge anglais précité. Alors, rêver…, peut-être là est la question…
Toute la substance de l’ambition n’est que l’ombre d’un rêve.
Tout commence pour nous lorsque nous débarquons à Vérone dans le monde de Roméo et Juliette. Qui sommes-nous ? Mais les membres de la Stratford-Upon-Avon High Drama Society bien sûr ! Un groupe de jeunes filles qui peuvent se téléporter dans des dimensions parallèles accueillant les pièces de William Shakespeare et qui disposent de pouvoirs leur permettant de combattre le mal une fois leur tenue spéciale revêtue. Et quel est ce mal qui ose s’en prendre aux œuvres culte et mille fois adaptées du plus célèbre des Anglais ? Eh bien il n’est autre que Cthulhu lui-même, l’entité cosmique qui doit sans doute continuer à dormir et qui rêve lui aussi de faire partie d’un RPG.
Nous rencontrons rapidement Roméo dans ce monde lors de la fameuse scène du balcon qui se voit interrompu par un monstre floral dont nous allons devoir venir à bout pour restaurer la paix dans ce monde. Une fois cette formalité passée, nous retournons sur notre bonne vieille Terre pour y retrouver notre paisible vie faite de cours, de répétitions théâtrales et de rencontres fortuites avec de nouveaux démons nous annonçant l’arrivée d’un nouveau portail nous emmenant vers un nouvel univers et de nouvelles aventures.
Franchement, le pitch de départ nous a conquis. L’équation (Sailor Moon + Cthulhu) × Shakespeare a largement de quoi surprendre et nos débuts sont menés tambour battant avec beaucoup de rythme et un humour basé sur des dialogues qui n’hésitent pas à briser le quatrième mur. Nous alternons entre les révélations de nos héroïnes et les tirades à l’ancienne des personnages de fiction. Le décalage entre ces deux époques est intéressant et il nous est offert la possibilité de traduire de façon moderne ce vieil anglais. Là encore, c’est avec beaucoup de second degré que ces dialogues sont modifiés et le célèbre « — Ô Roméo ! Roméo ! Pourquoi es-tu Roméo ? Renie ton père et abdique ton nom ; ou, si tu ne le veux pas, jure de m’aimer, et je ne serai plus une Capulet. » devient « Tu peux m’appeler Trixie ».
Malheureusement, ce traitement des textes de Shakespeare est bien souvent moins inspiré et se contente de traduire a minima la prose du dramaturge anglais. De plus, l’exploitation faite des différentes œuvres que nous allons visiter telles « le songe d’une nuit d’été », « le conte d’hiver » ou « la tempête », est loin de mettre ceux-ci à l’honneur. Ils ne servent que d’excuse pour modifier les lieux de notre aventure. Nous passons ainsi d’une ville à une forêt avant d’enchaîner sur un bateau en ruine. De même, les interactions avec l’histoire sont limitées au minimum puisque nous rencontrerons un ou deux personnages de l’œuvre originelle, n’aurons aucune interaction avec celle-ci et nous contenterons de parcourir le niveau pour y défaire le boss de fin.
Si l’idée de base est vraiment accrocheuse, son utilisation n’est jamais à la hauteur et nous nous contentons de survoler ces mondes sans jamais les découvrir. Plutôt que de nous obliger à des allers-retours dans ces niveaux pour combattre des monstres et débloquer la voie nous permettant d’avancer, une plus grande réflexion sur l’utilisation des pièces originales aurait été bien plus intéressante et aurait tenu davantage le joueur en haleine. Très rapidement, nous nous contentons d’avancer sans rien avoir à faire du monde que nous parcourons. Les moments passés dans la vie réelle sont plus inspirés et se renouvellent davantage, nous permettant aussi d’en apprendre plus sur les membres qui composent notre équipe.
C’est le malheur des temps quand les fous guident les aveugles.
Une fois ces parties scénaristiques passées, nous nous retrouvons aux commandes de notre groupe d’héroïnes pour faire face à ce qui ressemble énormément à un RPG sauce 16 bits. Nous déambulons dans des niveaux de plus en plus grands pour en débloquer des passages tout en combattant la faune et la flore démoniaques qui la hantent. Ces niveaux sont l’occasion pour nous de chercher où se trouvent les trésors cachés et de gagner en expérience. Avec davantage de cette expérience, nous débloquons de nouveaux traits pour nos héroïnes que nous pouvons équiper. Chaque trait propose un effet ainsi que des bonus de statistiques. Si l’idée est intéressante, dans les faits, les bonus de stats sont tellement importants que nous les appliquons sans réfléchir aux bonus.
Le système de combat et de progression est assez particulier. Nous avons à notre disposition huit capacités que nous ne pouvons utiliser qu’une fois chacune avant d’avoir besoin de perdre un tour pour les recharger. Ces habilités sont sélectionnables et tous les 2 à 3 niveaux nous en gagnons de nouvelles qu’il va nous falloir étudier pour les inclure ou non dans le roster de notre héroïne que nous inclurons ou pas dans notre groupe. Les possibilités induites sont relativement importantes et les premiers niveaux, qui nous fixent notre équipe sans possibilités d’en changer les membres, nous permettent de nous familiariser avec chacune de ces demoiselles.
Nous avons aussi un système d’objets à utiliser. Ceux-ci sont inépuisables, mais ne peuvent être utilisés qu’une fois par combat. Ces objets sont récupérés durant les phases d’exploration et ils récompensent grandement le joueur qui fait l’effort de les chercher dans les moindres recoins de la carte. Ils permettent de varier grandement les attaques en cours et de pallier la faiblesse passagère d’un membre de notre escouade. Nous ne pouvons pas utiliser chacun des objets récupérés, il nous faut en choisir de trois à huit en fonction de notre niveau parmi l’ensemble que nous avons obtenu. Le reste est plutôt classique : sortilèges, attaques physiques, modificateurs de stats et afflictions en sont les briques.
Le résultat est un système de combat qui a le mérite de proposer quelque chose d’original et qui fonctionne plutôt bien. Chaque nouvelle formation de notre escouade est l’occasion de tenter de nouveaux enchaînements pour maximiser les dégâts que nous allons faire. Toutefois, la difficulté est rarement de la partie et les habitués du genre devront passer directement en mode difficile ou cauchemar pour faire face à un minimum de challenge. Notons aussi que si nos personnages peuvent atteindre le niveau 99, finir le jeu se fait aisément avec un petit niveau 50 et le farming est ensuite assez long, nous demandant alors beaucoup d’efforts pour voir la toute-puissance acquise par nos guerrières, ce qui est finalement assez frustrant.
Qui n’a plus d’espoir n’aura plus de regret.
Il faut compter une petite dizaine d’heures pour venir à bout de This Way Madness Lies. Et il faut, pour pouvoir en profiter, maîtriser parfaitement la langue de Shakespeare. Aucune traduction française n’est disponible, c’est d’autant plus dommage que le titre de Zeboyd Game semble parfaitement taillé pour faire découvrir aux plus jeunes le monde du RPG. Le déroulement est très linéaire et les quelques petites questions sur l’univers des œuvres de Shakespeare ajoutent un petit plus culturel non négligeable.
La partie visuelle est directement inspirée du pixel art auquel nous avions droit sur nos chères et regrettées consoles 16 bits. Le résultat nous permet de profiter de décors qui se renouvellent constamment ainsi que de petites saynètes bien réalisées dans lesquelles la mise en scène est toujours travaillée. Toutefois, durant les combats, le constat est plus amer. Les animations des sortilèges sont trop légères et surtout, aucun indicateur n’est présent sur les personnages de notre groupe pour nous indiquer leur état. Nous avançons ainsi complètement à l’aveuglette et n’avons aucune information en dehors des points de vie. Pour un RPG c’est relativement incompréhensible de rencontrer ce problème.
La bande-son subit le même problème. Si au premier abord nous pouvons profiter de titres entraînants, certains bénéficiant de paroles, ceux-ci ont la fâcheuse tendance à vite se répéter durant les plus longues phases d’exploration, et entendre la même chanson en boucle durant une bonne demi-heure devient pour le moins agaçant. Pour le reste, les bruitages sont plus réussis et viennent agrémenter agréablement les différentes phases de jeu. La prise en main n’est pas vraiment un problème même si son optimisation à la manette n’est pas parfaite et semble plutôt taillée pour un combo clavier/souris.
Conclusion
Avec sa narration originale, mélange de Sailor Moon, de pièces de Shakespeare et de Lovecraft, et ses mécaniques de gameplay accessibles aux plus jeunes, This Way Madness Lies de Zeboyd Games avait tout pour faire découvrir le monde du RPG aux plus jeunes. Malheureusement, n’étant disponible qu’en anglais, il se coupe une bonne partie du public français. De plus ses petits manques autant en termes d’affichage, de gameplay et de narration en font un titre qui se laissent parcourir rapidement pour le genre, mais qui ne laissera sans doute jamais une trace dans le cœur des gamers et c’est bien dommage, car son concept de base est plus que prometteur. Toutefois avec un tarif de base de 10 €, il est parfait pour occuper quelques soirées.
LES PLUS
- Les graphismes en pixel art sont détaillés et soignés
- Les décors se renouvellent très régulièrement
- Chaque nouveau chapitre prend place dans une nouvelle pièce de Shakespeare
- Les titres de la bande-son sont de qualité
- Le gameplay des combats est facilement accessible et plutôt original
- La difficulté est adaptée à tous les joueurs
- La narration, en patchwork de Sailor Moon, Lovecraft et Shakespeare, est étonnante
- L’exploration est récompensée par des objets puissants
LES MOINS
- Les phases d’exploration n’utilisent quasiment pas les histoires des pièces de théâtre
- Les mondes de Shakespeare ne sont qu’un prétexte largement sous-exploité
- La bande-son finit par être très répétitive lors des longues phases d’exploration
- Nous n’avons aucune information sur l’état de nos héroïnes durant les combats
- Le système de bonus de traits est quasiment inutile
- Le farming des derniers niveaux est très laborieux
- Malgré quelques moments amusants, le système de traductions des textes de Shakespeare est souvent trop plat
- Tout en anglais